I - Texte argumentatif extrait de la préface de Pierre et Jean

En préface à son roman Pierre et Jean, Guy de Maupassant expose sa conception du roman réaliste.

Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nous donner la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même.

Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par jour­née, pour énumérer les multitudes d'inci­dents insignifiants qui emplissent notre existence.

Un choix s'impose donc — ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité.

La vie, en outre, est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les plus disparates ; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et contradictoires qui doivent être classées au chapitre des faits divers.

Voilà pourquoi l'artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encom­brée de hasards et de futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'à côté.

Un exemple entre mille :

Le nombre des gens qui meurent chaque jour par accident est considérable sur la terre. Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la tête d’un personnage principal, ou le jeter sous les roues d'une voiture, au milieu d'un récit, sous prétexte qu'il faut faire la part de l'accident ?

La vie encore laisse tout au même plan, précipite les faits, ou les traîne indéfini­ment. L'art, au contraire, consiste à user de précautions ou de préparations, à ménager des transitions savantes et dissimulées, à mettre en pleine lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essen­tiels et à donner à tous les autres le degré de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la vérité spéciale qu'on veut montrer.

Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servi­lement dans le pêle-mêle de leur succession.

J'en conclus que les réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des illusionnistes.

Maupassant, Préface de Pierre et Jean, 1888. 

 

II- Etude de l'argumentation de Maupassant

1- À quel type de texte avez-vous affaire ?

2- Identifiez la thèse du texte et les différents arguments qui la soutien­nent. Repérez, parmi les indices textuels soulignés dans le texte, ceux qui marquent l'enchaînement des arguments.

3- Analysez les deux exemples (en italiques dans le texte) utilisés par Maupassant. Comment servent- ils l'argumentation ?

 

 

CORRIGÉ DE L'EXERCICE

Question 1 : À quel type de texte avez-vous affaire ?

Le texte de Maupassant réfute une conception étroite du réalisme qui se contenterait de reproduire servi­lement la réalité. La thèse propo­sée dans le premier paragraphe, qui est annoncée par l'adversatif « mais », s'oppose à la thèse refu­sée, présentée à la forme négative (« non pas... »).

Les structures antithétiques, indices d'une démarche argumentative parcourent ensuite l'extrait : l'art réaliste s'oppose à la vie brute.

Question 2 : Identifiez la thèse de Maupassan et les différents arguments qui la soutiennent. Repérez les indices textuels qui marquent l'en­chaînement des arguments.

La thèse est énoncée dans le premier paragraphe. Maupassant revendique le statut d'« artiste » pour l'écrivain réaliste qui se donne pour objectif de recompo­ser le réel.

Chaque argument est ensuite présenté de manière démonstrative. Il aboutit à une conclusion marquée par les indices suivants :

  • « donc » au paragraphe 3,
  • « voilà pourquoi » au para­graphe 5,
  • « donc » au paragraphe 8.

« J'en conclus que », au dernier paragraphe, annonce la thèse finale : les réalistes utilisent leur talent pour créer l'illusion du vrai. Le passage d'un argument à un autre correspond toujours à un alinéa. L'enchaînement des argu­ments est souligné par l'utilisation d'outils logiques qui signalent un parti pris d'accumulation :

  • « en outre » au paragraphe 4 marque le passage au deuxième argument,
  • « encore » au paragraphe 7 marque le passage au troisième argument.

Les trois arguments expliquent comment l'artiste recompose le réel : l'idée commune à ces trois arguments est celle de sélection nécessaire:

  • il faut choisir dans le « pêle- mêle» (paragraphes 2 et 3),
  • il faut retenir les éléments signi­fiants (paragraphes 4, 5 et 6),
  • il faut ordonner et recomposer (paragraphes 7 et 8).

Question 3 : Analysez les deux exemples (en italiques dans le texte) utilisés par Maupassant. Comment servent-ils l'argu­mentation ?

Le premier exemple a valeur de preuve : il est introduit par la conjonc­tion « car ». Il participe donc à la démonstration.

Le second exemple est élaboré de manière démonstrative. Maupas­sant construit un raisonnement, repérable à l'usage de l'adversatif « mais » et à l'utilisation rhéto­rique de l'interrogation : cette question contient sa réponse.

 

Continuer vers l'étude de l'argumentation : 

Les genres de l'argumentation

La situation d'argumentation

Le texte argumentatif : définition et caractéristiques

La thèse, les arguments et les exemples

Les types d'arguments : exemples et exercices

Les connecteurs logiques: exemples et exercices

Le paragraphe argumentatif par l'exemple

Analyser un texte argumentatif : méthode, exemples et exercices

Étude d'un texte argumentatif : préface de Pierre et Jean de Maupassant


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