• Présentation du conte: 

LA VACHE MORTE DU CANYON . Conte de Jacques Ferron (Canada/Québec, 1921-1985), publié dans le recueil Contes du pays incertain à Montréal aux Éditions d’Orphée en 1962.

Le conteur Jacques Ferron se situe à la frontière de deux époques et de deux modes d’expression: «Je suis le dernier d’une tradition orale et le premier de la transposition écrite» («le Mythe d’Antée», la Barre du jour, 1967). Toute son œuvre se rattache à ce double héritage de l’oral et de l’écrit, dans un souci de synthèse entre le populaire et le classique.

Le titre Contes du pays incertain renvoie à l’une des préoccupations essentielles de Jacques Ferron: son pays, qu’il juge instable, est en quête d’identité et de racines. Le choix du conte répond pour lui à une nécessité: par sa nature archaïque, ce genre littéraire réinvestit le passé; l’oralité se nourrit des sources, fait revivre les vieilles légendes et les vieux mythes, dont Ferron conserve le côté solennel et transmet l’héritage. «Le pays m’a paru incertain et mon idée a été la suivante: assurer la pérennité et ensuite ne plus y penser, écrire en paix, sans souci du pays, comme cela se fait dans les pays normaux.»

  • Résumé de La vache morte du Canyon :

François Laterrière, natif du rang Trompe-Souris, à Saint-Justin de Maskinongé, très attaché à son lieu d’origine et à son milieu familial, n’envisage pour son avenir d’autre solution que de devenir «habitant» [paysan] à l’image de ses ancêtres. Sur les conseils du curé de la paroisse, il décide de s’exiler au «Farouest», en quête de terres vierges. Mais, ignorant où se trouve ce «Farouest» magique, il s’engage dans un périple sans fin à travers le continent américain. À Calgary, François retrouve fortuitement un de ses oncles, exilé comme lui, renouant ainsi la chaîne familiale rompue par l’éloignement. L’oncle s’étant engagé à trouver un «bon Blanc» pour la fille du Tchiffe, «un emplumé, une sorte d’Iroquois», voit arriver François comme un envoyé de Dieu. Du même coup, celui-ci se trouve en mesure de réaliser son idéal puisque la «sauvagesse» lui apporte un canyon, «un fond de bonne terre entre les montagnes hautes comme le ciel». Sur le point d’atteindre son but, François pose toutefois une condition: «Je ne pourrai devenir habitant comme mon père, mon grand-père, comme tous les Laterrière et sauvegarder l’héritage des ancêtres si je n’ai pas au moins une vache dans mon canyon.» François devra se contenter d’une génisse qui, devenue taure et humanisée comme le sont les animaux dans les contes de Ferron, prétend que le foin a mauvais goût et se laisse mourir. Un dernier coup fatal frappe François: sa femme meurt, tuée par un bœuf ramené de la ville, le laissant seul avec une petite fille. Il s’enfuit en emmenant la petite Chaouac. Il exerce alors divers métiers, devient champion de rodéo sous le nom de Franck Laterreur, avant d’ouvrir une «touristeroume» à Montréal. Il fait alors fortune, s’achète une limousine; et c’est ainsi équipé qu’il retourne au rang de Trompe-Souris vingt-cinq ans plus tard. À son curé il doit avouer l’échec de sa mission d’habitant, en même temps qu’il découvre la réalité du modèle qui l’a guidé pendant toutes ces années: «Il faisait partie de ce surplus humain dont la paroisse québécoise se débarrasse continuellement pour conserver sa face traditionnelle, ce masque qu’on montre aux étrangers, qu’on exploite et qu’on vend, cette grimace de putain austère.»

  • Analyse du conte de Jacques Ferron : 

Le parcours de François Laterrière est un voyage initiatique complet. Après un messianisme aveugle et un changement d’identité total et involontaire, le héros, victime d’une vocation imposée et d’un idéal inculqué à des générations de Québécois, prend finalement conscience de l’immobilisme auquel il a été sacrifié.

Le premier mouvement du conte La vache morte du canyon apparaît comme un élan compensatoire puisque, faute d’une terre que sa qualité de cadet lui dénie, François tient cependant à devenir «habitant» à l’image de son père. Cette motivation lui est cependant donnée de l’extérieur: c’est le curé de sa paroisse qui encourage une «vocation» peu spontanée. La société traditionnelle canadienne française est ici résumée par les trois termes: terre, père et curé. Trois concepts fondateurs d’une tradition perpétuée et valorisée par le roman du terroir québécois pendant tout le XIXe siècle et jusqu’en 1950. Si l’aventure de François Laterrière est, dans un premier temps, centrée sur la poursuite d’un idéal et nourrie par une conviction, elle est, dans un second temps, marquée par une suite d’expériences de dépossession. Les principes qui avaient d’abord nourri son projet jusqu’à l’absurde, se voient subitement anéantis un par un. Le plus fort symbole de sa déchéance est l’abandon du patronyme québécois, marque de son appartenance à une lignée. L’initiation, pour être complète, se devait de retrouver le point de départ: François Laterrière, tout au long de son périple, a emporté son pays dans ses bagages, s’est obstiné à en transplanter les valeurs, et c’est vers lui qu’il revient pour afficher sa réussite matérielle. L’épopée initiatique a été ponctuée, à l’aller comme au retour, par les mêmes étapes géographiques, mais le personnage, converti à la morale du profit, antithèse absolue de l’idéal paysan canadien français, est devenu un antihéros.

Voir aussi: 

Le Ciel de Québec de Jacques Ferron : résumé et analyse

Littérature québécoise

Fiche : Le roman au XXe siècle

Fiche sur le personnage de roman

 

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