1 - Sens et portée de l’exercice :

  «L’étude et synthèse de textes » a pris en 1973 le relais de la contraction (ou résumé) de texte, au concours d’admission à I’E.S.C.P. L’épreuve a, depuis, gagné du terrain et d’autres Ecoles l’ont aujourd’hui adoptée.

      Sur certains points, la synthèse a conservé les caractères de la contraction comme la contraction, elle doit se faire en un nombre de mots limité (300 avec une tolérance de 10 %, en plus ou en moins, soit une fourchette de 270 à 330 mots). Le nombre de mots doit être indiqué en fin de copie, tout manquement aux normes étant sanctionné. Comme dans la contraction, le candidat doit se garder de toute appréciation personnelle, favorable ou défavorable, des thèses proposées. Il doit aussi éviter de démarquer les textes par la pratique des « phrases choisies ». Inventer son expression, écrire une langue correcte, précise, voire élégante. D’autre part, il va sans dire qu’il doit faire preuve d’une bonne intelligence des textes, aussi sûre, aussi nuancée que possible. Au total, la synthèse reste donc un exercice d’analyse et de rédaction, en un nombre de mots limité.

       Mais elle exige de toutes autres qualités que la contraction. Il ne s’agit plus seulement ici de suivre lefil d’un texte sans jamais trahir l’intention de l’auteur, en marquant l’enchaînement des idées et les articulations du raisonnement. Trois textes sont proposés  (de 1000 mots chacun environ, mais ce n’est pas une règle absolue) à partir desquels il faut dégager un problème et confronter les solutions que ces textes en donnent. La synthèse implique donc un effort particulier pour dominer trois textes d’auteurs différents et en saisir la convergence et les divergences. Par là se manifeste cet esprit de synthèse qui a donné son nom à l’épreuve. Le postulat de l’exercice est que les trois textes constituent trois solutions différentes à un même problème. Ainsi, si le sujet est bien choisi, les textes sont à la fois convergents (puisqu’ils répondent à la même question) et divergents (puisque ces réponses sont différentes). Dès lors, il appartient au candidat de découvrir et formuler convenablement le problème en question et de confronter de façon claire et significative les trois solutions proposées. Pour fixer les idées et préciser le caractère déjà professionnel de la synthèse, disons que le candidat se trouve dans la situation d’un rapporteur qui rend compte, devant un conseil d’administration) des trois propositions de trous consultants différents pour la réalisation d’un même projet. Dans la confrontation objective qu’il en mène, le problème doit être évoqué sous des aspects essentiels et doit donc rester constamment au coeur de l’exposé. D’autre part, comme le rapporteur ne dispose ni du pouvoir d’appréciation ni du pouvoir de décision, il doit observer une stricte neutralité, aucune des trois thèses ne doit être privilégiée ni par le nombre de mots ni par la valeur qu’il lui prête.

     Ainsi, la vocation de la synthèse est pluraliste elle veut faire comprendre que la vérité peut avoir plusieurs visages et qu’à un problème donné, on peut proposer des solutions différentes mais toutes à considérer. On voit dès lors que le sens de l’exercice n’est pas, comme le croient encore certains, de mêler jusqu’à les confondre dans une sorte d’amalgame, des thèses différentes, voire opposées, mais au contraire de les distinguer et de les faire apparaître chacune avec ses caractères propres, dans sa singularité et son originalité.

 Les critères d'appréciation de la synthèse de textes: 

Le sens de l’exercice étant précisé, quels sont les critères d’appréciation? 
Ces critères, tous également essentiels, sont au nombre de trois : la qualité de l’expression - la compréhension des textes - la composition, l’organisation et la confrontation. Des deux premiers critères, nous ne dirons rien puisqu’on les retrouve avec la même impérieuse nécessité dans toute épreuve littéraire. Reste la composition, l’organisation de la confrontation c’est là un point majeur si l’on veut que cette confrontation, comme l’exigent les conventions de l’épreuve, soit rapide, claire et significative. li faut dire ici que l’épreuve n’étant pas « classique » (comme le sont la dissertation et la contraction pratiquées dès le secondaire), le jury a été amené, pour lui donner corps, à définir sa conception avec une certaine rigueur, Il a voulu ainsi assurer à la correction de l’épreuve l’unité indispensable et, d’autre part, faciliter la tâche des professeurs préparateurs.

 3 - La composition  : Les erreurs à éviter.

    La correction des épreuves au concours a révélé un certain nombre d’erreurs qui ont la vie dure et se répètent d’année en année : en premier lieu l’amalgame anonyme , qui contredit le sens de l’exercice en mêlant confusément des thèses qu’il s’agit au contraire de distinguer. Cet amalgame est d’autant plus condamnable qu’en donnant à la synthèse la forme d’une dissertation et en s’interdisant de citer le nom des auteurs, on est fatalement conduit à prêter un tour personnel aux affirmations avancées et, par conséquent, à fournir une appréciation personnelle, ce que la convention de l’exercice interdit.                                                                      

 « Les contractions juxtaposées » qui présentent, avec des liens plus ou moins lâches, trois résumés successifs, sont également condamnables puisqu’elles éludent le difficile problème de la composition en ne formulant nettement ni le problème ni « les points de contraction » retenus.

 « Le va-et-vient chaotique » enfin, qui entraîne le lecteur dans une sarabande à donner le tournis, courant d’un texte à l’autre sans trace de composition, prive évidemment la synthèse de - - toute signification.

     Certaines copies mêlent d’ailleurs avec un heureux éclectisme ces trois types d’erreur: elles commencent, par exemple, par un amalgame plus ou moins anonyme, se poursuivent par un résumé pour s’achever dans un va-et-vient désordonné. D’autres confrontent longuement les deux premiers auteurs et font surgir inopinément dans les dernières lignes la troisième qu’elles  ont systématiquement ignoré dans les deux tiers de la synthèse. Pour être plus précis encore, signalons quelques autres maladresses. D’abord, sans doute, le pré-résumé qui épuise en quelques lignes le contenu des trois textes condamnant ensuite le candidat à la redite et au verbiage. Il  est même inutile d’annoncer longuement un plan (que, la plupart du temps d’ailleurs on ne suivra pas). Pourquoi ? Parce que, pour donner aux paragraphes successifs, qui constituent le corps de la synthèse, la cohérence et la rigueur nécessaire, il convient de les ouvrir par une interrogation formulant le point de confrontation ».

     Dès lors annoncer un plan et en reprendre les éléments au début de chaque paragraphe, c’est se condamner à des répétions inutiles, c’est gaspiller des mots qui sont ici particulièrement précieux, puisque, en dépit de la richesse des textes, il faut tout boucler en 300 mots. Pour les mêmes raisons, il est maladroit de se perdre en détails sur les ouvrages dont les textes sont tirés. Il faut savoir être bref et ne s’attacher qu’à l’essentiel.

    D’autres erreurs encore : (c’est sans doute un vestige de la contraction), certains s’interdisent religieusement de citer le moindre nom, évoquant, à tour de rôle, l’auteur (ou le texte) N°1, puis l’auteur N°2 et l’auteur N°3 comme si l’identité de l’auteur était sans intérêt. Autre variante : la mise entre parenthèses du nom de l’auteur. On aboutit ainsi à juxtaposer sans liaison logique des affirmations contradictoires, dans une sorte d’amalgame qui s’il n’est pas anonyme n’en est pas moins parfaitement incohérent. Des maladresses d’expression aussi peuvent traduire le défaut d’organisation. C’est ainsi que certains candidats, rédigeant un paragraphe, croient pouvoir enfermer dans une seule et même phrase les trois auteurs, ce qui donne dans l meilleur des cas, le schéma suivant « Si Joinet déclare…,  Jankélévitch en revanche affirme….,  alors que Grosser prétend ... ». Il y a là sans doute un louable souci de concision mais ce schéma présente un double inconvénient : d’abord il est difficile à manier et exige une virtuosité que n’ont généralement pas les candidats. D’autre part, il condamne à évoquer en quelques mots (sous peine de tomber dans la confusion) ce qui mériterait un plus large développement. Indiquons encore l’emploi abusif de « comme ». Ecrire « Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, comme le dit Jankélévitch », c’est assumer la responsabilité de l’assertion, en s’aidant d’une référence à Jankélévitch, ce n’est pas formuler purement et simplement sa thèse. On peut voir là un détail ; c’est en fait un manquement à la logique et aux conventions de l’épreuve. La correction des copies a relevé sans doute d’autres erreurs de construction. Nous nous sommes bornés à relever les plus fréquentes et les plus gênantes.

4. La composition de la synthèse : les règles du jeu

     Ces erreurs évoquées, quelles sont les règles à se donner?.

     Rappelons que l’exercice implique l’existence d’un problème commun aux trois textes, auquel chacun propose une solution. C’est ce problème qui donne à la confrontation sa cohérence et son sens et qui, en quelque sorte la commande. li faut donc le formuler dès le départ aussi nettement, aussi précisément que possible par une question (au style direct ou indirect, peu importe), la Question globale. Cette question ne figure évidemment pas dans le document remis au candidat (les textes même n’ont généralement pas de titre) et c’est au candidat qu’il appartient, au terme d’une première analyse des textes proposés, de la découvrir et d’en choisir l’expression qui lui semble la plus convenable. C’est là une démarche capitale : car si la question globale est mal posée, si elle n’est pas pertinente, si elle ne constitue pas « le point de convergence » des trois textes, la synthèse toute entière sera en porte-à-faux.

    Cette « question globale », qui commande la synthèse, s’articule elle-même en sous-questions, qui ouvrent chacune un paragraphe et redéfinissent un « point de confrontation ». Par exemple, si la question globale porte sur une crise à résoudre, on se demandera, avec les auteurs, quelles en sont les manifestations (1er point de confrontation), quelles en sont les causes (2e point de confrontation), quels en sont enfin les remèdes (3e point de confrontation). Les points de confrontation, on le voit, sont les points à partir desquels se fait la comparaison, les thèmes sur lesquels les trois auteurs prennent chacun position pour résoudre le problème en question ? Ils constituent en quelque sorte la « monnaie » du « point de convergence ». Il n’est évidemment pas nécessaire pour les formuler de recourir au tour interrogatif. Des affirmations si elles posent clairement le thème de discussion sont parfaitement convenables. La forme interrogative a néanmoins l’avantage de rappeler au candidat qu’il y a des réponses à donner et à confronter.

      Le choix de ces points de confrontation doit témoigner tout à la fois d’une bonne intelligence des textes, dont ils retiennent les aspects majeurs, et d’une vue d’ensemble du problème, analysé dans ses composantes essentielles. Il réclame aussi de l’ingéniosité, car il n’est pas toujours facile de découvrir la structure logique qui permettra de rendre également justice aux trois textes. Quoi qu’il en soit, un peu comme se monte un jeu de construction, s’élaboré ainsi une armature rationnelle qui donnera à la synthèse clarté et solidité. La synthèse, on le voit, est un exercice logique, où la mise en place de chaque élément doit se faire avec la plus extrême précision. De là, l’importance de la mise en page qui doit rendre manifeste et pour ainsi dire sensible cette mise en place.

     Chacune des sous-questions, nous avons dit, commande un paragraphe où doivent  se retrouver comparées, confrontées les trois réponses plus ou moins différentes que les auteurs lui font. Comment donner à ces paragraphes la cohérence et la rigueur nécessaires ? Disons d’abord que dans chaque paragraphe, les trois auteurs doivent être évoqués puisqu’ils sont tous les trois concernés, tous les trois à égalité. S il apparaît impossible de « caser » un auteur dans l’un des paragraphes, c’est que la structure choisie n’est pas satisfaisante et qu’il faut la modifier.

     Comment noter d’autre part les rapports de ressemblance ou de différence, d’accord ou de désaccord (toutes les nuances sont possibles) qu’il faut établir entre les thèses en présence pour les comparer, pour les confronter? Toutes sortes de moyens d’expression le permettent. Mais, quel que soit le moyen utilisé, l’unité logique du paragraphe et la clarté de la comparaison sont essentiellement assurée par l’étroite correspondance entre la question posée au début du paragraphe et les réponses qui lui sont données à l’intérieur du paragraphe. Si cette correspondance est rigoureuse, comme ii s’agit de trois réponses à une même question, la confrontation s’organise spontanément avec toute la netteté nécessaire et quelques mots de liaison suffisent souvent. Ainsi de point de confrontation en point de confrontation, de paragraphe en paragraphe, le candidat fait le tour du problème et caractérise en les éclairant l’une par l’autre les trois thèses en présence. Notons ici que l’une des difficultés de l’exercice est de parvenir à le boucler en 300 mots. Plus encore que pour la contraction, il faut savoir dominer les textes, être concis et faire parfois des sacrifices.

Enfin, pour mener à son terme l’exercice et lui donner une sorte de conclusion, on peut essayer de définir d’un mot « le mode d’approche» du problème propre à chacun des trois auteurs. On dira par exemple que l’un l’aborde en juriste, l’autre en économiste, le troisième en sociologue ou en moraliste. Mais cette caractérisation est difficile (les candidats n’ont généralement pas la culture nécessaire) et elle reste le plus souvent approximative. C’est pourquoi elle n’est pas exigée. Les candidats qui s’y risquent en sont, le cas échéant, récompensés, jamais pénalisés. Il peut se trouver d’ailleurs que le « mode d’approche» ait déjà fourni un point de confrontation, ce qui en rend la reprise évidemment inutile.

Ces précisions données, ajoutons qu’il ne suffit pas pour réussir une synthèse de construire une confrontation en trois points, chaque paragraphe s’ouvrant par une question. Encore faut-il que la question globale et les points de confrontation soient pertinents, que les paragraphes soient cohérents et significatifs, que les textes soient bien compris. Un respect purement formel et pour ainsi dire mécanique des règles du jeu ne correspond pas à l’effort demandé. Il faut encore montrer de l’intelligence, du jugement et, bien sûr, des qualités d’expression.


5. Conclusion  

    Ainsi se trouve défini de façon très directive (certains penseront trop directive) le type de composition que le jury de la synthèse de textes à I’E.S.C.P. juge le plus significatif. Il reste, bien sûr, que tout autre type d’organisation s’il répond au sens et au but de l’exercice, s’il permet de cerner le problème et de caractériser les trois solutions proposées avec la clarté nécessaire, est parfaitement acceptable. Nous avons, dans la présentation que nous avons faite, volontairement accusé les angles et durci les principes pour éviter qu’on ne nous reproche une fois de plus (injustement, nous semble-t-il) de proposer une épreuve aux contours incertains. Les règles que nous avons formulées ne sont d’ailleurs pas nouvelles. Elles ont été énoncées, depuis la création de l’épreuve et notamment ces dernières années, dans les rapports que I’E.S.C.P. a régulièrement publié

    Ces rapports qui constituent, nous l’avons souvent dit, la meilleure source d’information, ont l’avantage de compléter la théorie par la pratique, en proposant chaque fois un « modèle » où nous nous efforçons d’appliquer les principes que nous avons exposés. Ce sont ces rapports qu’il faut lire et relire si l’on veut assimiler l’exercice.