I- Présentation du roman:
DERNIER JOUR D'UN CONDAMNÉ (le), 18... Roman de Victor Hugo (1802-1885), publié à Paris sans nom d'auteur chez Gosselin en 1829. La 3e édition ajoute en ouverture une «espèce de préface en dialogue», que Hugo intitule «Une comédie à propos d'une tragédie»; une nouvelle édition publiée chez Renduel en 1832 assortit l'ensemble d'une longue Préface consacrée à la peine de mort, question torturante posée à la société et à l'Histoire.
«Drame intérieur», ce livre, dont l'auteur justifie l'appellation de «roman» dans une lettre à son éditeur, détaille au fil de 49 chapitres l'implacable marche à une mort annoncée pour prononcer une «plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir».
II- Résumé du Dernier jour d'un condamné:
À la prison de Bicêtre, un condamné à mort note heure par heure les événements d'une journée dont il apprend qu'elle sera la dernière. Il rappelle les circonstances de la sentence, puis de son emprisonnement et la raison qui le fait écrire, jusqu'au moment où il lui sera physiquement impossible de continuer. Décrivant sa cellule, détaillant la progression de la journée, évoquant d'horribles souvenirs comme le ferrement des forçats, la complainte argotique d'une jeune fille, des rêves, il en arrive au transfert à la Conciergerie. Il interrompt le «sermon sentimental» et l'«élégie théologique» du prêtre et reprend le cours de ses notations. Puis on lui amène Marie, sa petite fille. C'est enfin l'ultime trajet. Il tremble, implore. On monte les marches de l'échafaud: il est quatre heures. Une dernière note «écrite de la main du condamné» ajoutée par l'«éditeur» reproduit en fac-similé la chanson en argot.
III- Analyse du roman
Hugo choisit de laisser l'identité, le passé et le crime du condamné dans l'ombre, insistant sur cette frustration en annonçant, au chapitre 47, que le condamné se proposait de relater ces circonstances, mais que les feuillets ont disparu. Ainsi la parole du personnage prise en charge par son journal se consacre-t-elle exclusivement à la pensée de la mort. Aucun développement romanesque, presque aucune ouverture sur la vie individuelle: le livre n'a pour objet que cette mort dont apparaît alors avec une force inouïe le caractère impensable. La peine de mort renvoie toute l'humanité à l'inhumanité de son horreur philosophique. S'il n'est véritablement personne, le condamné devient dès lors tout le monde.
Littérairement, c'est un «je» qui s'exprime avec une modernité remarquable, et transcrit un monologue intérieur. Camus lui doit sans doute la technique de l'Étranger. Rien en effet ne rassure le lecteur: cette voix, brutalement interrompue par la décapitation, énonce une agonie et renvoie à une terrible fascination du néant. L'homme sans nom est coupé du monde, et ne parle guère aux acolytes de la mort, depuis le concierge jusqu'à l'aumônier. Il ne lui reste plus qu'un langage inutile. Dire le vide, ou plutôt être ce vide même, écrire un indicible: tâche impossible et pourtant entreprise; tâche sans fin et pourtant commencée: «Mais quoi écrire?», se demande celui qui n'a plus qu'une idée obsédante dans sa solitude. «Procès-verbal de la pensée agonisante», «autopsie intellectuelle d'un condamné», le livre se donne aussi comme un antiroman, sans héros, sans intrigue, sans fin. Une composition lyrique organise le texte, alternant le cri et le récit, les chapitres longs et les chapitres brefs, les paragraphes purement narratifs avec d'autres centrés sur la sensation, l'ombre et la lumière, à la fois horreur vécue et dramatisation d'un poème de la conscience humaine. Plus qu'un réquisitoire contre la peine de mort, à quoi on le réduit souvent, ce texte, pour dire la monstruosité de la guillotine, invente une monstruosité (au sens hugolien) littéraire: la voix anonyme.
G. GENGEMBRE, "Dictionnaire des oeuvres littéraires de langue française." © Bordas, Paris 1994
Voir aussi:
Le dernier jour d\'un condamné: analyse du chapitre VI
Antigone : de Sophocle à Anouilh
Antigone de jean Anouilh: analyse du monologue du Choeur