Dissertation rédigée de culture générale

Epreuve EM Lyon, 2004 

Sujet de dissertation : Comment peut-on à la fois croire et savoir? par Gilbert Guislain

I - LA CONNAISSANCE, FONDEMENT DE LA CROYANCE...

La question ainsi posée par le sujet semble réaliser cette possibilité de croire et de savoir a la fois. Il convient donc de raisonner sur les rapports entre croyance et savoir. Grammaticalement, «je crois que» signifie le contraire de «  je sais que» ; il est possible, face au sujet, de traiter, sur un plan historique, de la conciliation ou de la concurrence du savoir et du croire. Et c'est dans le croire comme « tenir pour vrai » que 1'on peut chercher une réponse. Croire vise un savoir même si croire, c'est croire qu'on sait quand on ne sait pas. Il faut réfléchir au croire pour interroger le lien au savoir qu'il permet. Pour les esprits des Lumières, il est par exemple convenu de penser que la croyance religieuse serait un obstacle a la vraie connaissance et qu'il conviendrait, par la science, d'éliminer la « superstition ». Autre question, posée par exemple a propos de Pascal : si Dieu est au-delà du savoir et de la raison, la foi est-elle alors un savoir? Et n'est-ce pas du doute que provient l'appétit de savoir? Autant de modalités ou croire et savoir se rencontrent et qu'il convient d'examiner, ce que nous avons choisi de faire ici selon la question théologique classique de la foi et de la raison.

 

Le christianisme semble opposer la foi a la simple raison philosophique de l'Antiquité. Saint-Paul déclare se livrer a une prédication déraisonnable. La Croix ne se démontre pas, c'est une « absurdité » sans connotation négative. Même si la foi et la raison entrent, car il faut croire pour comprendre et comprendre pour croire, Saint-Augustin juge la croyance supérieure a la connaissance. Le dépouillement de l'orgueil humain serait la meilleure garantie du salut; mais face à cette perspective théologique, s'affirme une autre lecture du christianisme comme humanisme et sagesse; dans la Somme théologique, Saint Thomas d'Aquin estime que la croyance et la connaissance viennent toutes deux de Dieu et donc elles ne sauraient réellement s'opposer. La foi est une adhésion de l'intelligence et non pas un élan aveugle du sentiment. La volonté, enrichie de la Grâce peut nous faire adhérer aux vérités divines. Nous avons des raisons de croire. Nous pouvons démontrer l'existence de Dieu et celle des miracles du Christ, réalisation effective des prophéties, fait historique de l'Eglise comme institution pérenne. Du point de vue catholique traditionnel, la foi a ses raisons que la raison humaine ne connait plus. Il hésite entre croire sans savoir et savoir sans croire, entre un illuminisme subjectif et un rationalisme naturaliste où la connaissance serait « libérée» des «préjugés» théologiques sans vérité supérieure à la contingence ou à la seule nécessite scientifique.

A la question du sujet, la modernité va peu à peu répondre par la négative. Le fidéisme de Montaigne et la théologie de Pascal disjoignent la croyance et la connaissance. Dans l'Apologie de Raimond Sebond, Montaigne glisse à une critique de la théologie naturelle. Il pense l’homme incapable d'atteindre des vérités métaphysiques. La croyance est un au-delà de la connaissance. Agnostique ou catholique par convention, Montaigne affirme ne pas pouvoir prouver que Dieu existe, mais il ne peut pas prouver non plus qu'il n'existe pas. Il s'en tient à la croyance établie. Et pour Pascal, 1'ordre de la croyance est infiniment supérieur à celui de l'esprit, à celui des savants et des intellectuels. L'homme est corrompu par les «puissances trompeuses » ; il doit rester simple et humble. Dans cette perspective, la «naïveté» et la «foi du charbonnier » sont préférables à la connaissance dont on aperçoit peu à peu les limites et la vanité, au fur et à mesure qu'elle progresse.

II - ... PEUT RUINER CETTE MEME CROYANCE AVEC LA RELIGION DU SAVOIR

Ce sont les Lumières qui retournent la connaissance contre la croyance pour montrer la faiblesse de cette dernière. Les intellectuels du début du XIIIe siècle comme Pierre Bayle et Fontenelle diffusent l'esprit d'examen à dimension critique, discréditent la croyance au surnaturel. La croyance serait alors issue d'un déficit de connaissance, comme l'envisage Diderot dans l'Encyclopédie: Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement. Il faut fouler aux pieds toutes ces vieilles puérilités, renverser les barrières que la raison n'aura point posées. » Il faut détacher l'opinion de la « superstition », mot qui ne comporte pas de connotation péjorative originelle, désignant simplement ce qui se tient au-dessus.

La formation et le progrès de l'esprit humain, la constitution d'une opinion publique éclairée impliquent la mise en cause de la croyance. Condorcet plaide pour l'instruction, à la fois la diffusion des connaissances et celle de l'esprit critique, mais il reste modéré et tolérant, à la différence des scientistes du même siècle qui caricaturent la croyance en crédulité, qui opposent croire et savoir, alors que la croyance ne saurait être  réduite au fait de combler, de pallier le déficit de savoir. Ne pas croire n'est pas d'autre part nécessairement rationnel. Il existe des athées crédules et conformistes, tout comme des croyants prudents. On peut être ignorant sans être crédule, comme on peut être naïf sans être ignorant, comme le montre la critique de la bêtise scientiste dans Madame Bovary de Flaubert.

La critique de la croyance comme faiblesse d'esprit est faible puisqu'elle la réduit a un déficit de savoir, un « état d'enfance » de l'humanité, un «état théologique »  selon la classification d'Auguste Comte. Le savoir triomphant pourrait libérer l'humanité. Or, il existe une permanence, a tout moment de l'humanité, du désir de savoir et de celui de croire. L'Antiquité avait pose les fondements du savoir scientifique et la modernité ne cesse de croire en un imaginaire alimenté par tous les mythes véhiculés par la culture de masse. Et le savant n'a pas supplanté définitivement le sorcier; tous deux expriment deux modes différents de relation à la nature.

Rejeter tout ce qui n'est pas rationnel et discursif dans le champ jugé inférieur et méprisable de la croyance, poser la croyance comme limite de la raison, croire que la science vient « succéder » à la croyance : toutes ces démarches sont bien simplistes. Il existe une unité du croire et du savoir; le savoir peine à nier le croire, car lui-même devient une nouvelle croyance...

En effet, la faiblesse de la critique de la croyance apparait avec le caractère religieux des projets du scientisme, du positivisme et du saint-simonisme. Il est très difficile de critiquer une religion sans en créer une nouvelle. Auguste Comte voulait créer une nouvelle Eglise, l'Eglise romaine étant, a ses yeux, discréditée. Le messianisme, le culte de la science et du Progrès sont alors au contraire célébrés par le savant et l'ingénieur seuls capables de réconcilier le savoir et le croire. Il est donc difficile de développer une critique radicale de la croyance. Marx l'a bien tenté, mais a manifestement  fait, ainsi, un retour du religieux. Le prolétariat peuple élu annonçait, avec sa victoire et l'essor du travail et de la technique le bonheur, le salut de l'humanité. Si la raison l'emporte sur le divin, nous restons toujours dans une lecture religieuse de l'Histoire. Allant plus loin dans la critique, avec Nietzsche, nous pourrions montrer aussi que le savoir scientifique n'est qu'une croyance. Ce qui est monstrueux, c'est l'homme glorifiant le seul savoir absolu. Dans Le Gai Savoir, Nietzsche a dénoncé l'esclavage des croyances; notre seule erreur c'est la vérité, et ce que nous appelons « vérité», ce sont les croyances dont nous avons besoin depuis Platon, les idées à caractère universel et éternel qui nous dispensent d'affronter le réel contingent. Michel Foucault est allé dans le même sens nietzschéen. Et, avec Karl Popper comme avec Ludwig Wittgenstein, nous pouvons mettre l'accent sur les limites de la vérité logique et scientifique. Le savoir n'est bien qu'une croyance.

III - COMMENT ALORS A LA FOIS CROIRE ET SAVOIR?

A-t-on vraiment besoin de croire si l'on sait déjà? Croire serait peut-être une démarche superflue qui n'ajouterait rien au savoir. Mais, d'autre part, le savoir n'est jamais étranger à la croyance. C'est une conviction qui fonde bien tout savoir. Pour Nietzsche, la croyance en la valeur de la vérité confère à la science sa force, son éthique et sa prétention. L'hypothèse expérimentale est elle-même créditée d'un préjugé favorable. L'exigence de vérité exprime bien un besoin de croyance. La croyance est souvent une illusion nécessaire, et ce furent Michel Foucault comme Lévi-Strauss qui portèrent justement le soupçon sur les concepts et les croyances de la philosophie humaniste occidentale du sujet, tout idéaliste et universaliste.

Il est difficile de démêler le savoir et le croire. Ceci pour le meilleur, avec l'homme comme être de raison, de foi et de passion mais aussi pour le pire, lorsque l'illusion de vérité liée a la « parole des enfants », la confusion entre le croire et le savoir envoie des innocents en prison. On peut croire que l'on sait et l'on peut savoir que l'on croit; on peut croire pour savoir et on peut savoir pour mieux croire. Les deux ne se réduisent pas: savoir croire c'est rendre la croyance consciente et croire savoir c'est envisager un savoir fragile. La croyance, dans ces diverses modalités : croire en, croire à, croire que, fait apparaitre un souci de savoir comme le montre la distinction aristotélicienne du probable et du certain ou la philosophie politique pour la nécessite d'une croyance commune. La croyance est jugement, représentation, sens donné au réel, ce qui fait d'elle une forme de savoir.

 

BIBLIOGRAPHIE

1. Ouvrages généraux : ces ouvrages présentent de nombreuses études et textes sur la croyance, la foi et la raison, l'athéisme et le nihilisme ainsi que sur la passion, le desk.

La Passion, ouvrage collectif, Studyrama.

La Croyance, ouvrage collectif, Studyrama.

Cent fiches de culture générale, Breal.

Eléments de culture générale, J. BONNIOT, P. DUMONT, G. GUISLAIN, Ellipses.

2. Ouvrage de préparation aux dissertations, aux « colles » et aux entretiens

Exercices de contraction et de synthèse de textes, G. GUISLAIN, Y. TERRAUES, Ellipses.

QCM commenté de culture générale, B. BERTHOU, G. GUISLAIN, Ellipses.

L'indispensable des concepts de culture générale, B. BERMOU, V. DELEGUE, Studyrama.

Balzac, panorama d'un auteur, G. GUISLAIN, Studyrama.