Le temps vécu n'est pas le temps mécanique des physiciens
Bergson cantonne la raison et l’intelligence aux domaines de la science et de l’action : c’est à l’intuition qu’il faut réserver le monde de l’esprit. Elle est seule apte à atteindre le vécu et le concret occultés par la science et le langage. En effet, la science ne dépasse pas la sphère du relatif, le langage n’est qu’étiquettes collées sur les choses, loin du réel objectif. Que découvre l’intuition, ce mode de connaissance immédiat, qui nous fait coïncider avec l’unique et l’inexprimable de l’objet? La vie intérieure, faite de durée pure, cette étoffe du moi, ce déroulement fluide opposé au temps mécanique des physiciens, une durée tissée de liberté. La vie intérieure est aussi mémoire la mémoire-habitude, faite d’automatismes, et la mémoire pure qui est celle de notre histoire, mémoire qui se confond avec l’esprit. Mais les exigences pratiques ne permettent pas d’actualiser pleinement les possibilités de notre âme.
Le temps vécu et la vie intérieure
Kant concevait le temps sur le même modèle que l’espace. Au contraire, Bergson a une philosophie de la durée profondément originale. En tant que milieu indéfini, homogène et mesurable conçu sur le modèle de l’espace, le temps des physiciens déforme le sens et la nature réelle de notre vie psychique. A ce temps spatialisé, Bergson oppose la durée telle que la saisit l’intuition: un flux ininterrompu, une fusion intime d’éléments conjoints, un devenir qualitatif:
« La durée toute pure est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre, quand il s’abstient d’établir une séparation entre l’état présent et les états antérieurs » (Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p.74).
Or, ce devenir est toujours imprévisible : notre vie intérieure est, en profondeur, liberté. Et nous sommes libres quand notre personnalité se manifeste directement dans nos actes, sans raison apparente, parce que ce sont nos véritables sentiments qui s’expriment. La liberté ne fait qu’un avec le jaillissement du moi profond.
Temps vécu et mémoire
Mais la vie de l’esprit, qui est durée et liberté, est aussi mémoire. Si la mémoire-habitude est faite d’automatismes qui permettent une existence pratique, la mémoire vraie appartient au domaine de l’esprit: mon histoire y est contenue sous forme de souvenirs purs, indépendants du corps. La mémoire vraie, qui n’est pas organique, contient notre passé et représente notre essence spirituelle.
Ainsi, l’intuition nous ouvre à un dynamisme spirituel, bien loin de la sèche raison discursive.