Résumé des Fausses confidences
Acte I. À l’instigation secrète de Dubois son ancien valet, Dorante, soutenu par son oncle M. Remy, procureur, postule l’emploi d’intendant d’Araminte, riche veuve de financier dont il est épris malgré son manque de fortune. Dubois lui promet la dame et les 50 000 livres de rente, et lui demande de séduire Mlle Marton. M. Remy conseille, lui, à Dorante d’épouser Marton, fille de procureur, moins suivante qu’amie d’Araminte, et les «fiance». Ayant aperçu Dorante, Araminte décide de l’engager, et lui attache Arlequin, mais Mme Argante, sa mère, se promet de le renvoyer, faute d’obtenir son soutien au mariage qu’elle projette entre Araminte et le comte Dorimont. Marton, à qui Dorimont a promis 1 000 écus, pousse Dorante à le soutenir. Dorante rapporte à Araminte qu’on veut le faire mentir à propos d’une affaire qui oppose celle-ci à Dorimont, et feint l’embarras devant Dubois; celui-ci révèle l’amour fou de Dorante à Araminte, qui fait mine, devant Dorante, d’envisager son renvoi, tandis que Dubois dispose ses «batteries».
Acte II. Dorante conseille à Araminte de ne pas craindre un procès avec Dorimont, lui suggère d’éloigner Dubois, et refuse devant elle, en invoquant l’amour, un parti de 15 000 livres proposé par M. Remy. Marton s’attribue ce sacrifice, ainsi que le portrait en boîte qu’on vient livrer à Dorante: Araminte s’y découvre en l’ouvrant, tandis que Dubois suscite une dispute avec Arlequin à propos d’un portrait d’Araminte dans l’appartement de Dorante. Pressée de renvoyer son intendant, Araminte décide «de lui tendre un piège» pour le forcer à se déclarer: elle lui dicte une lettre au Comte. Ne sachant ce qu’il faut faire, Dorante souffre sans avouer, mais finit aux pieds d’Araminte, où Marton le surprend, au grand émoi d’Araminte. «Voici l’affaire dans sa crise», conclut Dubois, à qui Araminte n’a rien dit de ses sentiments.
Acte I. Dubois décide d’«achever» Araminte «pendant qu’elle est étourdie», se sert de Marton pour faire intercepter une lettre de Dorante, alors que Mme Argante s’agite, se prend de bec avec M. Remy et somme en vain sa fille de renvoyer cet intendant à «la mine doucereuse». Araminte confirme à Dorante sa décision de le garder, quand Marton vient lire la lettre de Dorante, où il révèle sa passion à un pseudo-ami. Dubois explique à Araminte qu’il a fait subtiliser la lettre pour l’aider à renvoyer Dorante, et se félicite in petto d’être chassé. Persuadée par Dorante de rejeter sur M. Remy le quiproquo de leur amour, Marton le disculpe et se réconcilie avec Araminte, qui accepte de recevoir Dorante: c’est elle qui avoue la première son amour, mais Dorante lui révèle alors les stratagèmes de Dubois, qu’elle pardonne, avant d’annoncer elle-même son mariage au Comte et à Mme Argante .
Analyse de la pièce
Il suffit de comparer ce résumé avec celui du Jeu de l’amour et du hasard pour mesurer sa singularité: abondance des scènes et des péripéties (le volume du texte, augmentant d’environ un quart, égale les cinq actes des Serments indiscrets), complexité des rapports entre personnages et des statuts sociaux (une veuve de financier un peu lasse, mais de grande allure; une bourgeoise entichée de noblesse, Mme Argante; un comte distingué; un procureur bougon; une fille de procureur devenue suivante, Marton; un fils d’avocat lui-même en état d’exercer, devenu intendant, Dorante; un valet de confiance, Dubois; un garçon joaillier... et l’ombre d’Arlequin, émouvant hommage à un grand acteur sur le point de mourir). On comprend que Collé, en tête d’un manuscrit proposant quelques remaniements de la pièce, ait pu écrire avec feu, car homme du métier: «En filant cette action et en lui donnant la durée qu’elle doit avoir naturellement, ce sujet pouvait aisément fournir la matière d’un roman intéressant. Mais tenter de le réduire en comédie, c’est ce qui aurait paru impraticable à tout autre qu’à M. de Marivaux. Il y a réussi supérieurement. Il a rendu l’amour de cette femme non seulement vraisemblable, mais de la plus grande vérité par l’art qu’il a mis à faire passer cette jeune veuve par toute les gradations du sentiment les plus fines et les plus délicates [...] c’est une espèce de magie dramatique» (cité par F. Deloffre). On n’a jamais mieux dit.
Il est certain que les Fausses Confidences pratiquent, comme le romancier ou le mémorialiste, une écriture soignée du «détail», qui accentue l’effet de réel propre à cette pièce: procédures de choix d’un intendant, prises de contact, affectation d’un logement et d’un valet, d’un premier travail, circulation d’objets (lettre, portraits), actualisation d’un dehors urbain, strict positionnement verbal selon le statut social des personnages (y compris chez Dubois, plus machiavélique qu’insolent, du moins avec Araminte), etc. Vont dans le même sens l’effacement, dans le dialogue, des signes les plus distinctifs du marivaudage, au point que le marquis d’Argenson ne s’y retrouva pas («On dit cette pièce de Marivaux, mais le style le dément tant en bien qu’en mal»), et celui des géométries dramaturgiques (parallélismes, inversions, travestis, etc.) chères à Marivaux.
Il s’agit bien pourtant, encore une fois, dans ce microcosme social si magistralement évoqué, d’une naissance de l’amour — contre les convenances factices, contre la disproportion des fortunes, contre les affects intimes, qui partagent le cœur entre l’aspiration à la tranquillité (mariage de raison, ou veuvage) et l’inextinguible désir de l’amour, le vertigineux désir de l’autre. Mais ici, cette naissance de l’amour se fait au forceps, et dans une ambivalence redoublée qui la rend impénétrable. Partage des rôles et de la fourberie entre Dubois et Dorante, qui à la fois conjugue et distingue, masque et dévoile; partage, en Dorante même, du sentiment et de l’intérêt, du calcul et de la spontanéité. Ne donnons qu’un seul exemple de ces miroitements fascinants. F. Deloffre estime que «rien ne permet aux spectateurs de douter que la passion de Dorante n’ait eu ce caractère destructeur que lui attribue Dubois devant Araminte» (I, 14). Admettons l’innocence de l’ironie en un tel valet! Mais rien ne permet de se convaincre que cette passion soit née par hasard. Tout, au contraire, suggère qu’elle a béni une bonne fortune désignée par Dubois: «DORANTE. Je n’ai pu te garder [...]; malgré cela, il t’est venu dans l’esprit de faire ma fortune» (I, 2). Dubois et Dorante, séparés pour le confort du spectateur et l’exact équilibre, sur la lame du rasoir, de ce chef-d’œuvre d’ambiguïté, incarnent, en chaque homme, l’insécable fusion de la rouerie et de la sincérité, de l’abandon et du calcul.
J. GOLDZINK, Les fausses confidences, Dictionnaire des oeuvres littéraires françaises