Récit et discours sont les deux catégories fondamentales d'énoncés. Grâce à leurs caractéristiques, on peut déterminer si un texte appartient à l'une ou à l'autre de ces deux catégories. On obtient alors de précieuses indications sur la situation de communication et les intentions de celui qui émet le message.
RÉCIT ET DISCOURS, DÉFINITION
Le récit est une histoire, celle d'événements réels ou imaginaires ; l'auteur n'intervient pas directement : aucune communication directe ne s'établit entre émetteur et récepteur. Les genres utilisant surtout le récit sont les romans, les nouvelles, les biographies et autobiographies, les fables, les histoires drôles...
Le discours est un dialogue, un commentaire, une explication, une argumentation ; il ne raconte pas quelque chose, il parle à propos de quelque chose ; l'émetteur (l'auteur) s'affirme souvent comme présent, et manifeste l'intention d'influencer l'autre. Les genres utilisant le discours sont les essais, le théâtre, les ouvrages critiques, les articles de fond de journaux et de magazines, les modes d'emploi...
CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES DU RÉCIT ET DU DISCOURS
Récit | Discours | |
---|---|---|
les temps dominants |
— Le passé simple ou le présent de narration sont les temps dominants. — L'imparfait indique la répétition ou la durée d'une action, la description d'un lieu ou d'un personnage. Exemple : Dans l'extrait de Salammbô (voir ci-dessous) le passé simple cède assez souvent la place à l'imparfait de répétition. |
— Le passé composé ou le présent sont les temps les plus employés. Exemple : Dans la lettre de Flaubert (voir ci-dessous), le présent revient sans cesse, mais le passé composé apparaît au moment où l'interlocuteur est renvoyé à une période antérieure « m'a un peu blessé ». |
Les pronoms personnels |
— La 3e personne domine. — Si l'on rencontre le « je », il ne s'agit pas du sujet parlant, mais du passé de l'émetteur se prenant lui-même comme objet (autobiographie), ou d'un narrateur fictif distinct de l'auteur. |
— La 1re et la 2e personnes sont utilisées dès que s'affirme la relation entre l'émetteur et le récepteur. Exemple : Dans la lettre de Flaubert ci-dessous, le « je » et le « tu » sont même rassemblés un instant dans le « nous ». |
Les indicateurs de lieu et de temps |
Le repérage se fait par rapport aux événements entre eux : ce sont des lieux et des moments internes à l'histoire. Exemple : « aussitôt » (ligne 4) * dès maintenant ; « six pas plus loin » (ligne 29) * à six pas d'ici. |
Le repérage se fait par rapport à la situation d'énonciation, par rapport au présent de l'énonciateur et au lieu qu'il occupe. Exemple : dans la lettre « un de ces jours » (ligne 6) : le démonstratif montre que cette date est fixée par rapport au présent de l'émetteur. |
Les révélateurs du degré de conviction et de l'opinion de l'émetteur |
Ces révélateurs sont absents, dans la mesure où l'émetteur s'efface. | Ces révélateurs sont présents : l'auteur prend position quant à la vérité/fausseté, certitude/incertitude de son propre énoncé. Exemple : l'adverbe « franchement » (ligne 1). |
L'ALTERNANCE DISCOURS/ RÉCIT DANS UN TEXTE
1. Le récit à l'intérieur du discours
C'est le cas où l'auteur illustre son propos par une anecdote. Il veut ainsi justifier plus concrètement ce que le discours lui permet de démontrer théoriquement.
Exemple : dans un manuel de sciences naturelles, de physique, le récit d'une expérience accompagne et permet la déduction théorique qui, elle, est un discours.
2. Le discours à l'intérieur du récit
Il permet au narrateur d'apporter des précisions extérieures au récit, pour mieux comprendre le récit ou pour le prolonger. Exemple : dans un journal, le commentaire d'un fait divers peut conduire à des remarques générales.
Il permet aussi à l'auteur d'intervenir lui-même en s'adressant au lecteur, ce qui transforme la situation de communication : le narrateur caché se transforme en interlocuteur du lecteur, ce qui crée une connivence. Exemple : dans son roman Jacques le Fataliste, Diderot pratique un aller-retour incessant du récit au discours.
DISCOURS ET RÉCIT : DEUX EXEMPLES
1. Exemple de récit
A la fin du roman « Salammbô », après une guerre longue et sanglante, les Carthaginois sont définitivement vainqueurs des Barbares. Ils se vengent sur Mâtho, le dernier Barbare capturé.
« Un enfant lui déchira l’oreille ; une jeune fille, dissimulant sous sa manche la pointe d’un fuseau, lui fendit la joue ; on lui enlevait des poignées de cheveux, des lambeaux de chair ; d’autres avec des bâtons où tenaient des éponges imbibées d’immondices, tamponnaient le visage. Du côté droit de sa gorge, un flot de sang jaillit : aussitôt le délire commença. Ce dernier des Barbares leur présentait tous les Barbares, toute l’armée ; ils se vengeaient sur lui de leurs désastres, de leurs terreurs, de leurs opprobres. La rage du peuple se développait en s’assouvissant ; les chaînes trop tendues se courbaient, allaient se rompre ; ils ne sentaient pas les coups des esclaves frappant sur eux pour les refouler ; d’autres se cramponnaient aux saillies des maisons ; toutes les ouvertures dans les murailles étaient bouchées par des têtes ; et le mal qu’ils pouvaient lui faire, ils le hurlaient.
C’étaient des injures atroces, immondes, avec des encouragements ironiques et d’imprécations ; et comme ils n’avaient pas assez de sa douleur présente, ils lui en annonçaient d’autres plus terribles encore pour l’éternité. Ce vaste aboiement emplissait Carthage, avec une continuité stupide. Souvent une seule syllabe, une intonation rauque, profonde, frénétique, était répétée durant quelques minutes par le peuple entier. De la base au sommet les murs en vibraient, les deux parois de la rue semblaient à Mâtho venir contre lui et l’enlever du sol, comme deux bras immenses qui l’étouffaient dans l’air.
Cependant il se souvenait d’avoir, autrefois, éprouvé quelque chose de pareil. C’était la même foule sur les terrasses, les mêmes regards, la même colère ; mais alors il marchait libre, tous s’écartaient, un Dieu le recouvrait ; et ce souvenir, peu à peu se précisant, lui apportait une tristesse écrasante. Des ombres passaient devant ses yeux ; la ville tourbillonnait dans sa tête, son sang ruisselait par une blessure de sa hanche, il se sentait mourir ; ses jarrets plièrent, et il s’affaissa tout doucement, sur les dalles.
Quelqu’un alla prendre, au péristyle du temple de Melkarth, la barre d’un trépie rougie par des charbons, et, la glissant sous la première chaîne, il l’appuya contre sa plaie. On vit la chair fumer ; les huées du peuple étouffèrent sa voix ; il était debout.
Six pas plus loin, et une troisième, une quatrième fois encore il tomba ; toujours un supplice nouveau le relevait. On lui envoyait avec des tubes des gouttelettes d’huile bouillante ; on sema sous ses pas des tessons de verre ; il continuait à marcher. Au coin de la rue de Sateb, il s’accota sous l’auvent d’une boutique, le dos contre la muraille, et n’avança plus. »
Gustave Flaubert, Salammbô, 1861
2. Exemple de discours
A la publication de « Salammbô », Sainte-Beuve rédige une critique très sévère. Il reproche à Flaubert « une pointe d’imagination sadique ». Celui-ci répond :
« Et puisque nous sommes en train de nous dire nos vérités, franchement, je vous avouerai, cher maître, que la pointe d’imagination sadique m’a un peu blessé. Toutes vos paroles sont graves. Or un tel mot de vous, lorsqu'il est imprimé, devient presque une flétrissure. Oubliez-vous que je me suis assis sur les bancs de la Correctionnelle comme prévenu d’outrage aux mœurs, et que les imbéciles et les méchants se font des armes de tout ? Ne soyez donc pas étonné si un de ces jours vous lisez dans quelque petit journal diffamateur, comme il en existe, quelque chose d’analogue à ceci : « M. G. Flaubert est un disciple de Sade. Son ami, son parrain, un maître en fait de critique, l’a dit lui-même assez clairement, bien qu’avec cette finesse et cette bonhomie railleuse, qui etc. » Qu’aurais-je à répondre, — et à faire ? »
Lettre de Flaubert à Sainte-Beuve, décembre 1862
EXERCICES : LE RÉCIT ET LE DISCOURS, LEUR RÔLE ET LEURS RAPPORTS
Exercice 1: reconnaître le récit et le discours
Les deux textes suivants sont du même auteur et abordent le même sujet : lequel est un discours, lequel est un récit, pourquoi ?
Texte 1
(Coupeau, qui refuse de boire, est pris à parti par ses compagnons de travail lorsqu'il arrive avec Gervaise au bar de l’Assommoir.)
« — Comment ! c’est cet aristo de Cadet-Cassis ! cria Mes-Bottes, en appliquant une rude tape sur l’épaule de Coupeau. Un joli monsieur qui fume du papier et qui a du linge !... On veut donc épater sa connaissance, on lui paye des douceurs !
— Hein ! ne m’embête pas ! répondit Coupeau, très contrarié.
Mais l’autre ricanait.
— Suffit ! on est à la hauteur, mon bonhomme... Les mufles sont des mufles, voilà !
Il tourna le dos, après avoir louché terriblement, en regardant Gervaise. Celle-ci se reculait, un peu effrayée. La fumée des pipes, l’odeur forte de tous ces hommes, montaient dans l’air chargé d’alcool ; et elle étouffait, prise d’une petite toux.
— Oh ! c’est vilain de boire ! dit-elle à demi-voix.
Et elle raconta qu’autrefois, avec sa mère, elle buvait de l’anisette, à Plassans. Mais elle avait failli en mourir un jour, et ça l’avait dégoûtée ; elle ne pouvait plus voir les liqueurs.
— Tenez, ajouta-t-elle en montrant son verre, j’ai mangé ma prune ; seulement, je laisserai la sauce, parce que ça me ferait du mal. »
Zola, L’Assommoir
Texte 2
« Si l’on voulait me forcer absolument à conclure, je dirais que tout L'Assommoir peut se résumer dans cette formule : Fermez les cabarets, ouvrez les écoles. L'ivrognerie dévore le peuple. Consultez les statistiques, allez dans les hôpitaux, faites une enquête, vous verrez si je mens. L'homme qui tuerait l’ivrognerie ferait plus pour la France que Charlemagne et Napoléon. J’ajouterai encore : Assainissez les faubourgs et augmentez les salaires. La question du logement est capitale ; les puanteurs de la rue, l’escalier sordide, l’étroite chambre où dorment pêle-mêle les pères et les filles, les frères et les sœurs, sont la grande cause de la dépravation des faubourgs. Le travail écrasant qui rapproche l’homme de la brute, le salaire insuffisant qui décourage et fait chercher l’oubli, achèvent d’emplir les cabarets et les maisons de tolérance. Oui, le peuple est ainsi, mais parce que la société le veut bien. »
Zola, Lettre du 13 février 1877 au Directeur du Bien Public
Exercice 2 : le rôle du discours dans le récit
Le texte suivant comporte un récit et un discours. Repérez-les et expliquez le rôle du discours, sachant que ce texte est situé à la fin du roman de Balzac.
« Revenu chez lui, le comte écrivit une lettre très courte, et chargea son valet de chambre de porter à Mme de Beauséant, en lui recommandant faire savoir à la marquise qu’il s’agissait de vie ou de mort pour lui.
Le messager parti, M. de Nueil rentra dans le salon e trouva sa femme qui continuait à déchiffrer le caprice, s’assit en attendant la réponse. Une heure après, le caprice fini, les deux époux étaient l’un devant l’autre, silencieux, chacun d’un côté de la cheminée, lorsque valet de chambre revint de Valleroy, et remit à son maître la lettre qui n’avait pas été ouverte.
M. de Nueil passa dans un boudoir attenant au salon où il avait mis son fusil en revenant de la chasse, et se tua.
Ce prompt et fatal dénouement, si contraire à toutes les habitudes de la jeune France, est naturel.
Les gens qui ont bien observé, ou délicieusement éprouvé les phénomènes auxquels l’union parfaite de deux êtres donne lieu, comprendront parfaitement ce suicide.
Une femme ne se forme pas, ne se plie pas en un jour aux caprices de la passion. La volupté, comme une fleur rare, demande les soins de la culture la plus ingénieuse; le temps, l’accord des âmes, peuvent seuls en révéler toutes les ressources, faire naître ces plaisirs tendre: délicats, pour lesquels nous sommes imbus de mille superstitions et que nous croyons inhérents à la personne dont le cœur nous les prodigue.
Cette admirable entente, cette croyance religieuse, et la certitude féconde de ressentir un bonheur particulier ou excessif près de la personne aimée, sont en partie le secret des attachements durables et des longues passions. (...) Il faut avoir eu la crainte de perdre un amour si vaste, si brillant, ou l’avoir perdu, pour en connaître tout le prix. Mais si l’ayant connu, un homme s’en est privé pour tomber dans quelque mariage froid ; si la femme avec laquelle il a espéré rencontrer les mêmes félicités lui prouve, par quelques-uns de ces faits ensevelis dans les ténèbres de la vie conjugale, qu’elles ne renaîtront plus pour lui ; s’il a encore sur les lèvres le goût d’un amour céleste, et qu’il ait blessé mortellement sa véritable épouse au profit d’une chimère sociale, alors il faut mourir ou avoir cette philosophie matérielle égoïste, froide, qui fait horreur aux âmes passionnées. »
Honoré de Balzac, La Femme abandonnée
Exercice 3 : le rapport entre discours et récit
Le texte ci-dessous alterne le récit et le discours ; où est le récit, où est le discours ? Justifiez vos réponses et dites quel rapport récit et discours entretiennent entre eux. Puis composez à votre tour un texte sur le même modèle, développant au choix l'une des idées suivantes :
- Sa timidité pose au timide de nombreux problèmes.
- On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
- Les gens moqueurs trouvent toujours plus moqueurs qu'eux.
« Je ne suis pas bon naturaliste (qu’ils disent) et ne sais guère par quels ressorts la peur agit en nous ; mais tant il y a que c’est une étrange passion ; et disent les médecins qu’il n’en est aucune qui emporte plutôt notre jugement hors de sa due assiette. De vrai, j’ai vu beaucoup de gens devenus insensés de peur ; et, aux plus rassis, il est certain, pendant que son accès dure, qu’elle engendre de terribles éblouissements. Je laisse à part le vulgaire, à qui elle représente tantôt les bisaïeuls sortis du tombeau enveloppés en leur suaire, tantôt des loups-garous, des lutins et des chimères. Mais parmi les soldats mêmes, où elle devrait trouver moins de place, combien de fois a-t- elle changé un troupeau de brebis en escadron de corselets ? des roseaux et des cannes en gens d’armes et lanciers ? nos amis en nos ennemis ? et la croix blanche à la rouge ?
Lorsque monsieur de Bourbon prit Rome, un porte- enseigne qui était à la garde du bourg Saint-Pierre fut saisi d’un tel effroi à la première alarme que par le trou d’une ruine il se jeta, l’enseigne au poing, hors la ville, droit aux ennemis, pensant tirer vers le dedans de la ville ; et à peine enfin, voyant la troupe de monsieur de Bourbon se ranger pour le soutenir, estimant que ce fût une sortie que ceux de la ville fissent, il se reconnut, et tournant tête, rentra par ce même trou par lequel il était sorti plus de trois cents pas avant en la campagne. »
Montaigne, Essais (orthographe modernisée)
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