Dom Juan ou Le festin de pierre est une comédie de Molière, écrite en cinq actes et en prose, représentée pour la première fois le 15 février 1665 au théâtre du Palais-Royal à Paris . Jamais publiée du vivant de son auteur, la pièce fut imprimée pour la première fois en France en 1682. Il s'agit d'une adaptation de la légende de Don Juan Tenorio, un libertin sacrilège châtié par le Ciel, publiée trente ans plus tôt par l'auteur espagnol Tirso de Molina.  

RÉSUMÉ DE LA PIÈCE

Acte I. Dom Juan vient d’abandonner sa dernière épouse, Elvire, qu’il avait arrachée du couvent. Se sentant « un cœur à aimer toute la terre », comme il l'explique à son valet Sganarelle, il ne saurait demeurer auprès d’une seule conquête. Mais Elvire le poursuit et promet de se venger.

Acte I. Sauvé d’un naufrage par le paysan Pierrot, Dom Juan séduit aussitôt sa fiancée Charlotte, à qui il promet le mariage. Pierrot, souffleté, doit abandonner la partie. Survient la paysanne Mathurine, à qui Dom Juan a fait même promesse. Il les abuse toutes deux et disparaît, car on l’avertit alors que des hommes armés le recherchent.

Acte I. En forêt, Dom Juan confie à Sganarelle son mépris de la médecine, et son incroyance religieuse, tentant également en vain de faire jurer un pauvre. Puis il sauve un homme d'une embus­cade, et apprend qu’il s’agit du frère d’Elvire, cherchant à se ven­ger de lui ; contre l’avis de ses frères, celui-ci le laisse repartir parce qu’il lui a sauvé la vie. Dom Juan découvre ensuite la statue funèbre d'un Commandeur qu’il avait jadis tué et l’invite par bravade à venir souper avec lui : mais la statue accepte sa proposition d’un signe de tête.

Acte I. De retour chez lui, Dom Juan reçoit la visite de son créancier qu’il éconduit, puis de son père, qu’il n’écoute pas davantage. Elvire revient aussi, touchée par la grâce. Elle souhaite sauver Dom Juan de la colère divine. Enfin arrive la statue, qui le convie pour le souper du lendemain.

Acte I. Dom Juan mime une conversion auprès de son père, et décide d’arborer le masque du dévot. Mais il ne peut tromper le frère d’Elvire, qui maintient sa menace. Un spectre invite encore une fois Dom Juan au repentir. Devant son refus, c’est la statue elle- même qui le plonge en enfer.

ANALYSE DE DOM JUAN

► Un parcours significatif

Les nombreuses aventures que traverse Dom Juan désignent un parcours qui constitue le sens même de la pièce. En effet, en ne respectant aucune des règles dramaturgiques classiques, Molière recentre l’unité de la pièce sur son héros : le lieu se démul­tiplie au gré de ses pérégrinations dans la ville aussi bien que dans la forêt, ou même au bord de la mer. De même, la durée de la pièce comprend une nuit de trop, celle du délai accordé à Dom Juan pour qu’il se convertisse. Or, Dom Juan ayant une concep­tion du temps fondée sur la succession des instants, et non sur un parcours linéaire à visée eschatologique, ce délai rédempteur ne saurait lui être d’aucune utilité.

Quant à l’action, elle est divisée selon les deux périls que cons­tituent la vengeance des frères d’Elvire et celle de la statue. Or, ces deux éléments ne sont pas reliés entre eux ; il s’ensuit donc que l’unité est donnée par le parcours du héros, et par sa seule progression dans le Mal. En effet, le début de la pièce nous donne à voir une figure de séducteur, chassant et fuyant tour à tour ses conquêtes, incarnant parfaitement le héros baroque pour lequel le primat du mouvement et de la transformation fonc­tionne comme les nécessaires paravents d’une fondamentale inquiétude. Le personnage se révèle ensuite être un libertin, doutant aussi bien de la médecine que du Ciel.

En cela, Molière approfondit le mythe développé chez Tirso de Molina, puisqu'il amplifie la révolte de Dom Juan en l’opposant au Ciel, conjuguant le libertinage de mœurs à celui de l’esprit. Mais c’est surtout dans l’acte V que le personnage prend sa véri­table ampleur en revêtant le masque de l’hypocrite. Maniant le langage avec une extrême virtuosité depuis le début de la pièce, il pervertit définitivement cette adresse en en faisant un instrument du mensonge et de la ruse ; Dom Juan devient alors vraiment ce qu’il est : un rôle, acteur de sa propre existence, apparence labile qui refuse de fixer son identité dans quelque état que ce soit (refus de se conduire comme un noble, un mari ou un chrétien, c’est-à- dire de payer aucune dette à la socialité), en en dévoilant au public (Sganarelle, et au-delà le spectateur) l'inauthenticité. En donnant à un grand seigneur les attributs de son Tartuffe, Molière sert son premier propos en l'amplifiant : la perfidie ne concerne pas uniquement de pauvres hères, mais aussi des sei­gneurs, bien plus redoutables, car bien plus puissants.

► Dom Juan : un personnage ambigu

Ce personnage est d'autant plus redoutable qu’il ne rencontre pas de véritables obstacles. On a voulu faire de Sganarelle le contrepoint vertueux de son maître. Or, outre que celui-ci a une morale incertaine (le Moine-Bourru étant pour lui une croyance infaillible), le moyen qu’il a de se défendre est trop grotesque pour pouvoir sérieusement contrebalancer les discours de son maître. Ses maladresses, la peur incessante qu’il a de Dom Juan et ses attributs classiques de valet de comédie ne lui permettent pas de dessiner un pôle solide de référence face à Dom Juan. Même les éléments transcendants qui viennent contrer l’ascension de Dom Juan sont suspects. Le tonnerre, le spectre changeant et la statue animée, en se référant au genre de la pièce à machines, transfor­ment le châtiment du mécréant en spectacle flamboyant.

Or ce déploiement d’effets est tellement spectaculaire qu’il en devient ambigu, comme si Molière avait besoin de souligner avec force ce qui, sans cela, demeurerait litigieux, et pourrait éveiller les doutes du public envers sa conception d’un personnage auquel il prête ses accents les plus virtuoses. Les obstacles les plus évi­dents ne sont d’ailleurs pas ceux qui perturbent le plus Dom Juan ; en revanche, certains éléments détériorent plus efficace­ment son image. Les péripéties elles-mêmes fonctionnent comme élément déstabilisateur : on voit ainsi Dom Juan embarrassé entre deux femmes, ridiculisé à la sortie d’une noyade, obligé de recourir au mensonge face à ses adversaires et, surtout, son affrontement avec Elvire le disqualifie.

Aussi indifférent à la première paysanne qu'à une dame de haute naissance qu’il a épousée, Dom Juan révèle ainsi son impuissance à aimer. Il est celui qui révèle la femme à son désir, lui donnant ainsi une nouvelle dimension érotique, sans pouvoir à son tour se maintenir dans ce désir qu’il fait naître. Entre impuis­sance amoureuse, pour le moins paradoxale, et démystification sociale, Dom Juan constitue bien cet être fondamentalement double qui pourrait bien, au bout du compte, figurer comme le double improbable d’Elvire elle-même. En effet, dans la scène pathétique qui les oppose, l’élévation mystique de celle-ci fonctionne comme la face éclairée d'un désir d’absolu identique, qui exige une impossible fusion avec l’Autre : dès lors, deux solutions seules demeurent : l’abandon, ou bien la révolte, qui ne trouvera que dans la mort le lieu auquel aspire le sujet.

 

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