Voltaire parle de Candide comme d’une « coïonnerie » ; il présente son œuvre comme une traduction d’un énigmatique auteur allemand, le Docteur Ralph. Au-delà du jeu et de la coquetterie de l’écrivain, Voltaire rappelle par là qu’il rêve de connaître la consécration comme dramaturge néo-classique, et que le conte philosophique est à ses yeux secondaire.

Mais c’est bien Candide qui est devenu le grand classique du XVIIIe siècle consacré par les programmes lycéens et universitaires.

LE RIDICULE DE L’OPTIMISME

Une attaque de Leibniz

Voltaire s’attaque à Y Essai de Théodicée de Leibniz publié en 1710 (voir IV, 3). Rappelons que Leibniz tente de concilier l’existence du mal et celle d’un Dieu créateur bon : Dieu étant bon n’a pu créer un monde totalement mauvais, il l’a créé le moins mauvais possible. D’où sa fameuse formule : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Pour Leibniz, tout est cohérent dans le monde, il n’y a pas d’« effet sans cause », tout peut s’expliquer par « une raison suffi­sante », raison qui échappe souvent à l’homme, mais l’univers a été conçu dans une « harmonie préétablie ». Voltaire ne cesse de ridiculiser ces citations de Leibniz en les déformant ou en les plaçant dans des contextes absurdes.

Candide: Une œuvre personnelle

En fait, Voltaire a longtemps été optimiste. Il écrit même dans « Le Mondain » (1736) : «Le paradis terrestre est où je suis »... un vers qui semble aller au-delà de l’optimisme de Leibniz ! Mais, à partir de 1750, les déceptions personnelles s’accumulent. Les déceptions amoureuses d’abord : Madame du Châtelet, brillante intellectuelle qu’il admire, le trompe avant de mourir prématurément ; la comtesse de Bentinck refuse de s’installer avec lui ; sa nièce Madame Denis qui lui sert de gouvernante l’insupporte : ceci éclaire la misogynie qu’il exprime dans le conte ! Les déceptions politiques ensuite : double échec à Versailles et à Berlin. Les déceptions religieuses enfin : il se brouille avec Genève la protestante après s’en être rapproché. À ceci s’ajoutent les horreurs de la guerre : la guerre de Sept-Ans se déroule de 1756 à 1763, la France est en guerre depuis 1757. Pour terminer, le tremblement de terre de Lisbonne qui fait plus de 20 000 victimes en 1755 traumatise Voltaire jusque l’effroi. Cette accumulation de malheurs est telle que l’optimisme auquel il a cru lui apparaît insupportable. Rageur, Voltaire écrit Candide pour régler ses comptes avec une vision du monde qui lui paraît scandaleuse. Un peu à la manière de son héros Candide, il confesse ses illusions perdues au contact d’une réalité impitoyable, une confession qui se fait sur le mode de la dérision sarcastique d’une écriture exorciste.

Pangloss, une incarnation caricaturale de l’optimisme

Il est celui qui est enfermé dans un système de pensée imbécile coupé de la réalité. Ce personnage outré est à l’opposé de l’intelligence exceptionnelle de Leibniz. Mais Voltaire se venge d’une pensée qu’il a partagée : sarcastique, il accumule les faits indubitables pour prouver que l’optimisme est pure spéculation, et pour imposer sa célèbre définition : « C’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ». Demeure une question importante : si le mal triomphe dans le monde, comment croire en l’existence d’un Dieu bon ? Et retenir l’hypothèse d’un Dieu mauvais, n’est-ce pas nier l’existence de Dieu ? Sans être athée, Voltaire est ici proche de l’agnosticisme, même si par ailleurs il a défendu la thèse du « Grand Horloger ».

CANDIDE, UN CONTE REALISTE

L’optimisme est démenti par la réalité

Il importe pour Voltaire de mettre son héros Candide intoxiqué par la théorie de Pangloss à l’épreuve des faits. Un conte est par essence fictif ; il devient sous la plume de Voltaire réaliste. De nombreux événe­ments rapportés sont historiques : les guerres, le tremblement de terre de Lisbonne, l’Inquisition, l’exécution de l’amiral Byng, les jésuites soutenant les révoltes des Indiens contre le roi d’Espagne, la vérole dévastatrice importée d’Amérique, la castration des futurs chanteurs à Rome etc.

Mais il ne suffit pas de ne pas mentir pour dire la vérité

D’une part, Voltaire caricature les faits qu’il présente, d’autre part, il ne choisit dans la réalité que des malheurs. Il jubile même à accumuler des horreurs ! Polémiste et non historien, son but n’est pas de livrer un document objectif sur la réalité du XVIIIe siècle, mais de dénoncer un système philosophique et des anomalies inacceptables ; il se réserve donc le droit de déformer le réel dans cette intention argumentative.


 


La position de Voltaire face au problème du mal

La question de l’origine du mal reste énigmatique, il est inutile de s’y arrêter. L’homme reste fondamentalement impuissant face aux catastrophes naturelles comme un tremblement de terre. Il est même assez impuissant face aux passions humaines égoïstes telles que la cupidité, l’orgueil, l’appétit de pouvoir etc. La nature humaine n’est pas bonne comme le dit Rousseau ! En revanche, certains dysfonctionnements sociaux ou politiques doivent être combattus car le monde est perfectible. Il faut donc combattre la guerre, le fanatisme religieux, l’esclavage : il est possible, non pas de construire un monde totalement juste, mais de le rendre moins injuste.

L’ART DE VIVRE VOLTAIRIEN : « IL FAUT CULTIVER NOTRE JARDIN ».

Le pessimiste dans Candide est Martin, Voltaire n’en fait pas son porte-parole. C’est Candide qu’il choisit pour formuler le célèbre aphorisme «Il faut cultiver notre jardin ». Voltaire n’est pas pessi­miste puisqu’il pense qu’une certaine forme de bonheur est acces­sible à l’homme.

Le « jardin »

Cette image est la métaphore des limites et de l’intimité. L’homme n’atteindra jamais ni la connaissance absolue ni le bonheur parfait ; il faut aussi exclure du jardin la barbarie de l’appétit du pouvoir qui régit la politique. Mais à l’intérieur de ces limites, l’homme peut progresser dans son savoir et dans la construction d’un monde plus harmonieux. Sans doute le jardin de l’homme est-il limité, mais celui-ci est capable de repousser considérablement ces bornes.

« Notre »

La première personne du pluriel définit une dimension collective au bonheur : l’homme n’est pas un ermite, il vit en société, et c’est au sein de cette société, avec les autres, que l’homme construit son bonheur. Candide vivra d’ailleurs dans une « petite communauté ». Le jardin est aussi, et surtout, celui des hommes, et non le jardin d’Éden que Dieu offre à l’homme. La Providence n’existant pas, c’est aux hommes de cultiver leur « jardin », en toute liberté et en toute responsabilité.

« Cultiver ».

Ce verbe définit une morale de l’action. Le travail est la valeur humaine par excellence : la vie n’est pas un cadeau tout fait offert à l’homme à sa naissance ; la vie au contraire se construit en exploitant son intelligence et sa capacité de créativité. Le travail n’est plus pour Voltaire une punition infligée par les dieux (pensée grecque) ou par Dieu (la Genèse et le judéo-christianisme) pour punir l’homme de ses fautes. Il est à l’inverse la possibilité d’exprimer sa liberté en construisant le monde et en se construisant soi-même, et ainsi de progresser.

« Il faut cultiver notre jardin » résume la leçon de Candide, l’art de vivre voltairien, la philosophie des lumières, et annonce la pensée moderne, l’existentialisme en particulier. Sartre défend au XXe siècle l’idée que l’homme est la somme de ses actes, qu’il est ce qu’il se fait. Voltaire est un moderne, le fervent défenseur d’un humanisme laïque. Il demeure celui qui se bat pour l’homme et contre tout ce qui fait obstacle à sa dignité et à son épanouis­sement. .. il demeure encore de nos jours « l’homme des Calas ».

 

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