Mémoires d'Hadrien est un roman historique de Marguerite Yourcenar, publié en 1951. 

1. Résumé du roman

En l’année 138 après J.-C., l’empereur romain Hadrien, alors qu’il est condamné à une mort prochaine, saisit le prétexte d'une lettre adressée à son successeur Marc Aurèle pour rédiger son autobiographie mâtinée de préceptes éthiques et de maximes politiques. La première section des Mémoires (Varius, multiplex, multiformis) raconte les années d'apprentissage de ce jeune patricien d’origine hispanique, bientôt promu tribun dans la région du Haut Danube.

Après la mort de Nerva, Trajan devient empereur et envoie ce jeune homme prometteur, marié par convention à Sabine, en qualité de général en chef pour aller combattre les Sarmates en Pannonie. Son retour triomphal à Rome un an plus tard lui vaut le consulat puis la nomination en tant que légat de Syrie. Mais la campagne d’Asie a épuisé Trajan qui meurt en permettant à Hadrien d’accéder au pouvoir.

Son œuvre d’empereur débute par une négociation avec les Parthes : Hadrien dresse le bilan d'un règne centré sur le réta­blissement de la paix, fondé sur des réformes visant à civiliser et consolider l’Empire qu’il sillonne jusque sur ses marges (notam­ment en Bretagne où il édifie le fameux mur). La séquence s’achève par l’entrevue avec Osroès qui établit une paix durable (Tellus stabilita).

Sœculum aureum énonce dès son titre l’apogée de l’existence de l’empereur. S’ouvrant sur la mort de Plotine, l’épouse de Trajan qui fut son soutien permanent, la séquence évoque l’amour qui a lié Hadrien au bel Antinoüs. Des pages entières lui permettent de revivre ces moments euphoriques dont l’ascension du mont Etna symbolise la perfection, et qui se déchirent soudainement par le suicide de son amant.

Disciplina augusta inaugure alors la longue période de repli sur soi et du travail de deuil où l’empereur règle sa succession et parachève son œuvre publique, mise à mal par la révolte de Bar Kochba et la guerre de Judée, avant de se retirer dans sa villa pour méditer sur l’approche de la mort (Patientia).

2. Analyse 

► Une œuvre de carrefours

Du premier projet de 1924 à la publication en 1951, l’élabora­tion du roman s’étale sur presque trois décennies : c’est dire la longueur de maturation d’un projet qui a exigé une intimité exceptionnelle entre la romancière et son personnage, tout comme une érudition historique de premier ordre que manifeste la longue note énumérant, en fin d’ouvrage, les références scientifiques qui attestent la fidélité du portrait de l’empereur. Le texte qui en résulte constitue ainsi une sorte de sous-genre hybride mêlant roman et autobiographie, à la croisée de divers genres auxquels il emprunte sans pour autant se confondre avec eux : la lettre, le miroir des princes, le roman historique. Avec cette autobio­graphie fictive, volontairement éloignée des problèmes formels du roman pour se recentrer sur un champ éthique, Yourcenar invente un nouveau type romanesque, les mémoires apocryphes, entendant « refaire du dedans ce que les archéologues du xixc siècle ont fait du dehors » ; par la sympathie, au sens étymologique, qu’elle voue à son personnage, par l’affirmation que « tout être qui a vécu l'aventure humaine est moi », elle légitime une entreprise consistant à raviver la figure d’Hadrien qui se fonde ainsi moins sur une identité que sur un rapprochement qui lui permet d'en interroger l’intériorité.

► Portrait d’un personnage seul

"Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme a été seul".

À partir de cette phrase de Flaubert, longuement méditée par Yourcenar, s’esquisse la tentative de montrer un être face à son destin, tentant d’y imprimer sa maîtrise entre Histoire et subjecti­vité. Les Mémoires nous présentent ainsi la vérité d’un homme dans sa nudité, et sa volonté de se saisir lui-même à la confluence de l’éro- tique et du deuil, par le truchement d’une « théorie du contact » qui lui permette un rapport immédiat à l’Autre. À partir de son propre exemple, Hadrien médite sur la condition humaine en s'élevant à des considérations d’ordre universel, par le truchement d’une écri­ture revêtant bien souvent le caractère de maximes. Ainsi sa réflexion doit-elle être comprise tout à la fois comme recherche per­sonnelle et jugement embrassant un cadre plus vaste. C’est pourquoi le destinataire du texte ne saurait simplement être Marc Aurèle ; c’est surtout Antinoüs, l’empereur lui-même, et plus largement les lecteurs contemporains, qui en sont les récepteurs.

► L’autobiographie en question

Comme pour tout autobiographe, il s’agit pour Hadrien de se connaître, de ressaisir dans le flux des événements de sa vie une ligne de force qui puisse lui conférer un ordre (c’est le sens de l’organisation en séquences) et, par là, un sens. De fait, l’ap­proche de la mort, point aveugle qui soutient la tension drama­tique du récit, rend urgente cette saisie qui se fonde dès l’abord contre les mémoires officiels. Car c’est la vérité intime du sujet et non son action extérieure, en lisière d’hagiographie, qui intéresse l’empereur. Or, on comprend que la mort d’Antinoüs, lieu central du récit, ne saurait finalement être objet de connaissance, mais seulement de compréhension : l’autre conserve une inaliénable liberté, de sorte que le but de l’autobiographie se trouve moins dans la poursuite d’une illusoire élucidation que dans le creusement du questionnement qui la fonde. Nul doute que l’on touche là à ce que d’aucuns ont nommé l’humanisme de Yourcenar, qui consiste ici à faire résonner dans le questionnement nocturne d'un homme du 11e siècle l’inquiétude mais aussi le bonheur d’être au monde qui échoit en partage à chacun.