Les chambres de bois. Roman d’Anne Hébert (Canada/Québec, née en 1916), publié à Paris aux Éditions du Seuil en 1958.
Après deux recueils de poésie (voir le Tombeau des rois) et un recueil de nouvelles (le Torrent), les Chambres de bois sont le premier roman d’Anne Hébert.
Résumé des Chambres de bois d'Anne Hébert
Première partie. Au pays de Catherine, les hauts fourneaux flambent sur le ciel. L’année de la mort de la mère, elle part avec ses trois sœurs chez un oncle à la campagne. Pendant longtemps un paysage noyé de pluie et de brume est leur seul décor. Dans la salle d’école, Catherine rencontre Michel, le pianiste qui vit dans une grande maison près de la forêt. Ils se revoient. Catherine a peur de lui mais se sent bientôt prise au piège du mystérieux jeune homme.
Deuxième partie. Ils se marient et partent pour Paris. La nuit, Catherine dort seule dans le lit étroit tandis que Michel joue du piano. Il exige que les rideaux soient fermés, refuse que Catherine travaille, la pare de somptueux vêtements et la retient captive dans les deux chambres lambrissées de bois. Catherine s’ennuie et rêve de marchés criards, d’odeurs, de couleurs. Michel lui promet qu’il reprendra la grande maison près de la forêt où s’est installée Lia, sa sœur, avec son amant. Le lendemain Lia est là, avec son nez de fin rapace, son corps sec et long, ses cigarettes et son amour envolé. Catherine se met à servir le frère et la sœur, complices. Bientôt, bouleversée par la passion malheureuse de la jeune femme, elle se rapproche de Lia, qui a vendu la grande maison sans prévenir Michel. Ils ont trahi tous les deux leur pacte scellé dans l’enfance et ne peuvent que pleurer sur leurs vies. Catherine tombe malade. Prisonnière de l’appartement, du frère et de la sœur, elle étouffe et sent monter l’angoisse.
Troisième partie. Catherine convalescente sort de son lit «comme au terme d’une ténébreuse adolescence». Elle redécouvre son corps, les odeurs et la vie. Au bord de la mer, elle rencontre un jeune homme qui la désire et la veut pour femme. Elle annonce à Michel qu’elle le quitte.
Les chambres de bois : analyse du roman
Alors que les contes et poèmes antérieurs d’Anne Hébert marquaient les étapes d’un cheminement hors du souterrain, d’une exploration des ténèbres intérieures, les Chambres de bois annoncent une rupture très visible. C’est le récit d’une délivrance et l’avènement incertain de l’espoir dans un univers jusque-là sans autre issue que la mort.
À Paris, dans les «chambres de bois», Catherine est initiée à l’univers de Michel en une sorte de purification progressive qui l’anéantit: entre les mains de son mari, grand prêtre d’un étrange rituel, elle devient la «douce chatte blanche en ce monde captif sous la pluie»; sur la palette de Michel qui rêve de la peindre et ne le fera jamais, elle est «toute blanche, sans odeur, fade et fraîche comme la neige, tranquille comme l’eau dans un verre». Au fil des jours, Catherine fait taire en elle les désirs de vie, elle pâlit, languit, se désincarne peu à peu et va jusqu’au bout du dépouillement exigé par celui qu’elle aime. Au bout du chemin, il ne reste plus que la blancheur de la mort. Face à cet être désincarné, transparent, «petit coq pâle, acéré», Lia, la noiraude, ressemble à un «corbeau calciné». L’oiseau de jour et l’oiseau de nuit s’affrontent dans un face-à-face dramatique. En Lia, Catherine découvre son double nocturne et la passion qu’elle n’a elle-même pas encore vécue. Lia incarne le côté ténébreux de l’amour, la fureur, les blessures et la rage. Alors que Michel refuse la chair, salissure première et contagieuse, et voit en la femme l’incarnation du diable, Lia, elle, incarne les feux de la chair interdits à Catherine qui, soumise à Michel, rejette son corps, sa sensualité et ses passions. Celui-ci, hanté par ses rêves et son enfance, a besoin de Catherine pour surmonter l’insupportable état de solitude où le laisse l’absence de Lia. Le frère et la sœur, liés par leur pacte secret, ne peuvent vivre séparément l’un de l’autre. Ils sont condamnés depuis l’enfance et appartiennent au royaume des morts et des songes.
L’ensemble du roman s’organise autour d’une dialectique du noir et du blanc, du jour et de la nuit, des ténèbres et de la lumière, et l’histoire de Catherine est un combat héroïque contre ces forces obscures. Dans un univers menacé de toutes parts par les ombres et la mort, la lutte désespérée pour que règnent le jour et la transparence met en présence des hommes et des femmes qui s’acharnent contre le désordre, la saleté, la nuit envahissante. Pour Catherine, après le pays des hauts fourneaux de son enfance, ces «noirs palais de l’Apocalypse», ce sont les chambres de bois de Michel dont seule la lumière du jour peut chasser les cauchemars et permettre d’échapper à ce monde souterrain semblable à un tombeau.
Tout le livre est composé de brèves séquences comme autant de récits simples et précis. L’écriture, nette, est plus forte encore, plus assurée que dans les précédentes productions de l’auteur, et le texte est d’une rare et admirable intensité poétique. Lorsque Catherine parvient à échapper à la vie des songes pour des amours réelles, il semble que la vie va commencer. Mais dans cette œuvre la vie n’est que promise, pas encore donnée. Le réel ne s’est pas encore fait assez dense, assez présent pour imposer une autre loi que celle de l’absence.
Pont-Humbert
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