Publié en 1782, quelques années avant la Révolution française, Les Liaisons Dangereuses est un portrait troublant et finalement accablant d'une société décadente. Au centre de l'histoire se trouvent deux aristocrates, anciens amants, qui se lancent dans un jeu sophistiqué de séduction et de manipulation afin de divertir leurs existences blasées. Mais alors que leurs intrigues deviennent de plus en plus fourbes et que leurs pions humains réagissent d'une manière qu'ils n'auraient pas pu prévoir, les conséquences s'avèrent plus graves, et mortelles, que Merteuil et Valmont n'auraient pu l'imaginer.
Résumé des Liaisons dangereuses
Sollicité par la marquise de Merteuil pour séduire la jeune Cécile de Volanges promise à Gercourt dont elle veut se venger, le vicomte de Valmont oppose à son amie un refus qu’il explique par son désir de séduire la vertueuse Présidente de Tourvel. Toutefois, ses premières avances demeurent vaines et Valmont en est quitte pour essuyer les sarcasmes de Mme de Merteuil. Cependant, ayant appris que la mère de Cécile a révélé son véritable caractère à Mme de Tourvel, Valmont décide alors d’obtempérer aux ordres de la marquise et de séduire Cécile afin de se venger des procédés de sa mère. Devant les refus réitérés de Mme de Tourvel, il invoque une prétendue conversion et obtient finalement par ce biais la défaite de la Présidente. Néanmoins, alors que Valmont exige de Mme de Merteuil le paiement de ses bons services, celle-ci y met la condition expresse qu’il rompra auparavant avec la Présidente.
Par orgueil, et malgré un amour inavouable, Valmont consomme cette rupture et, la marquise se dérobant, la guerre éclate entre les deux libertins. Ils divulguent alors leurs lettres mutuelles qui les découvrent aux yeux des autres personnages et la catastrophe finale se produit : Valmont est tué en duel par Danceny, amoureux transi de Cécile et amant marionnette de Merteuil, alors que la marquise, frappée par la petite vérole, est contrainte à se retirer de la société. Mme de Tourvel meurt brisée et Cécile se retire au couvent.
Analyse des Liaisons dangereuses
► Un roman épistolaire : plaisir d’écrire et joie de lire
Il convient tout d’abord de préciser que le choix du roman épistolaire ne se réduit pas à sacrifier à la mode instaurée par Richardson et illustrée par La Nouvelle Héloïse ; la lettre se trouve en effet postulée par le caractère inavouable des relations qu’elle permet d’entretenir en même temps qu’elle constitue le lieu où le moi, tout à tour, se dissimule et se révèle. Aussi devient-elle le moyen d’action privilégié du libertin, parce qu’elle lui permet d’agir sur l’esprit de son destinataire, dans le but de le tromper ou bien de se faire valoir à ses yeux. Ainsi, malgré le danger potentiel attaché à l’écriture, qui est comme la preuve toujours possiblement divulguée de leur rouerie, les libertins ne peuvent résister au plaisir exhibitionniste de raconter leurs actions, à tel point que le plaisir trouvé dans Pacte est véritablement redoublé par le récit qu’ils en font. On mesure donc combien le jeu (aux deux sens du terme) est lié à la forme choisie qui confère au roman cette précision psychologique qu’on lui reconnaît et précipite par ailleurs la catastrophe finale. Jeu qui se fonde aussi sur la complicité d’un lecteur toujours mis dans la confidence, et qui saisit et jouit également en permanence du discours sur deux niveaux, et parfois à double entente (voir la fameuse lettre 48 où Valmont écrit à la Présidente sur le dos d’Emilie), où l’acte répond presque systématiquement à un but soigneusement masqué. La stratégie énonciative se fonde donc sur un décalage que seuls le lecteur et les libertins connaissent, leur conférant du même coup une supériorité jubilatoire sur les autres personnages.
► Les liaisons dangereuses ou le libertinage du corps et de l’esprit
Dans le texte qu’il consacre aux Liaisons dangereuses, Malraux rappelle que le mot « intrigue » désigne à la fois l’organisation des faits dans une fiction et un ensemble d’actions agencées afin de tromper autrui, soulignant de la sorte que le raffinement de l’intrigue se fonde, précisément, sur l’intelligence des intrigants. L’espace du roman ressemble bien à un champ de bataille où les deux libertins, en fins stratèges, développent les fils d’une intrigue implacable, de sorte que la satisfaction des désirs ne constitue que le couronnement d’une œuvre de l’esprit : c’est le plaisir tout cérébral de la manœuvre qui est avant tout recherché. L’orgueil - fatal - et le désir - ou, plutôt, l’amour honni - fonctionnent comme les deux pôles du roman, et ce dès le début, puisque c’est bien sa vanité bafouée que la marquise de Merteuil va vouloir venger par une relation sexuelle dégradante pour le futur époux. La sexualité apparaît ainsi comme l’arme avilissante à la solde d’une intelligence ordonnatrice et dévoyée : c’est donc une véritable politique du corps qui est instituée par les libertins dont la volonté impérieuse
excelle à faire croire quelque chose à quelqu’un afin de le gouverner, sans jamais se désolidariser d’une maîtrise rationnelle d’eux- mêmes. Jamais ? Que si ! Et c’est précisément lorsque Valmont va se laisser entraîner par les passions (amour et orgueil) que la catastrophe va s’enclencher, ce qui tendrait à lire le roman, aussi bien, comme un étrange traité des passions.
► Quelle morale dans Les liaisons dangereuses ?
Dans ces conditions, quelle peut être la visée morale de l’œuvre ? Laclos, pressentant la charge sulfureuse de son roman, le fait précéder de deux préfaces qui s’escriment à en prouver la moralité, mais d’illustres lecteurs comme Baudelaire ou Gide ne verront dans ses protestations de vertu que pantalonnades. De fait, le prestige des libertins, le rythme de l’action et la connivence du lecteur suffiraient à avaliser une lecture ironique des préfaces, mais sans doute faut-il se garder d’une telle tentation et conserver à ce roman sa dualité idéologique : séduction satanique, pour gloser Baudelaire, mais aussi condamnation rousseauiste de l’écriture. Finalement, par-delà un manichéisme simplificateur, le libertinage mis en scène par Laclos révèle sans doute un dysfonctionnement social qui ne se confond pas avec une apologie du libertinage mais tend peut-être surtout à en dégager les conditions d’émergence, c’est-à-dire à élever le libertin au rang de symptôme d’une société, dans tous les sens, viciée.