Rousseau est l’auteur d’un article important de l’Encyclopédie, « Économie politique ». Pendant dix ans il travaille au projet d’un vaste ouvrage qu’il se propose d’intituler Les Institutions politiques ; il le résume entre 1759 et 1761 sous le titre Du Contrat social ; le sous-titre Principes du droit politique définit clairement l’objectif de Rousseau : instaurer le droit politique, c’est-à-dire conférer un fondement légitime à l’autorité politique.

Toute théorie du contrat social fait de l’individu le fondement de l’autorité politique. Elle suppose que, selon les lois de la nature, les hommes ne sont pas liés entre eux par des rapports d’autorité, mais par des relations d’égalité et de liberté. Par conséquent, les droits et obligations qui régissent l’organisation sociale sont issus du consentement des individus qui composent la société. Le chapitre 1 du premier livre s’ouvre sur une phrase devenue très célèbre : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». Cette formule lapidaire dénonce l’aliénation des hommes soumis à une autorité politique illégitime et proclame l’urgence de la restauration de la liberté naturelle inaliénable : « Renoncer à sa liberté naturelle, c’est renoncer à sa qualité d’homme » écrit-il quatre chapitres plus loin. Quelle est la forme d’organisation de la société qui préserve et garantisse la liberté naturelle ? Telle est la question sur laquelle Rousseau se penche tout au long des quatre livres qui composent son ouvrage.

Résumé et commentaire des livres I et II : le contrat social et la souveraineté 

La condamnation des autorités naturelles

Aucun homme ne tient de la nature une autorité, quelle qu’elle soit, sur les autres hommes. L’autorité du père sur ses enfants disparaît dès que les enfants n’ont plus besoin de lui pour assurer leur survie. L’esclavage et la force, même quand ils sont acceptés, ne peuvent se justifier au nom d’une prétendue supériorité de certains individus, parce qu’ils sont une négation de la volonté libre de ceux qu’on assujettit : « Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c ’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ? ».

Définition du pacte social

Un pacte par essence consenti librement. L’autorité politique ne peut avoir pour origine que le consentement unanime de ceux sur qui elle s’exerce : « Tout homme étant né libre et maître de lui-même, nul ne peut, sous quelque prétexte que ce puisse être, l’assujettir sans son aveu », « aveu » doit ici être compris au sens de « volonté ». Ce consentement est fixé par un pacte social, « l’acte du monde le plus volontaire ». Selon Rousseau, les clauses de ce contrat se réduisent en fait à une seule :

« L’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté ». Le mot « aliénation » prend dans la phrase le sens juridique de « transmission volontaire ». Ce ne sont pas seulement ses biens que l’individu lègue à la communauté, ce sont surtout ses droits individuels : le mot « associé », qui se substitue au mot « individu » dans la formulation, souligne avec force que dans une telle société l’individu, avec ses égoïsmes et ses intérêts particuliers, connaît une authentique promotion morale et se métamorphose en citoyen animé par le seul intérêt général. L’accumulation des termes « totale », « chaque », « tous », « toute », affirme avec force que ce contrat social exclut toute exception ; ainsi, « la condition est égale pour tous ». Chacun abandonnant tous ses droits individuels, aucune personne n’a plus à craindre d’être assujettie par une autre personne, la liberté est donc garantie pour chaque associé. L’homme acquiert en réalité un statut ambivalent, il est à la fois citoyen et sujet, citoyen parce qu’il constitue une
partie de la souveraineté, sujet parce qu’il obéit aux lois votées par cette souveraineté dont il est membre. Le citoyen-sujet vit dans la dynamique de la volonté générale, qui n’est pas la somme des volontés particulières toujours subjectives et égoïstes ; la volonté générale, objective, s’élabore « dans le silence des passions », dans le but unique de servir l’intérêt général.

La souveraineté est donc celle du peuple, de la communauté, qui dicte sa volonté générale à tous ses membres.

Les caractéristiques de la souveraineté selon Rousseau

  • Elle est inaliénable. La volonté générale souveraine ne peut être cédée à quiconque. Rousseau condamne tout régime politique fondé sur la représentativité : la souveraineté ne peut en aucun cas être exercée par un député élu par les citoyens, le risque de voir la volonté générale supplantée par les intérêts particuliers est beaucoup trop grand. Il conteste les théories de Montesquieu qui défend les régimes représentatifs, et en particulier la Constitution anglaise ; pour lui « toute loi que le Peuple n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi ».
  • Elle est indivisible. La division de la souveraineté en une puissance législative et une puissance exécutive est incohérente et donc inadmissible : « La volonté est générale ou elle ne l’est pas ; elle est celle du corps du peuple », un corps qu’on ne peut diviser en parties indépendantes. Sur ce point également Rousseau condamne Montesquieu en se demandant comment on peut réaliser l’unité du corps social en posant le principe de la séparation.
  • Elle est infaillible. Le peuple, à la fois citoyen et sujet, ne peut que vouloir le bien de chacun et de tous. Cette infaillibilité n’est pas celle relevant d’une vérité dogmatique unique, définitive et univer­selle comme se présente l’infaillibilité papale. La volonté générale ne se trompe pas parce que, à un moment précis de la vie de la communauté, les décisions qu’elle prend servent l’intérêt du groupe et des personnes. C’est ainsi qu’on peut comprendre la formule célèbre et paradoxale « On le contraindra à être libre » qui s’applique à un sujet qui n’accepterait pas les décisions de la volonté générale ; un tel refus pour Rousseau ne peut avoir pour origine que les passions subjectives égoïstes individuelles, qui sont une forme d’esclavage, il faut par conséquent éduquer un tel sujet récalcitrant à la vraie liberté de la volonté générale objective qui, « toujours droite, tend toujours à l’utilité publique ». 
  • Elle est absolue. La volonté générale est « totalitaire » dans la mesure où elle englobe toutes les composantes de la société ; son autorité ne peut être remise en cause par un sujet ou une minorité : « Le pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur les siens. [...] Ll faut à l’État une force universelle et compulsive pour mouvoir et disposer chaque partie de la manière la plus convenable en tout ». Cet absolutisme n’a toutefois rien d’arbitraire, comme le dit le titre du chapitre 4 du livre II, « Des bornes du pouvoir souverain », puisqu’il se met au service de l’intérêt général et qu’il ne peut brimer les vrais intérêts de chacun.

Il y a bien chez Rousseau un mysticisme de la volonté générale qui est une des caractéristiques majeures de son œuvre Du contrat social.

Résumé et explication du livre II : le contrat social , le législateur et la loi 

La nécessité d’un législateur

La volonté générale s’exprime à travers la loi qui fait de l’homme un citoyen libre. Il faut toutefois résoudre une difficulté à la fois pratique et structurelle : comment énoncer, comment formuler cette volonté générale émanant d’un nombre très important de membres, qui n’ont pas tous la compétence pour une telle élaboration par ailleurs vitale pour la communauté ? Rousseau pose la nécessité d’un législateur, homme unique, qui met en forme les lois voulues par la volonté générale.

Les qualités du législateur

Un génie solitaire. Le législateur travaille dans la solitude. C’est un être supérieur qui est une sorte d’intermédiaire entre les dieux et les hommes, une sorte de mage, prophète à la fois des forces spirituelles et de l’Humanité. Il ressemble à Moïse, à Solon, à Lycurgue, qui donnent respectivement la loi aux Hébreux, à Athènes, à Sparte. Doté de qualités intellectuelles supérieures qui en font une sorte de génie, le législateur demeure désintéressé, sa conscience morale est d’une pureté sans failles. Il n’est pas seulement celui qui propose des lois bonnes en soi, sa connais­sance des hommes pour qui il travaille le rend aussi capable de édiger des lois que le peuple « est propre à supporter », et de les lui proposer au moment opportun, ce qui suppose qu’il soit un fin stratège.

Un homme sans pouvoirs. Le législateur n’a aucun pouvoir de décision ; il ne fait que proposer les lois sans jamais les imposer. Il peut exercer ses capacités de conviction et de persuasion, mais c’est le peuple et lui seul qui décide et ratifie les lois ; c’est donc bien le peuple qui détient le pouvoir législatif : « Celui qui rédige les lois n’a donc et ne doit avoir aucun droit législatif, et le peuple même ne peut, quand il le voudrait, se dépouiller de ce droit fondamental, parce que, selon le pacte fondamental, il n’y a que la volonté générale qui oblige les particuliers ». Cet homme, excep­tionnel par ses qualités, par son désintéressement, ne peut émerger que dans une société qui soit digne de lui : « fe regarde les nations modernes : j’y vois force faiseurs de lois et pas un législateur ».

Le contrat social nécessite un peuple développé 

Un peuple n’est capable d’exercer un pouvoir législatif qu’à certaines conditions. Ce peuple doit être soudé par un ciment qui s’enracine dans son passé et qui est aussi constitué de projets communs à réaliser ; chaque membre doit avoir la possibilité d’être connu de tous pour qu’une authentique solidarité puisse se vivre ; il doit être libéré des superstitions et des préjugés qui paralysent la voix de la raison ; il doit être indépendant et ne pas craindre l’agression d’autres peuples ; il doit enfin être suffisamment développé pour se suffire à lui-même. Ces conditions nombreuses font du contrat social rousseauiste un idéal au XVIIIe siècle.

Résumé et commentaire du livre III : Contrat social et gouvernement

Définition

Le gouvernement ne propose pas de lois, il a pour mission de les mettre en œuvre, il constitue un « corps intermédiaire établi entre les sujets et le souverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de l’exécution des lois et du maintien de la liberté, tant civile que politique ». Le peuple souverain détient la totalité de la volonté politique, le gouvernement traduit cette volonté par des actions qui la rendent effective. Ce gouvernement n’a aucun pouvoir sur le peuple : « Les dépositaires de la puissance exécutive ne sont point les maîtres du peuple, mais ses officiers, il peut les établir et les destituer quand il lui plaît, il n’est point question pour eux de contracter mais d’obéir ». Les hommes au gouvernement sont donc des sortes de fonctionnaires, révocables à tout moment, qui organisent les mesures particulières pour que la loi instaurée par la volonté générale se traduise par des faits.

Les formes de gouvernement

Elles se définissent par leur nombre de membres.

  • La démocratie. Dans une démocratie, le peuple en corps vote les lois et décide des mesures particulières qui sont nécessaires à leur application. Or, « il n’est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour le donner aux objets particuliers ». Une démocratie implique un peuple qui soit « incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques », ce qui présuppose un État qui soit petit et des citoyens qui soient eux-mêmes des dieux.
  • La monarchie. Le gouvernement d’un seul présente un grand avantage, il est cohérent et efficace, « tout marche au même but ». Mais le Prince cherchera naturellement à imposer sa propre volonté, son « but n’est pas celui de la félicité publique ». Rousseau refuse la théorie monarchiste selon laquelle il existe une identité entre l’intérêt du monarque et l’intérêt public : « Leur intérêt personnel est premièrement que le peuple soit faible, misérable, et qu’il ne puisse jamais lui résister ».
  • L’aristocratie. Gouvernement de quelques-uns, l’aristocratie hérédi­taire doit être bannie parce qu’elle servirait ses intérêts particu­liers au détriment de la volonté générale. En revanche l’aristocratie élective, choisie par le peuple, a ses mérites, à deux conditions : «La modération dans les riches, le consentement dans les pauvres ».

La préférence de Rousseau va manifestement à l’aristocratie élective, mais il n’en fait pas un gouvernement idéal ; celui-ci n’existe pas, la forme du gouvernement doit être choisie en fonction du contexte vécu par le peuple : « On a, de tout temps, beaucoup disputé sur la meilleure forme de gouvernement, sans considérer que chacune d’elles est la meilleure en certains cas ou la pire en d’autres ».

Le danger de tout gouvernement

Le gouvernement est une véritable gangrène politique. En effet, il est toujours tenté d’imposer son « moi particulier » au « moi commun ». Tout gouvernement est tenté d’empiéter sur la souve­raineté du peuple, de se substituer à la volonté générale ; tel est « le vice inhérent et inévitable qui, dès la naissance du corps politique, tend sans relâche à le détruire, de même que la vieillesse et la mort détruisent enfin le corps de l’homme ». La politique apparaît ainsi tragiquement vouée à la dégénérescence et à l’échec : « Si Sparte et Rome ont péri, quel État peut espérer de durer toujours ? ».

La sauvegarde de l’État. Rousseau propose deux types de moyens pour prolonger la vie de l’État. Les moyens normaux consistent à organiser des assemblées fréquentes des citoyens afin de défendre le pacte social, la puissance exécutive peut alors être contrôlée, suspendue, voire révoquée. Les moyens exceptionnels sont de deux ordres, la censure et la dictature, qui peuvent s’imposer à un moment de crise profonde de la société ; le dictateur, homme exceptionnel, dispose de tous les pouvoirs pour un temps limité et une fonction précise : rétablir le crédit et l’autorité de la volonté générale.

Explication du livre IV : La religion instaurée par le pacte social

Les religions réfutées par Rousseau

« La religion de l’homme ». Rousseau désigne ainsi le christianisme, « non pas celui d’aujourd’hui, mais celui des Evangiles qui est tout à fait différent ». Les premiers chrétiens adorent Dieu indépen­damment de l’État, un Dieu qui demande de « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Une telle religion ne développe en aucune façon le sentiment civique, et même, elle s’avère plutôt asociale dans la mesure où elle cherche à détacher les hommes du monde terrestre en privilégiant celui de l’au-delà.

« La religion du citoyen ». L’expression désigne la religion de la Cité antique, tant grecque que romaine. Ce sont les dieux qui ont fondé la société et donné aux hommes les lois qui régissent la Cité. En vénérant les dieux, les hommes rendent un culte au lien social qu’ils considèrent comme sacré. Une telle religion, qui crée et entretient le ferment social, ne peut qu’être louable. Mais les dieux qui sont adorés relèvent de la superstition, et il est impossible de défendre le principe d’une communauté fondée sur l’erreur voire le mensonge.

« La religion bizarre ». Elle est encore dénommée « la religion du prêtre » ; la troisième religion refusée est le catholicisme, dont Rousseau a horreur, contrairement aux deux premières. Même s’il s’est converti pour un temps au catholicisme, pour de multiples raisons qui ne relèvent aucunement de convictions profondes, il abomine cette religion parce qu’elle est source de division et même de guerre intérieure au lieu de constituer un facteur d’unification. Dans la société française du XVIIIe siècle, depuis la révocation de l’Édit de Nantes, le catholicisme est de nouveau religion d’État, et la persécution des hérétiques, protestants en particulier, a repris. Rousseau ne peut admettre qu’on puisse être chassé hors de l’État pour des convictions religieuses personnelles.

L’apologie d’une religion civile

Toute société a besoin d’une religion ; les individus ont besoin d’être « reliés » - c’est une des étymologies du mot « religion » - par des cérémonies, des fêtes, qui entretiennent en le célébrant le lien social. Ce lien doit être l’objet d’une ferveur particulière, mystique, pour qu’il soit vécu comme sacré, inviolable ; c’est en effet lui qui métamorphose l’individu en citoyen et crée la volonté générale. Cette religion civile n’interdit pas du tout une religion naturelle pratiquée librement par les individus. Rousseau révèle ainsi ses convictions déistes et tente de trouver un équilibre entre la religion de la Cité antique et le respect des droits de l’homme, notamment la liberté de penser, de croire, et la tolérance.

Commentaire sur la portée du Contrat social

Un ouvrage irréaliste

On voit mal comment les idées de Rousseau pourraient être mises en œuvre dans les grandes sociétés modernes constituées de dizaines voire de centaines de millions d’individus. Lui-même d’ailleurs pense que ses principes peuvent s’appliquer à « une seule ville tout au plus », les cités ayant ensuite la possibilité de se confédérée Mais Rousseau n’étudie pas l’organisation du pouvoir, pourtant fondamentale, au sein de cette fédération. De plus, ses analyses des relations entre le gouvernement et la souveraineté générale le mènent à une sorte d’impasse, car il s’avère impossible de trouver une forme de gouver­nement qui soit bonne.

Les nouvelles valeurs politiques pronées par le Contrat social

Condamnée en France, brûlée à Genève, obligeant son auteur à l’exil, l’œuvre dérange l’ordre établi. Les grands principes de Rousseau, la religion civile, la dictature pour le salut de l’État, la défiance à l’encontre du pouvoir exécutif, le lien social sacré, la souve­raineté populaire, la volonté générale, animent toute la Révolution française... mais conduisent également aux horreurs de la Terreur. Rousseau, profondément pacifiste, aurait détesté ces horreurs ; mais, à son corps défendant, il illustre cette conviction largement partagée aujourd’hui selon laquelle les sociétés parfaites sont les pires des sociétés, parce que, au nom de cette perfection, elles ne peuvent qu’interdire et combattre toute contestation. « On le contraindra à être libre », dit Rousseau du contestataire : l’histoire montre la barbarie qu’engendre un tel principe !

Toutefois, Rousseau fonde les grandes valeurs républicaines : le peuple souverain, la citoyenneté, l’intérêt général, ces principes demeurent des références essentielles.

Une erreur sur la nature humaine ?

Cette œuvre considère l’homme comme un être social, au détriment de la dimension individuelle. La politique est pour une part une négociation perpétuelle entre les intérêts particuliers et l’intérêt général, et non la négation des premiers au profit exclusif du second. L’identité nationale ne peut se substituer à l’identité indivi­duelle. Toute la vie de Rousseau révèle d’ailleurs un tempérament plus individualiste qu’altruiste.

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