RÉSUMÉ DU ROMAN LE VENTRE DE PARIS

Florent, un jeune républicain idéaliste arrêté lors du coup d’État de 1851, s’est évadé du bagne après sept ans de détention. Arrivé à Paris, il reconnaît à peine le quartier médiéval des Halles, bouleversé par l’haussmannisation. Son frère, Quenu, héritier du charcutier Gradelle, a épousé Lisa Macquart qui a découvert le trésor de l’oncle au fond d’un saloir.

La grasse Lisa éprouve d’emblée une répulsion physique pour le maigre Florent. Elle veut pourtant lui «rendre des comptes ». Mais, excédée par son oisiveté, elle le persuade d’accepter une place d’inspecteur à la marée, aux Halles. Le jeune homme devient ainsi l’enjeu des rivalités de la charcutière et de la belle Normande, une poissonnière dont il ne comprend pas les avances.

Dépensant toute sa virilité en utopies, Florent rêve d’un complot contre l’Empire et fréquente le cabaret du mouchard Lebigre où il retrouve un groupe de républicains fantoches.

Dénoncé par les marchandes, qui ne supportent pas ce maigre, et par Lisa, qui répugne à partager l’héritage, Florent est arrêté par la police. C’est le peintre Claude, maigre neveu de la charcutière, qui tire la leçon du roman «Quels gredins que les honnêtes gens »

I - LE VENTRE DE PARIS : UNE « NATURE MORTE COLOSSALE »

«Ah ! tout voir et tout peindre »

Émile Zola rêvait d’enfermer la création dans « l’arche » immense de ses romans. Rassemblant les espaces et les temps, les produits des quatre saisons et de tous les terroirs, les Halles de Baltard, comme les pavillons des Expositions universelles, réalisent sa volonté encyclopédique de « tout voir et de tout peindre ».

La description lexicographique, qui égrène les noms des espèces de poissons, « les cabillauds, les aigrefins, les carrelets, les plies, les limandes », est l’outil privilégié de cet inventaire naturaliste du monde qui, inversant la polarité traditionnelle du roman, subordonne le récit à la description.

Mais il ne s’agit pas seulement de nommer dans une sorte de délire verbal, il s’agit de « peindre » : les mannes grouillantes de poissons, les « étalages de gibier » reprennent la technique énumérative de la nature morte du XVIIe siècle flamand. Le personnage de Claude, auquel Zola fait assumer toutes ses tendresses, justifie cette vision esthétique : Marjolin, le petit volailler, est « doré comme un Rubens », Claire, la jolie poissonnière, ressemble à « une vierge de Murillo » et Cadine, la petite marchande de quatre saisons, avec les «groseilles » de ses lèvres et les « guignes noires » de ses pendants d’oreilles semble tout droit sortie de L’Eté d’ Arcimboldo.

Un regard impressionniste

Mi-Cézanne, mi-Manet, Claude introduit un regard impressionniste dans cet univers. L’étalage «barbare et superbe » qu’il réalise un soir de Noël dans la charcuterie introduit dans l’univers académique de Lisa les violents contrastes de couleurs pures qu’affectionnait Cézanne, et la nudité « indécente » de la dinde, métaphore des nus impudiques de Manet, ironise aux dépens des «petits amours joufflus » de la devanture.

Zola n’oublie pas en effet les combats qu’il a menés pour défendre l’art moderne. En décrivant « l’énorme charpente de fonte se noy[ant], bleuiss[ant]sur les flammes d’incendie du soleil levant », il annonce la toile de Monet, Impression soleil levant, qui sera présentée à la première exposition «impressionniste » en 1874. Il défend l’architecture de fer et de verre contre ceux qui pensent qu’on ne fait pas «de l’art avec la science, [que] l’industrie tue la poésie ».

II - LE VENTRE DE PARIS : UN MANIFESTE ANTI-ROMANTIQUE

Le naturalisme contre le romantisme dans Le ventre de Paris

Les partis pris de Zola résonnent dans le titre, écho dérisoire de Notre-Dame de Paris, qui conteste l’idéalisme de Hugo et ses rêveries médiévales. Substituant la « chapelle du ventre » à la cathédrale de l’esprit, le romancier reprend insolemment une phrase de Hugo, « Ceci tuera cela », pour affirmer des valeurs anti- romantiques.

La Chantemesse et ses deux enfants d’occasion, Marjolin « trouvé […] dans un tas de choux », Cadine, abandonnée « sous une porte », sont des fictions surannées qui disparaîtront sous le grand vent de vérité du naturalisme: «Tout le carnaval de l’ancien marché des Innocents se trouvait enterré, à cette heure, s’écrie Claude ; on en était aux Halles centrales, à ce colosse de fonte, à cette ville nouvelle, si originale. Les imbéciles avaient beau dire, toute l’époque était là. »

Florent et « l’humanitairerie » républicaine

Le forçat évadé, tel Jean Valjean dans Les Misérables, est un personnage clé de l’imaginaire romantique. En faisant entrer Florent dans Paris, « couché sur un lit de légumes », comme un morceau de viande sur sa garniture, Zola détrône le héros romantique. C’est que les utopies sont pour lui le creuset de la Terreur. Florent est fils de 1848, il appartient aux «orateurs illuminés qui prêchèrent la révolution comme une religion nouvelle toute de douceur et de rédemption ». Mais, alors qu’il débite au petit Muche «le tralala des grandes phrases creuses », il est incapable de se mesurer à l’épreuve des faits, de supporter la vue du sang d’un pigeon, il n’est qu’un naïf Don Quichotte qui se bat contre des « moulins à vent ».



« La république sera naturaliste ou elle ne sera pas »

Les « ouvriers de l’idéal » qui «appliquent des formules fausses à des hommes qui n’existent point, à de pures abstractions », veulent tôt ou tard contraindre les hommes à ressembler à leurs rêves. Tel Charvet, qui appelle de ses vœux « dix ans de dictature révolutionnaire pour habituer un pays comme la France à la liberté », ils feraient de la République une «horrible prison s’ouvrant sur une place d’exécution ». Seuls les « ouvriers de la vérité », capables de prendre les hommes tels qu’ils sont sans vouloir les façonner selon un idéal menteur, sont susceptibles de créer un espace de liberté pour tous : «La république sera naturaliste ou elle ne sera pas », disait Zola...

III - LA BATAILLE DES GRAS ET DES MAIGRES DANS LE VENTRE DE PARIS

Lisa, au seuil de la charcuterie

Or les hommes ne sont rien moins que des agneaux ! Sous le vernis de la civilisation, la bête est là, prompte à se jeter sur l’intrus qui pénètre dans son territoire. Lorsque Florent découvre la boutique de son frère, Lisa se dore au soleil matinal «sur le seuil de la boutique, […] ten[ant] toute la largeur de la porte » comme une barricade, comme l’emblème de l’interdit territorial. La « barre à dents de loup» d’où pendent les viandes en témoigne, des appétits féroces se cachent derrière son sourire commercial et son honnêteté bourgeoise.

« L’histoire du monsieur mangé par des bêtes »

Lisa est une allégorie de la France boutiquière qui a soutenu le régime impérial malgré la férocité de la répression. En contrepoint de « l’histoire du monsieur mangé par des bêtes », la fabrication du boudin constitue une satire implacable de la morale des honnêtes gens : tandis que Florent raconte les tortures du bagne, Lisa, nullement ébranlée dans sa bonne conscience, est prise de dégoût « Le riz plein de vers et la viande qui sentait mauvais lui semblaient [...] tout à fait déshonorants pour celui qui les avait mangés.»

Entre Bruegel et Darwin

Une vision darwinienne de la lutte des classes inspire Le Ventre de Paris. Commentant la querelle qui oppose les poissonnières à leur nouvel inspecteur, Claude y retrouve le sujet d’une gravure bruegelienne, « les Gras, à table, les joues débordantes, chassant un Maigre qui a eu l’audace de s’introduire humblement, et qui ressemble à une quille au milieu d’un peuple de boules ».

Cette mise en abyme du roman en souligne le sens : la publication de L’Origine des espèces, en 1859, avait en effet accrédité une terrible idée de Malthus : «Un homme, [que] sa famille ne peut plus [...] nourrir [...] est réellement de trop sur terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre elle-même cet ordre à exécution. » L’exil de Florent est la conclusion «naturelle » de cette lutte pour l’existence à l’ère du capitalisme et de la machine à vapeur.

Les Halles : une machine à digérer

Tout un imaginaire biotechnologique sous-tend en effet le roman de Zola. Les Halles lui apparaissent tout à la fois comme « un gigantesque ventre de métal, boulonné », comme un cœur « battant furieusement, jetant le sang de la vie dans toutes les veines » et comme une chaudière «destinée à la digestion d’un peuple ». C’est que, depuis Lavoisier, on pense la digestion et la respiration comme une combustion : le corps brûle un combustible, oxygène ou nourriture, le transforme en sang rouge et rejette gaz carbonique ou résidus intestinaux.

Transformées en charnier putride, les Halles, tel un intestin monstrueux, achèvent le processus digestif. La « symphonie des fromages » (ch. V), qui orchestre les cancans pestilentiels des commères du quartier, est la métaphore des correspondances anti-romantiques du Ventre de Paris : dans «la cacophonie de souffles infects » où domine la puanteur « princière » des roqueforts, c’est toutes les haleines gâtées du régime, toutes les joies du ventre boutiquier qui se révèlent dans leur terrible vérité en expulsant le républicain Florent comme un déchet.

 

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