Résumé court de La chartreuse de Parme
Le 15 mai 1796, les Français de Bonaparte envahissent le Milanais en apportant à la Lombardie étouffée sous la monarchie un souffle libérateur. En vertu du droit de l’occupant, le lieutenant Robert est logé chez les Del Dongo : il y fait la connaissance du marquis poudré et de son fils Ascanio, conservateur obtus contrastant avec la jeune et sémillante sœur du marquis, Gina, et avec la marquise, qui accouchera un peu plus tard d’un enfant que lui donne l’aimable lieutenant : Fabrice. Celui-ci décide à dix- sept ans d’aller rejoindre Napoléon à Waterloo : après l’expérience naïve mais essentielle de la guerre qui l’a plongé dans l’illégalité, sa tante, veuve du général Pietranera, l’engage à se cacher afin de faire oublier sa «folie». Celle-ci rencontre peu après le comte Mosca, premier ministre du prince absolu de Parme, Ranuce-Ernest IV. L’amour qui lie les deux personnages permet d'intriguer d’abord en faveur de Gina, qui devient duchesse de Sansévérina par un mariage arrangé et peu encombrant, puis en laveur de Fabrice en préparant sa future accession à l’archevêché de Parme. Il suit alors des cours de théologie à Naples où il s’éprend de Marietta, jeune comédienne dont il tue en duel le protecteur, l’infâme Giletti. Il part alors vivre à Bologne où se situe l’épisode amoureux de la Fausta.
Toutefois, les intrigues du parti de la Raversi, opposée à Mosca, conjuguées à la jalousie du prince auquel Gina se refuse, transforment ce meurtre banal en affaire politique, et Fabrice est bientôt emprisonné à la tour Farnèse. C’est paradoxalement en ce lieu qu’il découvre la vraie passion avec Clélia Conti, fille du gouverneur de la prison. Cependant, craignant que Fabrice ne périsse par le poison, Gina le fait évader sur les conseils de Mosca et du républicain Ferrante Palla. Une fois libre, il se languit de Clélia. Après le meurtre du prince par Ferrante, Fabrice doit être jugé et acquitté pour enfin quitter la clandestinité. Mais, au lieu de se constituer prisonnier à la prison municipale contrôlée par Mosca, il rejoint la prison Farnèse pour revoir Clélia. Des tractations lui permettent enfin d’être élargi, mais Clélia a été promise au marquis Crescenzi. Quant à Gina, contrainte de céder aux avances de l’héritier d’Ernest pour avoir obtenu la libération de Fabrice, elle quitte définitivement Parme. Fabrice devient alors un prédicateur renommé et, après de longs mois, il parvient enfin à retrouver Clélia. Mais sa volonté d’enlever leur fils Sandrino précipite la mort de celui-ci, suivie peu après de la sienne et de celle de Clélia. Gina lui survit peu de temps, et seul Mosca, retourné au service du nouveau prince, réchappe de la tragédie finale.
Analyse de La chartreuse de Parme
► Histoire et politique.
À première vue, La Chartreuse de Parme semble revendiquer une forme de légitimité historique puisqu’elle se fonde en amont sur une chronique de la Jeunesse d’Alexandre Farnèse lue de près par Stendhal. Toutefois, le statut de l’histoire est problématique dans le roman, et tout se passe comme si l’ouverture épique où l’histoire rejoint le mythe entendait avant tout marquer le deuil d’une gloire révolue. L’épisode majeur de Waterloo, dans lequel la vision de la bataille est véritablement pulvérisée par le point de vue partiel de Fabrice qui ne comprend et même ne voit rien, atteste ainsi la faillite de tout sens ordonnateur. Waterloo fonctionne de fait comme une liquidation définitive du mythe originel énoncée par l’incipit et consomme le passage du sublime héroïque au drame individuel, c’est-à-dire de l’épopée à la politique. En effet, ce qui semble se jouer dans La Chartreuse, c’est la mort de l’histoire à laquelle succéderait la politique. Le roman montre que l’histoire telle que l’inventait Bonaparte a été liquidée par 1815 ; demeurent les intrigues fomentées par des cliques opposées et un pouvoir tyrannique dont l’assise est la peur, celle d’Ernest demandant à son ministre de vérifier si quelque libéral n’est pas dissimulé sous son lit, ce qui est impossible pour la bonne raison qu’ils sont tous emprisonnés ! Cynisme et grotesque apparaissent alors comme les deux catégories afférentes au politique ; le pouvoir dans La Chartreuse se situe à l’opposé de l’éthique et devient peu ou prou synonyme d’avilissement. Or, la fracture historique provoquée par Waterloo est telle que l’idéal républicain semble devenu proprement irréalisable. Dans ces conditions, Ferrante Palla reste un doux illuminé et seul Mosca, en fin analyste, jette les fondements de la politique la moins mauvaise possible ; contraint à louvoyer, il édicte la sombre morale politique du roman : celle d’un certain réalisme prenant acte de la faillite de l’histoire.
► Des personnages guidés par le fil rouge d’Éros.
Face et contre cette dénonciation, la grande affaire des personnages « positifs » est d’aimer. Rien d’étonnant à cela, puisque l’Italie symbolise dans l’imaginaire stendhalien le pays de la passion, bien éloigné de la morale glacée des autres pays européens. Toutefois, la véritable puissance de La Chartreuse consiste sans doute à montrer non seulement le sublime de la passion mais aussi sa face obscure : c’est tout d’abord la question de l’inceste entre Fabrice et Gina, et l’émergence progressive de l’âme noire de celle-ci ; c’est également les premières errances de Fabrice avec Marietta ou avec la Fausta ; c’est enfin et surtout la mort finale des protagonistes qui semble lier indéfectiblement le sentiment amoureux à la mort.
Or, cela ne s’oppose sans doute pas à la force de l’amour qui unit Fabrice à Clélia, mais en souligne à l’inverse la radicalité. En effet, la cristallisation (pour employer une notion éminemment stendhalienne) va aboutir à faire de Fabrice « un autre homme » ; c’est à une sorte d’accouchement mutuel entre les deux amants que l'on assiste dans la matrice de la tour Farnèse, dans laquelle le jeune homme séjourne d’ailleurs neuf mois. À partir de la faillite de l’ordre épique, le lyrisme individuel peut ainsi s’éployer dans une quête de la totalité qui fonde un nouveau type d’héroïsme : les deux amants, dans un retour à l’originel, réinventent le langage par des signes et des chants, aboutissant à une totale dépossession de soi pour se fondre en l’autre, preuve ultime de la fonction capitale de l’amour dans le roman, bien au-delà de l’habituel roman d’amour.
► Une écriture du bonheur.
Chacun connaît l’exceptionnelle genèse de La Chartreuse, écrit par Stendhal en cinquante-trois jours ; œuvre longtemps mûrie, mêlant les courants italien et autobiographique, œuvre tout entière placée sous le sceau du bonheur d’écrire. De fait, dans ce roman dépourvu de centre, c’est surtout le ton jubilatoire, l’entrain d’un texte souvent parlé qui continue de charmer le lecteur. La Chartreuse, ce serait alors quelque chose comme un allegro tempéré par le ton du Code civil, dont on sait que Stendhal lisait quelques pages avant de composer les chapitres du jour. Par-delà ces éléments fameux, l’écriture enchanteresse du roman tient sans doute au style épuré qui le caractérise ; à l’inverse de Balzac, Stendhal travaille par descriptions minimales, transposant à la littérature la manière du Corrège, cet artiste de la Renaissance dont il affirmait dans son Histoire de la peinture italienne que son art fut de peindre comme dans le lointain les figures du premier plan.
Littérature, peinture, mais aussi musique, tant le roman calque une structure musicale qui va jusqu’à l’apparenter à l’opéra, en privilégiant les variations fréquentes du point de vue. Aussi, sans aller jusqu’à évoquer un roman total, on parlera à tout le moins d’un texte singulier, unique, qui désigne son lectorat idéal, les happy few, auxquels le romancier dédicace son œuvre en esquissant le visage d’un lecteur familier et complice que l’on peut comprendre comme un reflet amical de lui-même.
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