Texte à résumer en 150 mots ( thème: le temps vécu) 

 L’expérience, primordiale en tout homme, de l’indépendance du temps  n’est pas une expérience comme une autre et à côté des autres, car elle traverse toutes les autres expériences, elle est le fond de toutes nos expériences particulières. Par elle, nous sommes révélés à nous-mêmes comme soumis, ainsi que toute chose, à la puissance destinale universelle qui nous entraîne et nous annule. […]

La question est maintenant de savoir si le temps est comme le camus, et, selon Aristote, il est effectivement comme le camus. « Camus » se dit d’une certaine forme de nez. La forme est la concavité, mais elle s’inscrit dans une matière (au sens d’Aristote) qui est le nez. De même, le temps a besoin, pour être pensé, dit le Stagirite, d’une matière qui est constituée par la succession des événements : « Le temps, dit-il, n’existe pas sans le changement ou mouvement: en effet, quand nous ne saisissons pas de changements en nous ou n’en apercevons pas dans les choses, il ne nous semble pas qu’il se soit passé du temps. ». « Le temps n’existe pas sans le changement » : j’entends que le temps ne peut être donné sans le changement.

 

Je me sépare ici d’Aristote : je ne dis pas que le temps ne peut être « pensé » sans le changement, mais seulement qu’il ne peut être donné sans le changement. Mais si le temps n’est pas sans le changement, il est cependant quelque chose d’autre que le changement ou mouvement, dit Aristote. D’abord, un changement est plus ou moins rapide. Il y a une vitesse du changement. Mais on ne peut attribuer au temps une vitesse, puisque la vitesse ne se définit précisément qu’en fonction du temps. Le temps « indépendant de nous va d’un pas égal », dit B. Constant. En second lieu, le changement se trouve seulement dans la chose qui change, alors que le temps est partout. Par exemple, on est au cirque. On regarde le clown, les mouvements, les fantaisies du clown. Là est le changement, mais le temps est partout.

Ainsi le temps n’est pas sans le changement, les événements, la suite des événements, mais il n’est pas mouvement ou changement. Le temps ne passe pas. C’est nous qui passons. Cependant, si rien ne passait, ne se passait, on ne pourrait parler du temps.

On parle du temps comme destructeur. Il l’est par le changement. Les choses ne se font pas toutes seules, mais elles se défont toutes seules. Il faut bâtir la maison, mais si l’on veut que la maison soit détruite, il suffit de laisser faire le temps, dit-on. Mais observe Aristote, certes, c’est dans le temps que tout est engendré et détruit, mais ce n’est pas par le temps, c’est par le changement que ce qui est cesse d’être ce que c’était : « Tout changement est par nature défaisant », dit le Stagirite.

Venons-en à la définition du temps, où nous allons devoir nous séparer d’Aristote. Aristote lie le temps au changement, à la succession des événements, où l’un vient avant, l’autre après. Mais Aristote ne définit pas seulement le temps par l’avant-après, la succession pure, mais par le nombre. Car, lorsqu’on parle du temps, vient la question « combien » : « dans combien de temps la maison sera-t-elle prête ? », c’est-à-dire combien de jours, d’heures = quel nombre d’unités de temps. De là la définition d’Aristote : « Voici, dit-il, ce qu’est le temps : le nombre du mouvement.  

Mais s’il en est ainsi, que devient ce que nous avons dit au début : que le temps est indépendant par rapport à nous ? Car, s’il y a un compte des unités de temps, qui fait le compte ? C’est l’esprit de l’homme, ou, comme dit Aristote, c’est l’âme. Alors, « la question est embarrassante, dit le Stagirite, de savoir si sans l’âme, le temps existerait ou non ». Il semble que non. « Si rien, dit-il, ne peut par nature compter que l’âme, et dans l’âme, l’intelligence, il ne peut y avoir de temps sans l’âme ». La question semble entendue. Mais Aristote ajoute : si ce n’est que le mouvement peut être sans l’âme, et donc la succession, l’avant-après, qui, sans l’âme, n’est pas nombré en acte, mais qui est nombré en puissance, c’est-à-dire nombrable, et, « en tant que nombrable, constitue le temps ». Ainsi, le temps existerait sans l’âme en tant que le mouvement est nombré en puissance.

Mais cela, c’est encore rendre le temps dépendant de l’âme – ou de l’esprit humain. Si l’on considère le temps en soi, il faut le dépouiller de l’idée de nombre et de la quantification. Reste le temps pur, comme succession pure, sans mémoire, où ce qui est passé n’est plus présent d’aucune façon, est aboli. Et ici se trouve le second point de la définition d’Aristote où il y a lieu de nous séparer de lui. Le tempsest défini en fonction du mouvement. Mais dans le mouvement, qui implique le passage d’un état ou d’un lieu à un autre, la pure succession est déjà niée, surmontée : un lien s’établit entre les moments successifs. La définition d’Aristote semble trop riche. Le temps nombre du mouvement, est un temps arithmétisé, physicalisé, qui peut servir de paramètre dans les équations du mouvement. Si le temps n’est donné qu’avec le mouvement ou changement (deux notions qu’Aristote ne distingue pas, du moins dans le Traité du temps), il peut néanmoins, semble-t-il, être pensé en soi et sans le mouvement, de même que la concavité peut être pensée sans le camus. Il suffit des deux notions avant-après, ou passé-avenir. Quelle est l’action du temps ? Ce qui est à venir ne reste pas à venir, il devient du passé. Je vais demain au bord de la mer. Après-demain, demain sera devenu hier. Le temps est une puissance : qu’après une heure il y en ait une autre, contre cela, l’on ne peut rien. C’est une puissance universelle : il n’y a rien de ce qui relève de l’expérience humaine qui ne soit sous le joug du temps. Par l’effet du temps, dis-je, ce qui est à venir devient du passé. De là la définition : le temps est la puissance universelle qui transforme ce qui est à venir en chose du passé. Ou, plus brièvement : le temps est la puissance qui, avec de l’avenir, fait du passé.

 Marcel Conche, "temps, temporalité, temporalisation", in L'Enseignement philosophique, 53e année.

 


 Corrigé proposé :

L’expérience du temps comme étant extérieur à nous constitue le cadre général de notre vie et révèle notre soumission à une destinée universelle.

Pour Aristote, c’est le changement qui rend le temps pensable sans toutefois se confondre avec lui :   le temps est omniprésent et suit le même rythme contrairement au changement, qui est local et a différentes vitesses. D’autre part, c’est le changement qui dégrade et détruit  les choses non le temps. Et puisque la succession des états peut être dénombrée, Aristote  définit le temps comme le nombre du mouvement.

Mais dès qu’on considère le temps comme nombrable, on le rend dépendant de l’homme. Or, le temps peut être pensé tout seul comme succession pure de moments qui disparaissent sans laisser de traces. Cette succession inexorable est absolument indépendante de l’homme, qui reste impuissant devant elle. Le temps apparaît alors comme une force universelle qui transforme le futur en passé.

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