OH! LES BEAUX JOURS. Pièce en deux actes et en prose de Samuel Beckett (Irlande, 1906-1989), publiée à Paris aux Éditions de Minuit en 1963. Écrite en anglais (Happy Days) en 1960-1961, traduite en français par l’auteur en 1962, elle sera créée à New York et à Berlin en 1961, jouée à Londres en 1962, puis à Paris, à l’Odéon en 1963, avec Madeleine Renaud dans le rôle de Winnie.
Oh les beaux jours : résumé
Sur scène deux personnages: l’un est une femme, Winnie, «la cinquantaine, de beaux restes, blonde de préférence, grassouillette». Au premier acte, elle est enfoncée «jusqu’au-dessus de la taille» dans une petite éminence de terre, couverte d’herbe brûlée, d’où ses bras dépassent. Derrière ce petit «mamelon», sur lequel reposent divers objets (un grand sac, une ombrelle), se trouve son mari, Willie, invisible du public la plupart du temps. Pendant toute la durée de la pièce c’est Winnie qui parle, s’adressant à Willie (qui ne lui répond que très rarement), ou monologuant le plus souvent, tout en manipulant les quelques accessoires qu’elle retire de son sac. Il lui suffit alors de le savoir là, tout simplement, «à portée de voix». Elle évoque le passé et commente ses propres gestes au fur et à mesure qu’ils s’accomplissent, très attentive à ne pas en précipiter le déroulement afin que la journée ne comporte pas de temps mort. Au second acte elle est «enterrée jusqu’au cou» et ne peut plus bouger que les yeux. Son discours se fait moins résolument optimiste qu’au premier acte. Elle attend le moment propice pour pouvoir chanter: elle ne le fera qu’à la fin de la pièce, alors qu’entre-temps Willie se sera montré et aura tenté — mais en vain — de gravir à quatre pattes le mamelon pour la rejoindre.
Analyse de la pièce : un théâtre de la condition humaine
Ainsi réduites à leur plus simple expression, à leur dérision, les mille ruses auxquelles la raison a recours pour soustraire l’être à la tyrannie du temps prennent ici un relief saisissant. Chaque geste, chaque parole tirent leur densité du combat pour durer dont ils constituent l’aboutissement. Car il s’agit de parer à tout prix l’angoisse du temps mort: «Il arrive que tout est fini, pour la journée, tout fait, tout dit, tout prêt, pour la nuit, et la journée pas finie, loin d’être finie, la nuit pas prête, loin d’être prête.» Pour s’éviter cette douleur, il suffit d’un peu de méthode, et Winnie possède à merveille l’art d’aménager la durée de chaque jour. Elle enchaîne toujours à peu près les mêmes occupations dans le même ordre, et se réjouit de chaque petite circonstance imprévue qui peut venir s’y ajouter. Sa parole, qui semble inépuisable, ponctue le déroulement de la journée et certaines formules y reviennent comme un leitmotiv de conjuration («Ça que je trouve si merveilleux»). À moins que les mots eux-mêmes ne soient sujets à défaillance, car «il est des moments où même eux vous lâchent», et en particulier ceux qui désignent le temps, signes d’une mémoire qui s’effrite. Il peut même arriver à Winnie la gagneuse, l’optimiste impénitente, de perdre parfois son assurance: «Il y a si peu qu’on puisse dire. [...] On dit tout. [...] Tout ce qu’on peut [...]. Et pas un mot de vrai nulle part.» Mais elle balaie ces assombrissements d’une incantation jubilante en tirant par exemple de la présence de Willie, aussi réduite soit-elle, motif à se féliciter. Car, même s’ils ne peuvent rien l’un pour l’autre, ces deux êtres parviennent parfois à se masquer leur impuissance sous une tendre bouffée de complicité, exprimée dans un échange de regards ou une explosion de rire. Dans l’ensemble de son théâtre, c’est bien ici l’une des rares échappatoires au néant que Beckett nous propose.
G. COGEZ, in Dictionnaire des oeuvres littéraires de langue française." © Bordas, Paris 1994