LE CIEL DE QUÉBEC . Roman de Jacques Ferron (Canada/Québec, 1921-1985), publié à Montréal aux Éditions du Jour en 1969.
Le ciel de Québec est un des textes les plus ambitieux produits au Québec dans la seconde moitié de ce siècle. Il éclaire, avec autant d’érudition que d’humour, les dessous de la vie politique, culturelle et religieuse du Canada français à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
- Résumé du roman de Jacques Ferron:
La chronique s’ouvre dans le village des Chiquettes, destiné à devenir le centre d’une nouvelle paroisse, où arrive le «cardinal-archevêque de Québec, primat de l’Église canadienne entre les trois océans», flanqué de deux monsignori, Mgr Camille et Mgr Cyrille. Accueillis par le chef Joseph à Motte-à-Chrétien, ils iront se prosterner devant un enfant qui a miraculeusement échappé aux roues de la limousine cardinalice. Le village des Chiquettes, lieu d’origine et de mémoire, transformé en Bethléem québécois, incarne le «côté» de la mythologie chrétienne. Le récit se situe ensuite alternativement dans plusieurs espaces, tous représentatifs d’un aspect du pays. Le poète Saint-Denys Garneau, métamorphosé en Orphée, est enfermé dans son manoir où il cisèle dans la solitude une poésie inaccessible car détachée de ses racines. Sourd aux rumeurs du village et aveugle aux scènes du quotidien, il reste insensible à Eurydice qui se meurt d’amour pour lui. Sa mère Calliope et la génération de la Relève (revue fondée en 1934) complètent le «côté» de la mythologie gréco-romaine. Plus loin, dans la ville de Québec réduite à la taille d’un gros village, sévissent les politiciens Chubby, Duplessis et Médéric Martin. La chronique s’étend également à la ville d’Edmonton (province d’Alberta) à laquelle se rattache la mythologie des plaines de l’Ouest, des métis et des Indiens. Enfin, au purgatoire, la génération de Refus global (manifeste publié en 1948) avec le peintre Paul-Émile Borduas, Claude Gauvreau et Patterson Ewan est en attente de jugement.
- Le ciel de Québec : analyse
Une des constantes de l’œuvre de Jacques Ferron réside dans la recherche d’un pays authentique, étayé sur son histoire et apte à combattre ce qu’il nomme ailleurs le «pays incertain». Fresque joyeuse et mordante des années 1937-1939, Le ciel de Québec a l’allure d’une épopée où se côtoient religieux, écrivains, peintres et hommes politiques canadiens français, mais aussi celle d’un récit des origines, d’une Odyssée québécoise: «Je crois qu’ils [les Québécois] forment un peuple jeune qui se cherche une mythologie», déclare un des personnages. Il s’agit aussi d’un roman à clés fondé sur une série de références culturelles et historiques, labyrinthe dont l’auteur se plaît à brouiller les pistes. Car les deux cent onze acteurs qui s’entrecroisent sur la scène de la chronique sont des personnages masqués, mi-réels, mi-fictifs, chacun d’entre eux représentant une collectivité constitutive du pays québécois. Apparaissant tour à tour, ils forment des tableaux successifs, entre lesquels ils assurent la continuité.
Féru de l’histoire et des contes populaires de son pays, Ferron transmet cet héritage sur le ton de l’humour et de la fantaisie. Par la fusion de l’ancien et du moderne, il invite à une réconciliation avec la réalité du pays à une époque (les années soixante) où le Québec, en voulant se forger une nouvelle identité, a tendance à occulter son passé. L’âme du pays, pour Ferron, se situe «côté village», repère premier pour combattre l’incertitude du présent. Encore faut-il distinguer, dans ce retour aux sources, «bons» et «mauvais» villages: «Le bon Dieu se définit par opposition au mauvais. La proximité de celui-ci permet à qui dispose de l’avantage de vivre dans le bon de venir y commettre ses inévitables péchés, dans ce système à proprement parler manichéen [...]: le bon Dieu n’est jamais souillé et le mauvais prend sur lui le péché des deux.» Autant qu’une opposition, cette séparation de la réalité en principes antagonistes implique donc tout un réseau d’échanges. De même, les deux prélats incarnent les deux versants de la religion: Mgr Camille est un être de chair, palpable, humain, inséré dans le monde et sensible à ses plaisirs: il appartient au «bon côté des choses». Mgr Cyrille incarne en revanche une religion torturée et tortueuse, obsédée par l’enfer; exorciste avant tout, ce personnage douloureux, sombre, hanté par le péché au point de ne plus pouvoir reconnaître le bien, représente sans aucun doute le «mauvais côté».
Jacques Ferron, qui pratique une langue classique à l’époque où nombre d’auteurs québécois ont tenté de populariser le joual (français populaire, franglais de Montréal) comme langue d’identification nationale, aime à fréquenter des personnages et des lieux bannis du paysage littéraire québécois après la «Révolution tranquille» des années soixante. Il ne faut voir là ni nostalgie stérile ni refuge sécurisant face aux mutations modernes, mais une recherche de références fondamentales dans un pays qui, selon lui, en manque cruellement pour avoir trop rapidement balayé un passé jugé étouffant.
Voir aussi:
La vache morte du canyon de Jacques Ferron: résumé et analyse du conte
Fiche : Le roman au XXe siècle
Le personnage de roman : héros ou antihéros ?
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