Tout texte bien écrit est susceptible de créer chez son lecteur une émotion esthétique. Mais certains textes provoquent aussi une autre forme d'émotion : ils agissent sur l'humeur du lecteur pour la rendre plus gaie, plus triste, plus nostalgique... Ces textes ont ce qu'on appelle un ton, c'est-à-dire un ensemble de caractéristiques qui induisent un certain état affectif chez le destinataire.
LE TON D'UN TEXTE : DÉFINITION
Le ton comique
Définition | Procédés utilisés | |
---|---|---|
La fantaisie verbale |
Elle consiste à utiliser les ressources comiques du langage lui-même. |
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Le comique parodique |
C'est l'imitation moqueuse de quelqu'un ou de ce qui pourrait être dit, sérieusement, sur un sujet. |
Détournements de mots et de phrases de leur sens premier
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L'absurde |
L'absurde s'installe par l'intermédiaire de propos déroutants, par l'absence de logique et par le caractère imprévisible du discours. |
Décalages entre une forme apparemment très sérieuse et un contenu insensé Exemple : le texte de Devos |
L'humour |
L'humour met en évidence, sans méchanceté, des aspects ridicules d'un personnage ou d'une situation. |
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L'ironie |
L'ironie est la dénonciation au second degré de quelque chose d'inacceptable, le rire étant alors chargé d'un rôle de destructeur de ce qui est dénoncé. |
Surtout l'antiphrase |
Le ton pathétique
Son objectif est de provoquer une sorte d'attendrissement en portant à son extrême l'expression des sentiments. C'est le ton sur lequel on décrit des souffrances ou des luttes humaines dans des situations difficiles. L'exaltation y est fréquente ainsi que les changements de rythme pour mieux bouleverser le lecteur.
Exemple : Bernardin de Saint-Pierre (voir ci-dessos) emploie des termes très forts : « éternel », « terrible », « effroyable » ; et il n'hésite pas à faire intervenir les cris des spectateurs.
Le ton tragique
En général, l'émotion qu'il suscite naît de la conviction intime qu'il n'y a plus d'issue, que le destin s'acharne inéluctablement sur l'homme voué au désespoir et à la mort. Il agit plus par la gravité que par l'exaltation ; le débit du discours est assez égal, mais toujours avec une certaine ampleur.
Exemple : L'extrait d'Hernani (voir ci-dessous), avec l'ampleur de l'alexandrin, annonce l'inévitable arrivée de la mort.
Le ton lyrique
Parlant de lui-même, l'auteur cherche à créer avec son lecteur une sorte de communauté d'âme, parce qu'il évoque, de façon exaltée ou méditative, des sentiments intimes communs à tous les hommes. Le « je » y est donc tout-puissant, mais il est parfois relayé par le « on » ou le « nous » rappelant le caractère universel de l'expérience personnelle. Cela se fait en jouant aussi sur la musicalité de la langue, ce qui explique que le lyrisme apparaisse surtout en poésie.
Le ton épique
Sa caractéristique principale est de donner aux êtres et aux événements une dimension qui les dépasse : ils représentent symboliquement les valeurs d'une société et l'aventure de tout un groupe. Les grandes forces collectives et cosmiques s'y expriment, avec éventuellement l'intervention du merveilleux.
LE TON OU TONALITÉ D'UN TEXTE : TROIS EXEMPLES
Le ton absurde
Raymond Devos, artiste comique contemporain, fonde très souvent ses sketches sur une fantaisie verbale qui peut mener à l’absurde.
« Je connaissais un sportif qui prétendait avoir plus de ressort que sa montre.
Pour le prouver, il a fait la course contre sa montre.
II a remonté sa montre, il s’est mis à marcher en même temps qu’elle.
Lorsque le ressort de la montre est arrivé en bout de course, la montre s’est arrêtée.
Lui a continué,
et il a prétendu avoir gagné en dernier ressort ! »
Raymond Devos, Sens dessus dessous, 1976. Éd. Stock
Le ton pathétique
Paul et Virginie se sont aimés dès l’enfance. Paul, sans pouvoir la secourir, voit sous ses yeux mourir Virginie dans le naufrage, d’où le récit pathétique suivant.
i « On vit alors un objet digne d’une éternelle pitié : une jeune demoiselle parut dans la galerie de la poupe du Saint-Géran, tendant les bras vers celui qui faisait tant d’efforts pour la joindre. C’était Virginie. Elle avait reconnu son amant à son intrépidité. La vue de cette aimable personne, exposée à un si terrible danger, nous remplit de douleur et de désespoir. Pour Virginie, d’un port noble et assuré, elle nous faisait signe de la main, comme nous disant un éternel adieu. Tous les matelots s’étaient jetés à la mer. Il n’en restait plus qu’un sur le pont, qui était tout nu et nerveux comme Hercule. Il s’approcha de Virginie avec respect : nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s’efforcer même de lui ôter ses habits ; mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa vue. On entendit aussitôt les cris redoublés des spectateurs : « Sauvez-la, sauvez-la ; ne la quittez pas ! » Mais dans ce moment une montagne d’eau d’une effroyable grandeur s’engouffra entre l’île d’Ambre et la côte, et s’avança en rugissant vers le vaisseau, qu’elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets écumants. A cette terrible vue le matelot s’élança seul à la mer ; et Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l’autre sur son cœur, et levant en haut ses yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers les deux. »
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, 1788
Le ton tragique
Hernani, le héros de Victor Hugo, va mourir. Il voudrait ne pas entraîner celle qu’il aime, Doña Sol, dans cette mort inéluctable, et il exprime le tragique de sa destinée.
« Détrompe-toi. Je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé
D'un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête.
Si, parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche ! et l’abîme est profond,
Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond !
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
Oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal !
Hélas ! sans le vouloir je te ferais du mal ! »
Victor Hugo, Hemani, 1830
LE TON D'UN TEXTE : EXERCICES
Exercice 1: reconnaître le ton employé dans un texte
Que pense V. Hugo de sa propre jeunesse ? A quoi le voyez-vous ? Quel est le ton employé ?
Elle me dit : « Quelque chose Me tourmente. » Et j’aperçus Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.
J’aurais dû — mais, sage ou fou,
A seize ans on est farouche, —
Voir le baiser sur sa bouche Plus que l’insecte à son cou.
On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir Se penchaient dans le feuillage.
Sa bouche fraîche était là : —
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s’envola.
« Fils, apprends comme on me nomme »,
Dit l’insecte du ciel bleu,
« Les bêtes sont au bon Dieu ;
Mais la bêtise est à l’homme. »
Hugo, Les Contemplations, I, 15
Exercice 2 : deux tons mêlés
Oreste, parce qu'il aime Hermione, accepte de tuer l'amant qui la dédaigne. Mais Hermione lui reproche ensuite le meurtre commis et se tue. Oreste crie son désespoir sur deux tons mêlés. Lesquels ?
« Grâce aux dieux ! mon malheur passe mon espérance !
Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance !
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m’as fait parvenir ;
Ta haine a pris plaisir à former ma misère ;
J’étais né pour servir d’exemple à ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli.
Hé bien ! je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie ;
L'un et l’autre en mourant je les veux regarder :
Réunissons trois cœurs qui n’ont pu s’accorder... »
Racine, Andromaque, scène finale
Exercice 3 : le ton et le rythme
Dans le texte suivant; observez le choix des pronoms sujets ; qu'en déduire ? Observez aussi la coupe des vers : pourquoi l'auteur adopte-t-il ce rythme ? Quel est donc le ton du texte ?
Adrienne parle de son amour pour le fils de Toussaint :
« 0 jours délicieux ! ô ravissante aurore
De deux cœurs où l’amour rayonne avant d’éclore !
Jeux naïfs de l’enfance, où le secret surpris,
Se trahit mille fois avant d’être compris !
Pas qui cherchaient les pas, mains dans les mains gardées ;
Confidences du cœur dans les yeux regardées ;
Promenades sans but sur des pics hasardeux,
Où l’on se sent complet parce que l’on est deux ;
Source trouvée à l’ombre où la tête se penche ;
Fruits où l’on mord ensemble en inclinant la branche ;
Une heure effaça tout. Le jour vint ; il partit...
Je restai seule au monde et tout s’anéantit. »
Lamartine, Toussaint Louverture
Exercice 4 : le passage d'un ton à un autre
Lisez d'abord les deux premiers paragraphes du texte suivant Quel en est le ton ? Justifiez votre réponse. Lisez maintenant les deux derniers paragraphes : sur quel ton le texte se termine-t-il ? Quel est le mot à double sens qui facilite le passage d'un ton à l'autre ?
L’extase
« La nuit était venue, la lune émergeait de l’horizon, étalant sur le pavé bleu du ciel sa robe couleur soufre.
J’étais assis près de ma bien-aimée, oh ! bien près ! Je serrais ses mains, j’aspirais la tiède senteur de son cou, le souffle enivrant de sa bouche, je me serrais contre son épaule, j’avais envie de pleurer ; l’extase me tenait palpitant, éperdu, mon âme volait à tire d’aile sur la mer de l’infini.
Tout à coup elle se leva, dégagea sa main, disparut dans la charmoie, et j’entendis comme un crépitement de pluie dans la feuillée.
Le rêve délicieux s’évanouit... ; je retombais sur la terre, sur l’ignoble terre. 0 mon Dieu ; c’était donc vrai, elle, la divine aimée, elle était, comme les autres, l’esclave de vulgaires besoins ! »
Huysmans, Le Drageoir aux épices, 1884
Exercice 5: le comique reposant sur un mot
Dans le texte suivant, le comique repose sur un mot; lequel ? Analysez les malentendus sur les mots. Puis, à votre tour; bâtissez un court dialogue dont le comique naîtra d'un mot mal compris.
Bélise
Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
Martine
Qui parle d’offenser grand’mère ni grand’père ?
Philaminte
O Ciel !
Bélise
Grammaire est prise à contre-sens par toi,
Et je t’ai dit d’où vient ce mot.
Martine
Ma foi !
Qu’il vienne de Chaillot, d’Auteuil, ou de Pontoise, Cela ne me fait rien.
Bélise Quelle âme villageoise !
La grammaire, du verbe et du nominatif,
Comme de l’adjectif avec le substantif,
Nous enseigne les lois.
Martine
J’ai, Madame, à vous dire Que je ne connois pas ces gens-là !
Phimalinte
Quel martyre !
Bélise
Ce sont les noms des mots, et l’on doit regarder En quoi c’est qu’il les faut faire ensemble accorder.
Martine
Qu’ils s’accordent entr’eux, ou se gourment, qu’importe ?
Molière, Les Femmes savantes, II, 6, 1672
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