Voyage au centre de la terre  est un Roman de Jules Verne (1828-1905), publié à Paris chez Hetzel en 1864. Deuxième grand roman de la série des «Voyages extraordinaires», évoquant une descente au creux maternel de la Terre, l’œuvre se charge d’un imaginaire aussi délirant qu’inquiétant, dont le sens symbolique apparaît comme une invite irrésistible à l’interprétation.

Résumé du roman 

Le 24 mai 1863, le professeur Lidenbrock, minéralogiste au Johannaeum de Hambourg, et son neveu, Axel, découvrent un étrange grimoire signé d’un fameux alchimiste islandais du XVIe siècle: Arne Saknussemm. Ils y apprennent la possibilité d’atteindre le centre de la Terre. Ils se lancent aussitôt dans la folle entreprise, au mépris de toutes les objections scientifiques qu’elle soulève (chapitres 1-8).

Les voici en Islande où, en compagnie de Hans, un guide dévoué et intrépide, ils s’enfoncent dans les entrailles d’un volcan éteint, le Sneffels, sur les traces d’Arne Saknussemm. Ils pénètrent alors dans un monde aussi fascinant que dangereux. Ils manquent mourir de soif, s’égarent dans un labyrinthe de galeries. Mais contre toute attente, au lieu de s’élever, la température des profondeurs terrestres se maintient à un degré parfaitement tolérable (chapitres 9-29).

Ils traversent des forêts d’immenses champignons, de fougères et d’arbres primitifs, pleines d’extraordinaires fossiles. Ils naviguent même sur un océan souterrain, peuplé de monstres préhistoriques. Une affreuse tempête les jette sur un rivage, hanté par un troupeau de mastodontes gardé par un géant. La signature d’Arne Saknussemm les y attendait, gravée dans le roc. Le scepticisme d’Axel en est ébranlé, pendant que Lidenbrock se montre de plus en plus exalté (chapitres 30-40).

Les explorateurs doivent s’ouvrir un passage à l’explosif. Entraînés sur un radeau dans la cheminée d’un volcan, ils sont ramenés par une éruption à la surface de la Terre. Ils se retrouvent ainsi, le 28 août, aux abords de l’île Stromboli, en Méditerranée, à «plus de douze cents lieues de leur point de départ». Lidenbrock connaît une gloire internationale, pendant qu’Axel, mûri par l’expérience, épouse Graüben, filleule du savant (chapitres 41-45). 

Analyse de Voyage au centre de la terre

Par rapport à l’inspiration la plus fréquente dans l’univers de Jules Verne, à son didactisme habituel, le lecteur se trouve ici profondément dépaysé. De fait, Voyage au centre de la Terre apparaît comme un roman tournant résolument le dos à la rationalité scientifique. Malgré les thèses de Poisson et d’autres «véritables savants», évoquées par Lidenbrock pour nier l’état de fusion interne du globe terrestre, celle-ci ne fait guère de doute dès avant 1864. Axel lui-même refusera jusqu’au bout d’adhérer aux conceptions de son oncle. Tout en s’avouant étonné par ce qu’il a vu et éprouvé, il affirme encore après son aventure: «En dépit de ce que j’ai vu, je crois et je croirai toujours à la chaleur centrale.»

Le personnage du savant, tel que l’incarne Lidenbrock, ne fait rien pour lever cette ambiguïté. Son caractère est excentrique, emporté. Il manifeste dans tous ses actes et dans toutes ses convictions une évidente démesure. On est frappé par sa naïveté, quand il s’engage dans la quête la plus insensée sur la foi d’un manuscrit aux origines incertaines. Il fait rire jusqu’à ses proches par ses défauts de langue. Suprême dérision, même la célébrité que lui vaudront ses exploits se trouvera ternie par la proposition de M. Barnum: «“L’exhiber” à un très haut prix dans les États de l’Union.» Autant de traits qui lui confèrent un aspect plus caricatural que crédible. D’ailleurs, il ne parvient ni à déchiffrer la signification du grimoire, révélée accidentellement à Axel, ni à expliquer le dérèglement de la boussole, lui aussi compris par son neveu. De plus, en voulant démentir la science moderne par l’alchimie médiévale, Lidenbrock se comporte avec une inconséquence choquante, aux yeux du scientisme positiviste du XIXe siècle.

D’ailleurs, quel savoir tirer d’une telle équipée? Aucune leçon de géographie amusante, ici. Les héros peuvent bien s’entretenir parfois de géologie ou de paléontologie, c’est toujours à la limite du rêve que leur discours les entraîne. Le monde qu’ils décrivent reste jusque dans sa substance plus imaginaire que réel. Comment analyser avec réalisme une nature surnaturelle? «Je croyais assister, remarque Axel, dans quelque planète lointaine, Uranus ou Neptune, à des phénomènes dont ma nature “terrestrielle” n’avait pas conscience.»

En fait, s’agissant de l’exploration d’un non-lieu, on doit se demander si l’ailleurs visité ne représente pas davantage le temps qu’un espace. Toute l’errance des trois personnages paraît en effet marquée d’une sorte de rétrogradation générale. Elle leur permet ainsi de revenir aux temps préhistoriques, aux âges primitifs. Leur voyage les entraîne au plus profond des strates géologiques, aux origines obscures du Cosmos: «Les siècles s’écoulent comme des jours! Je remonte la série des transformations terrestres.» Cette régression s’accompagne même d’un retour de l’individu sur lui-même, avant son existence, d’une redécouverte de l’état fœtal. L’immense caverne envahie par les eaux sur lesquelles ils naviguent, matrice gigantesque d’une vie toujours renouvelée depuis l’aube des temps, en est l’image la plus saisissante. En donnant leurs noms aux éléments de ce monde secret — «Port-Graüben», «îlot Axel» —, les héros semblent soucieux d’enraciner leur identité au cœur de ces ténèbres originelles. Ils gagnent ainsi le droit de renaître, comme paraît le figurer l’éruption qui les ramène au jour, accouchement symbolique par lequel ils sont rendus à la réalité.

L’aventure aura en fait correspondu à la durée d’une maturation nécessaire pour Axel, qui décrit au début du roman son «caractère un peu indécis». L’œuvre acquiert par là une dimension initiatique que d’aucuns n’hésiteraient pas à faire valoir par rapport à l’écrivain lui-même. Pour Mireille Gouaux-Coutrix, en transposant à travers la symbolique du récit les problèmes de son vécu et de son art, le romancier fait l’expérience de soi: «Désormais Verne, comme Axel, possède l’instrument de son équilibre et de son épanouissement. Il est le détenteur d’une science secrète, non point celle de la révolution technologique, ni celle de la pierre philosophale; mais bien plutôt celle des sources profondes où vient s’alimenter la créativité dont l’écriture jaillit: il est le maître du signifiant» («Voyage au centre de la Terre» comme autoanalyse). À quoi servent les atlas et les dictionnaires pour nommer des choses qui n’existeraient pas si le poète ne les avait pas dites? Pourtant, les dire suffit à les créer. Propriété de l’écrivain, le langage est sans doute plus vaste que l’univers connu par la science. Narrateur de l’expédition, Axel s’y affirme comme le plus grand découvreur. C’est lui, par exemple, qui trouve le poignard abandonné par Arne Saknussemm, et qui, malgré les doutes qui le tenaillent, fournit sans arrêt de nouveaux motifs pour aller plus loin: «Un feu intérieur se ranima dans ma poitrine! J’oubliais tout, et les dangers du voyage, et les périls du retour. Ce qu’un autre avait fait, je voulais le faire aussi, et rien de ce qui était humain ne me paraissait impossible!» Ce «feu intérieur» auquel il croit sans le rencontrer dans la nature, c’est dans son cœur qu’il en voit l’évidence.

Dès lors, la contradiction apparente entre rêve et réalité peut se résoudre: «— C’est merveilleux!», s’exclame Axel. «— Non, c’est naturel», lui répond Lidenbrock. Leur débat n’a pas lieu d’être si l’on suppose que l’imaginaire est un détour nécessaire pour parvenir plus sûrement au réel. Nous ne pouvons prendre pied dans l’existence qu’au terme d’un chemin passant obligatoirement par le mythe et sur lequel un père charnel ou légendaire nous a forcément précédés.

D. GIOVACCHINI

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