Texte commenté : Voltaire, Article "guerre", Dictionnaire philosophique 

Dans ce petit Dictionnaire portatif,, comme l'appelait l'auteur, se trouvent regroupés par ordre alphabétique les grands sujets de réflexion de la pensée des Lumières. Voltaire donne à ses "définitions" un tour brillant et souvent ironique pour défendre les valeurs de progrès et de tolérance et fait avancer les conquêtes de la raison. 

1. La structure du texte 

On constate que les six paragraphes qui composent le texte ne sont pas reliés par des articulations logiques ou chronologiques, mais semblent juxtaposés sans liens apparents.

Les cinq premiers paragraphes présentent pourtant un début comparable ; un acteur intervient à chaque fois pour une action nouvelle: un généalogiste prouve à un prince, les autres princes, des peuples, ces multitudes, cinq ou six puissances belligérantes. Cette succession fait apparaître d’abord le singulier : un généalogiste, un prince, puis des pluriels, désignant à chaque étape un groupe plus nombreux. C’est sur cette gradation que repose la logique du texte, chaque paragraphe décrivant une nouvelle étape amplifiée et dépassée par le paragraphe suivant.

Cette structure souligne efficacement le phénomène d’extension des conflits. La juxtaposition de brefs paragraphes permet de mettre l’accent sur l’engrenage que constitue la guerre. Leur succession traduit la surenchère, l’effet d’escalade par paliers, depuis des revendications absurdes jusqu’au conflit généralisé.

2. Un récit au service des idées

La succession des paragraphes qui délimitent les étapes d’une progression dans la durée, définit assez nettement les caractéristiques d’un récit. Un relevé des verbes utilisés permet de faire apparaître le nombre important des verbes d’action: les habille, les fait tourner, y prennent part, se battre, etc. Ces actions successives permettent encore de dégager le caractère narratif du texte, confirmé par l’emploi d’un lexique concret : lexique de la généalogie et du droit, puis du vêtement dans le premier paragraphe, de la guerre dans le paragraphe 5, des cérémonies religieuses dans le paragraphe 6.

Un texte narratif correspond pourtant mal à l’ambition présente dans le titre de l’ouvrage : Dictionnaire philosophique, et au projet de consacrer dans ce dictionnaire un Article à la guerre.

Cette inadéquation du contenu au titre attire l’attention du lecteur. L’article de dictionnaire paraît utilisé comme garantie du sérieux de l’entreprise, mais il ne donne ni une définition ni un historique ni une analyse de la guerre, comme on s’y attendrait. C’est par un récit que Voltaire passe en revue tous les aspects de la question qu’il traite. Le récit sert à provoquer l’intérêt du lecteur, et il permet de souligner le fait que la guerre est une suite d’actions malfaisantes dont l’issue ne peut être que dramatique.

3. Une mise en cause de toutes les guerres

• Les déterminants les plus représentatifs du texte sont les articles indéfinis. Ils déterminent chaque mot clé du déclenchement et du déroulement du conflit: un généalogiste, un prince, un comte, une province, un grand nombre d’hommes, des peuples.

Cet emploi a pour effet de présenter les phénomènes sans les identifier précisément, d’envisager le cas particulier qui est décrit, comme un cas général. Cette valeur est renforcée par l’emploi d’adjectifs indéfinis  et de pronoms indéfinis. Les démonstratifs mêmes qui sont présents  ne renvoient à aucune réalité précise. Ils n’ont pour référence que ce qui a été dit dans le texte auparavant.

Rien ne permet donc de dire de quels princes, de quels pays, de quels conflits il s’agit.

• L’observation des temps verbaux aide à confirmer cette déduction. Le temps dominant est le présent de l’indicatif, employé dans tous les paragraphes pour décrire chaque phase du conflit.

Cette « mise à plat » donne l’impression que Voltaire n’a pas cherché à entretenir le suspens en jouant dans son récit sur la temporalité et la datation, mais qu’il a raconté cette aventure comme une vérité permanente, qu’il y voit une suite de lois générales qui ne peuvent manquer de se produire.

Le texte n’a donc pas pour fonction d’apporter un témoignage sur une guerre particulière, mais il se charge de dénoncer la guerre, toutes les guerres. Cette généralisation permet de viser plus largement tous les responsables, et en même temps de faire comprendre que la guerre obéit à une mécanique qu’il est urgent d’enrayer.

4. Un texte objectif ou une dénonciation de la guerre?

Le pronom de la 1ere personne du singulier n’est jamais utilisé dans le texte. On peut en déduire que l’auteur ne prend pas la parole, qu’il n’intervient pas directement. Doit-on en conclure pour autant qu’il ne prend pas parti?

• Le lexique utilisé fait apparaître de nombreux termes péjoratifs pour décrire le conflit : le recrutement se faisant auprès d’hommes qui n ‘ont rien à perdre , les soldats se trouvent assimilés à des bandits sans scrupules qui iront vendre leurs services à quiconque veut les employer . Ces connotations péjoratives se retrouvent dans les périphrases qui désignent les combattants (meurtriers mercenaires), les gouvernants (chefs des meurtriers), le combat lui-même qui consiste à faire place nette du pays conquis, à s’acharner les unes contre les autres, à faire tout le mal possible, à exterminer son prochain. Tous ces termes révèlent une condamnation presque explicite de la guerre.

• L’emploi de modalisateurs vient aussi souligner le point de vue défavorable de l’auteur. Aux lignes 3 et 23, l’adverbe même, exprimant un renchérissement, trahit un jugement critique sur l’absurdité des causes du conflit.

• A la fin du texte, des contradictions sont mises en évidence : le vocabulaire religieux « bénir, Dieu, prochain », qui connote la tolérance et la paix, contraste avec « meurtriers », « exterminer ». L’adjectif  « infernale » paraît incompatible avec l’invocation à Dieu. Ces rapprochements de termes ne sont pas neutres. Ils servent à dénoncer les justifications religieuses données à la violence par ceux qui ont des intérêts dans le conflit. Le ton faussement admiratif révèle aussi le parti que prend l’auteur. L’éloge exprimé par merveilleux contraste si nettement avec entreprise infernale qu’il amène à voir là un emploi ironique, par antiphrase.

• Les antiphrases qui consistent à porter un jugement favorable sur les auteurs de guerre et sur la guerre elle-même, permettent de déceler le véritable point de vue de Voltaire par le décalage ironique avec les termes péjoratifs. Son droit évident, le droit incontestable du prince soulignent l’absurdité de ses prétentions. Marche à la gloire dit ironiquement que ces soldats sont envoyés au massacre.

Bien que la condamnation de la guerre ne s’exprime pas dans un réquisitoire où l’auteur énonce son point de vue explicitement, le texte possède cependant une grande force polémique. À travers la tonalité et les connotations, par le biais de l’ironie, grâce aux subtilités de l’énonciation, les prises de position de l’auteur ne font aucun doute. Le texte révèle l’engagement de Voltaire dans le combat pour la tolérance.

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