I- Présentation du conte philosophique: 

CANDIDE ou l'Optimisme. Conte de François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), publié à Genève chez Cramer en 1759; réédition augmentée en 1761.

«Qu'est-ce qu'une brochure intitulée Candide qu'on débite, dit-on, avec scandale... On prétend qu'il y a des gens assez impertinents pour m'imputer cet ouvrage que je n'ai jamais vu»: Voltaire multiplie les faux désaveux, heureux de n'être point cru, pour ce Candide ou l'Optimisme, traduit de l'allemand de M. le Docteur Ralph. Ce docteur Ralph décède à Minden, l'an de grâce 1759, précise l'édition de 1761. Il avait été remplacé dans la Correspondance de Voltaire par un certain M. Desmal ou Démad, puis par son frère, «capitaine au régiment de Brunswick». Succès de l'ouvrage. Candide reste le plus grand titre de gloire de Voltaire.

Candide n'a point été improvisé. Lu sans doute dans une première version à l'électeur palatin auquel Voltaire rendit visite à Mannheim en juillet 1758, il est achevé en octobre de la même année. On dispose d'un manuscrit envoyé au duc de La Vallière où se trouvent plusieurs versions du chapitre parisien. Candide est publié en janvier et février 1759. Ces quelques repères ne peuvent rendre compte de la genèse d'une œuvre qui, sous une forme condensée, est la somme des expériences, pensées et lectures de Voltaire: tous les thèmes de Candide sont présents dans la Correspondance entre 1755 et 1757. Le rêve du jardin a pris corps avec l'installation aux Délices (1755). Le tremblement de terre de Lisbonne (1er novembre 1755), puis, en 1756-1757, les horreurs de la guerre de Sept Ans infligent de cruels démentis aux sectateurs de l'optimisme, dont la leibnizienne duchesse de Saxe-Gotha. La recherche des sources est sans fin: les éditions critiques ont multiplié les rapprochements sans épuiser sans doute la matière pour l'auteur d'une histoire universelle. Mais ce grand liseur est manifestement inspiré quand il rédige les aventures de son Candide.

II- Résumé de Candide

Jeune bâtard, Candide, esprit simple mais droit, vit en Westphalie dans le château de son oncle, le baron de Thunder-ten-Tronckh. Son maître Pangloss lui enseigne que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il le croit, mais se fait chasser du «paradis» pour un baiser donné à sa cousine, Cunégonde (chap. 1). Enrôlé par des recruteurs (2), témoin d'une «boucherie héroïque» entre troupes abares et bulgares, il déserte et découvre en Hollande l'intolérance (3). Il retrouve Pangloss que la vérole a défiguré. Pangloss lui raconte la destruction du «plus beau des châteaux», la mort de ses habitants. Candide et Pangloss sont recueillis par un bon anabaptiste, Jacques, qui les emmène au Portugal où il va commercer (4). Jacques périt au cours d'une horrible tempête. Lorsque Candide et Pangloss arrivent à Lisbonne, la terre se met à trembler. Ils sont déférés à l'Inquisition pour quelques discours suspects (5). On fait un «bel autodafé» pour empêcher la terre de trembler de nouveau. Pangloss est pendu, Candide fessé (6). Soigné par une vieille, Candide retrouve Cunégonde qui lui raconte son histoire (7-8). Elle partage ses faveurs entre le Juif don Issachar et le grand inquisiteur. Candide tue les deux amants de sa belle. Il s'enfuit avec Cunégonde et la vieille (9). Ils embarquent pour l'Amérique (10). La vieille, pendant la traversée, leur raconte comment, fille d'un pape et d'une princesse, elle est devenue, après maintes tribulations, servante et comment elle eut une fesse coupée (11-12). Les fugitifs abordent à Buenos-Aires dont le gouverneur s'éprend pour Cunégonde d'une violente passion. Candide, recherché par la police, doit fuir (13). En compagnie de son valet Cacambo, il se rend chez les jésuites du Paraguay. Il retrouve le frère de Cunégonde (14). Celui-ci s'oppose au mariage de sa sœur avec un bâtard. Candide, fou de rage, le tue (15). Fuite de Candide et de Cacambo au pays des Oreillons qui s'apprêtent à les manger, mais leur font grâce comme ennemis des jésuites (16). Ils arrivent dans l'Eldorado, pays où tout va bien: richesses inouïes, déisme sans clergé, monarchie éclairée. Ils en repartent pourtant, munis de diamants, désireux de retrouver Cunégonde et de s'acheter un royaume (17-18). À Surinam, après avoir rencontré un nègre victime de l'esclavage, ils se séparent. Cacambo part pour Buenos Aires; Candide, volé par un négociant hollandais, s'embarque pour l'Europe, accompagné du philosophe Martin (19). La traversée se passe à discuter avec Martin qui pense que tout va mal (20). En France, Candide est dupé et volé. Il trompe Cunégonde à Paris avec une fausse marquise (21-22). Obligés de fuir, Candide et Martin embarquent à Dieppe, longent les côtes anglaises et assistent à l'exécution d'un amiral (23), puis arrivent à Venise où ils rencontrent Pâquette, ancienne servante de Cunégonde et amante de Pangloss, en compagnie d'un théatin, frère Giroflée (24). Candide rend visite au seigneur Pococuranté. Comblé de biens, celui-ci est blasé (25). Pendant le carnaval, Candide soupe avec six rois détrônés. Il retrouve Cacambo; Cunégonde est esclave en Turquie (26). Ils partent pour Constantinople, reconnaissent parmi les galériens Pangloss et le jeune baron «ressuscité» (27) qui racontent leurs aventures (28). Candide rachète Cunégonde et la vieille. Il épouse Cunégonde devenue affreusement laide, malgré le refus de son frère (29). Le jeune baron ayant été renvoyé aux galères, Candide achète, avec les derniers diamants de l'Eldorado, une métairie. Tous sont réunis et, à l'exemple d'un bon vieillard turc du voisinage, ils vont «cultiver [leur] jardin» (30).

III- Analyse du conte: 

Comme Voltaire l'avait déjà fait avec Zadig ou la Destinée, Memnon ou la Sagesse humaine, le titre associe le nom du héros, Candide, à celui d'une question philosophique, l'optimisme. Ce couplage prend ici une valeur provocante parce qu'il unit des mots aux connotations contradictoires: d'une part, l'innocence ou la naïveté liées au nom propre, d'autre part, la référence à la doctrine leibnizienne. Le héros n'incarne pas ce courant de pensée, on ne le dit pas optimiste: il est aux prises avec une philosophie, l'optimisme. Cette confrontation s'accomplit dans le cadre d'un roman de formation. Le héros, doué d'un «esprit simple», va conquérir difficilement son identité propre tant sa candeur native le prédispose à croire ingénument. Accentuée par la philosophie du «tout est bien» qui bloque toute remise en question, elle fait de lui le disciple d'un maître qui l'a ébloui. Son «jugement assez droit» devrait lui permettre de penser par lui-même, mais il lui faudra du temps pour conquérir son autonomie. Jusqu'aux dernières pages, il reste un témoin comparant inlassablement les articles du catéchisme inculqué par Pangloss aux horreurs du monde, sans vraiment en tirer de conséquences. Il ne prononce qu'à la dernière ligne le mot ambigu de la fin.

 

D'où un espace narratif largement exploité par Voltaire qui fait défiler les formes multiples du mal, des catastrophes naturelles aux violences de l'Histoire. Les expériences de Candide, lancé dans le vaste monde, sont à l'origine d'un inventaire de base. Celui-ci n'est pas linéaire. À chacun des personnages croisés par le héros s'attache une nouvelle récapitulation des misères et souffrances des hommes. Le malheur, l'absurde, l'odieux sont omniprésents. Ils offrent des variantes masculines ou féminines (le destin des femmes, c'est le viol ou la prostitution), des nuances sociales (les rois sont détrônés, le philosophe rongé par la vérole). Et toujours, ces réalités hideuses reçoivent une interprétation panglossienne qui paraît aberrante.

Les discours sont sans cesse démentis par les faits. Le «tout est bien», dénoncé avec une ironie grinçante, trouve un semblant de confirmation dans l'utopique Eldorado; mais Cunégonde en est absente et toute affirmation individuelle impossible. Candide et Cacambo s'empressent de quitter ce monde clos, sans avenir, condamné par sa perfection à se répéter indéfiniment. Le retour dans le monde réel est signé par une nouvelle invasion du mal, même si les richesses de l'Eldorado permettent à Candide d'en moins souffrir. Il l'est aussi sur le plan idéologique par le «tout est mal» du philosophe Martin. Tiraillé entre deux philosophies contradictoires, Candide va péniblement s'acheminer vers le refus des systèmes. Il fait taire l'incorrigible Pangloss en le rappelant à l'ordre: «Mais il faut cultiver notre jardin.» Le bâtard est devenu maître d'une communauté dont on a dû expulser l'arrogant jeune baron, représentant de valeurs aristocratiques qui n'ont plus cours sur les bords de la Propontide. Les beaux châteaux ont été incendiés; reste une métairie, en marge, pour rescapés du naufrage de la vie. Fin de la candeur et mort de l'optimisme: la vie humaine n'a point d'autre sens que celui qu'on lui donne. La quête d'une belle, s'achevant dans le dérisoire, les poursuites, enlèvements, naufrages, fausses morts, captivités, revers de fortune, toute cette mascarade des destins aboutit à ce finale désenchanté et tonique. Le petit groupe s'est mis au travail; malgré les désillusions et les insatisfactions, la rage de vivre l'emporte. Sans vivre bien, du moins peut-on vivre mieux. Par-delà ce dénouement «bête comme la vie», reste l'enchantement de pages à la gaieté corrosive.

C. MERVAUD,  "Dictionnaire des oeuvres littéraires de langue française." © Bordas, Paris 1994

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