Le Tombeau des rois. Recueil poétique d’Anne Hébert (Canada/Québec, née en 1916), publié à Québec à l’Institut littéraire du Québec en 1953.

Le Tombeau des rois : poèmes de la vie et de la mort

“Éveil au seuil d’une fontaine”, premier poème du recueil, dit le matin, la clarté du jour naissant, la vie qui commence embellie par «l’eau vierge du matin». Tout est à faire, tout est commencement: «La nuit a tout effacé mes ancienne traces. / Sur l’eau égale / S’étend / La surface plane / Pure à perte de vue / D’une eau inconnue.»

Ce poème nous fait assister à la naissance d’un élan nouveau qui élargit l’adhésion au monde de l’enfance dans le geste de la tendresse et de l’offrande. Mais la rupture de l’accord entre le poète et le monde apparaît bientôt clairement. Avec “L’infante ne danse plus”, c’est le rejet explicite sur le thème éternel des eaux, des sources de l’enchantement: «La source du silence / A figé les fraîches rivières dans ses veines / Les fraîches et vermeilles rivières / Sont mortes aussi...»

Le choc de la douleur et de la solitude révèle la vanité des apparences. La mort commence à faire son œuvre dans la douleur après avoir emporté l’enfance. Et le recueil dit ensuite la difficulté d’être, la rencontre avec la mort, avec les morts représentés comme des rois: «J’ai mon cœur au poing / Comme un faucon aveugle / Le taciturne oiseau pris à mes doigts / Lampe gonflée de vin et de sang / Je descends / Vers le tombeau des rois / Étonnée / À peine née.»

Le Tombeau des rois : analyse du recueil

Le poète Saint-Denys Garneau (voir Regards et Jeux dans l’espace), cousin d’Anne Hébert, a dressé dans son Journal un portrait de la jeune fille: «Anne, venue cette après-midi. Sa façon de marcher et quelques gestes ont évoqué pour moi une étrange élégance un peu rigide, un peu mécanique, avec une miette de préciosité; le tout empreint de gaucherie enfantine. Une chaleur pourtant là-dessous. Alliage vraiment étrange, surprenant et tel, j’y songe, qu’aurait probablement goûté Baudelaire.» Ces quelques lignes définissent la démarche et le rythme de la poésie d’Anne Hébert. Toute son œuvre, qui évolue avec finesse dans les régions du cœur, est empreinte de grâce discrète et simple, d’un mystère intérieur soigneusement protégé et d’une grande pudeur. Tout ici est grâce, marche à pas comptés.

La langue d’Anne Hébert refuse les artifices. Le verbe austère et sec ne s’accompagne d’aucune image flamboyante, d’aucune arabesque sonore, d’aucun lyrisme, d’aucune complaisance. L’esthétique n’est que fidélité à l’essentiel d’une expérience située aux limites de la sensibilité: celle de la dépossession, du silence, de la solitude. Cette poésie qui se mesure au péril de l’absence n’est pas une poésie du vague à l’âme: si les poèmes d’Anne Hébert parlent de fontaines, d’oiseaux, d’arbres, de villages, les images évoquées par ces mots sont privées de coloration pittoresque. Le particulier n’y a pas sa place, seul le plus général, ce qui commence tout juste d’exister y est représenté. «Notre pays est à l’âge des premiers jours du monde. La vie ici est à découvrir et à nommer», écrivait Anne Hébert en 1958 dans Poésie, solitude rompue.

Poème liminaire du Tombeau des rois : “Éveil au seuil d’une fontaine” 

Ô ! spacieux loisir
Fontaine intacte 
Devant moi déroulée
À l’heure
Où quittant du sommeil
La pénétrante nuit
Dense forêt
Des songes inattendus
Je reprends mes yeux ouverts et lucides
Mes actes coutumiers et sans surprises
Premiers reflets en l’eau vierge du matin.

La nuit a tout effacé mes anciennes traces,
Sur l’eau égale 
S’étend 
La surface plane
À perte de vue.
D’une eau inconnue.
Et je sens dans mes doigts
À la racine de mon poignet 
Dans tout le bras 
Jusqu’à l’attache de l’épaule 
Sourdre un geste 
Qui se crée
Et dont j’ignore encore
L’enchantement profond.

(In Le Tombeau des rois, 1953) 


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