I - Le mariage de Figaro dans le théâtre de Beaumarchais

 1 - La bataille du Mariage de Figaro est l’événement théâtral du siècle

Le roi a d’abord interdit la pièce. Mais après quatre ans d’âpres discussions, la pièce triomphe : plus de cent représentations ont lu de 1784 à 1787. Le Mariage de Figaro Incarne l’esprit philosophique et réalise parfaitement le programme que l’auteur s’est fixé dès Le barbier de Séville : « J’ai tenté de ramener au théâtre l’ancienne et franche gaîté, en l’alliant avec le ton léger, fin et délicat de notre plaisanterie actuelle. » Grâce à l’esprit de Beaumarchais, le théâtre devient la tribune des philosophes et rivalise avec la prédication de la chaire pour créer un nouveau mouvement d’opinion.

Beaumarchais bénéficie en fait de l’engouement du public pour le théâtre. Dès 1715, les salles parisiennes rassemblent tous les ans 35 000 spectateurs et brassent de multiples groupes sociaux. L’opinion publique exprime librement ses jugements de goût et se passionne pour les problèmes de théâtre : art de l’acteur, qui est analysé dans le Paradoxe sur le comédien, genres nouveaux comme le drame ou la comédie larmoyante, adaptations de Shakespeare à partir de 1769.

2 - Le triomphe de Beaumarchais

Beaumarchais exploite avec succès quelques innovations théâtrales. À partir de 1759, les petits maîtres qui occupent encore les côtés de la scène sont chassés : le cadre scénique offre un tableau, un espace décrit avec précision par Beaumarchais qui multiplie les didascalies. Le souci de régénérer l’émotion théâtrale apparaît également dans l’importance accordée aux gestes, aux déplacements dont le dramaturge Indique les modalités avec précision.

Fondamentalement, le triomphe de Beaumarchais tient à l’usage original qu’il fait des ressources de la comédie. Certes, il respecte les contraintes génériques traditionnelles. Mais le rire que les comédies de Beaumarchais déclenchent innove. Figaro n’est pas seulement le valet qui triomphe de tous les obstacles, il incarne le rire même. Sa folle gaîté, sa philosophie souriante donnent à voir le rire : le spectateur rit au second degré, impressionné par sa désinvolture. Outre sa dimension ludique, Figaro possède une dimension satirique : il est le héraut des Lumières, contestant les valeurs de l’Ancien Régime. Réflexif et satirique, le rire de la comédie devient celui de la philosophie.

II - Commentaire de la scène d'exposition du Mariage de Figaro (Acte I, scène 1) 

 De -- Figaro: "Dix-neuf pieds sur vingt-six" à --Suzanne : "de l'intrigue et de l'argent; te voilà dans la sphère."

Objectifs : L’étude d’une scène d’exposition, de l’enchaînement des répliques et de sa dimension ludique.

 

1 - Une scène d’exposition

 Figaro rappelle que l’action se situe le jour de son mariage. Suzanne livre des informations qui surprennent non seulement le spectateur mais aussi Figaro : le comte souhaite faire la conquête de la jeune femme. L’enjeu de la pièce est aussitôt fixé : le jeune couple va chercher les moyens de contrecarrer les projets du comte Almaviva.

 La scène se déroule dans un lieu hautement symbolique: la chambre des époux (dans de nombreuses mises en scène, le lit occupe le centre de l’espace scénique) Figaro signale la commodité du lieu : situé entre les appartements du comte et ceux de la comtesse, sa position permet aux domestiques de répondre rapidement aux appels des maîtres. Suzanne renverse l’argumentation de Figaro : à peine sera-t-il éloigné qu’elle sera à la merci du comte. L’espace est donc double, pratique et piégé : sa fonction officielle (mieux servir les maîtres) se double d’une fonction officieuse (complaire aux désirs du comte Almaviva).

2 - Une scène d’intrigue

 Le comte offre l’image libérale et généreuse d’un grand seigneur du siècle des Lumières : Il a aboli un ancien droit du seigneur (droit abusif, archaïque et déjà tombé en désuétude). Mais son comportement privé contredit cette image. Son goût du plaisir prend appui sur son pouvoir Bazile, qui est à la solde du comte, fait connaître à Suzanne les désirs du maître.

Le schéma traditionnel de la comédie repose sur le conflit entre un jeune couple et un vieux père ou un tuteur, qui fait obstacle à leur mariage. Beaumarchais reprend à Molière ce canevas mais l’infléchit : l’obstacle est un grand seigneur dont la personnalité révèle les traits les plus négatifs de l’aristocratie : pouvoir arbitraire, égoïsme, corruption, mépris du peuple. Le comte devient un personnage risible non seulement parce qu’il hérite du ridicule attaché à la figure du barbon mais aussi parce qu’il incarne l’ordre aristocratique que critique Beaumarchais.

La rapidité des enchaînements provient de l’emploi de divers procédés : deux actions différentes se déroulent simultanément ; deux paroles s’opposent avec  véhémence ; plusieurs répliques pratiquent la surenchère, jouent sur une image  ou sur un mot, ou simplement sur un suspense.

3 - Une scène de comédie

Suzanne mène le jeu : elle sollicite l’admiration de Figaro, le questionne, s’oppose à lui sans exposer ses raisons, lui rappelle les impératifs du code amoureux, accumule les sous-entendus, diffère la révélation de son secret pour le dévoiler ensuite brutalement, et finalement se moque de sa naïveté  après avoir malicieusement parodié ses propos.

 Chaque sujet abordé implique un ton différent, tantôt léger, tantôt plus grave. Lorsque les propos portent sur l’image que Figaro et Suzanne se font d’eux-mêmes, le ton est ludique.