• Texte à résumer N° 1 sur le thème de l’aventure (thème des classes préparatoires scientifiques)

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Qu'est-ce que l’aventure ? Spontanément, une première expression me vient à l’esprit : l'impatience du lendemain. Je traîne cette vertu (ou ce défaut) depuis l'enfance. Mes journées commencent toujours par le bonheur particulier du petit matin. La page blanche, en somme, qu'il va falloir remplir ... Je n'aime rien tant que les commencements et les partances : article à écrire, manuscrit à corriger, livre à lire, du bois à fendre. Le pur plaisir de faire, en somme, suffit à (presque) tout. L'expression « aventure » prend d'abord une signification très simple et toute prosaïque : l'aventure, c'est en avant, en avant ... Quand j'étais reporter, je filais toujours vers Orly avec une gourmandise assez joyeuse et tout un sac de documentations à dévorer. Je me sentais une faim d’ogre. C'était pure impatience.

Je pense à un superbe aphorisme du Talmud : comme le saumon, l'homme n'est jamais autant lui-même que lorsqu’il remonte le courant.  Bonne  formule:  le  vrai  sens  de la  vie  quotidienne  est  sans  doute  à  rebours  du courant, du flux, du consensus paresseux, du train-train. Avanti ! Cette gourmandise pour « l'ailleurs » vient de loin, c'est-à-dire de l'enfance. Elle fut d'abord « physique». A dix ans, je n'aimais rien tant que de faire glisser mon doigt sur les cartes de géographie. Mon index glissait longuement tout en haut à gauche, sur le pointillé des Aléoutiennes qui prolongent l'Alaska par une sorte de fine barbe chinoise ; ou sur le triangle improbable de la Tasmanie australienne. Je connaissais dans ses moindres détails la carte des îles Galapagos . Vers le milieu des années 1950, il y avait moins d'une dizaine d'habitants sur l'île de Floreana et à peine plus sur celle d'lsabela . Cette vastitude offerte à notre bon plaisir enflammait mon imagination. Qu'est-ce qui se passe réellement là-bas ? A quoi ressemble la Terre de Feu ou la baie d'Hudson? Questions intempestives de l'adolescence ... Je lisais et relisais le journal de Raymond Maufrais, cet adolescent rimbaldien parti en 1947 en Guyane française pour remonter le fleuve Oyapock et disparu là-bas en 1950. La simple sonorité de ces noms propres me guérissait des chiches aigreurs européennes de l'après-guerre.       Adieu vieille Europe, que le diable t'emporte !



Devenu officiellement journaliste, correspondant de guerre, préposé aux catastrophes pour Le Monde, je ne me suis pas départi de cette curiosité qui me tirait ver s le lointain. Était-ce scandaleux ? Obscène ? Je n'en sais rien. Mais c'est avec la même impétuosité que je courais vers des guerres exotiques ou des famines africaines. Le simple bonheur de s'arracher au « normal » ; de fuir loin du « prévisible » ; de rompre avec la fade quotidienneté ; de s'affronter même durement au réel... Le pari, c'était d'aller dans la poussière des villes et dans le subalterne vérifier que le monde était encore plus grand qu'on ne le disait. Filant vers l'est ou l'ouest, on s'attend toujours à quelques rencontres dérangeantes. Il y aurait d'abord- c'est probable- des hommes et des femmes coltinés à la pauvreté et à la violence, des humains au regard desquels tout passager en transit incarne la prospérité plus barricadée que jamais de l’Occident.  Il  y  aurait  la  guerre  et  les  égorgements,  les  tueries  et  le  sang.  N'importe ! Je ne me départissais jamais des impatiences de l'envol. Je prenais tous les départs pour des commencements. Les réacteurs m'arrachaient au pire. Quel pire ?  L'habitude sans doute .Les décollages m'enflammaient comme au premier jour et je ne rougissais pas d'une allégresse si peu raisonnable dans mon métier. J'en avais besoin, même si je savais bien qu'au bout du compte j'allais atterrir dans le désastre. Avanti !

Que trouvais-je au bout de ces destinations ? Pourquoi n'étais-je jamais rassasié ? Avec le temps et avec l'âge seulement s'impose une évidence : le vrai butin d'un voyage n'est pas celui qu'on croit.  On partait vers je ne sais quelle découverte, on s'employait loyalement à comprendre ce qui se passait là-bas, on se souvient surtout d'avoir senti. André  Suarès  le  disait  déjà,  dans  son  Voyage  du condottiere:   l'essentiel,  c'est  l'émotion .  On se croyait « reporter», on était d'abord un homme en chemin vers lui-même. Je faisais mienne cette apostrophe de Proust dans La Prisonnière : « Le seul véritable voyage, le seul bain de jouvence, ce ne serait pas d'aller vers de nouveaux paysages, mais d'avoir d’autres yeux. »

Seul le recul du temps, en effet, seuls les filtres successifs du souvenir permettent de décanter cette émotion indéfinissable qui nous a fugitivement saisis, un jour, sur les quais de Paramaribo (Surinam), près d'une grève islandaise, au pied de Sainte-Sophie à Istanbul, devant les murailles d'Antioche ou les ruines de Beyrouth : pourquoi diable suis-je parti si loin ? Qu’allais-je chercher au juste, dans ces confins où je suis« étranger » ?

Cette immatérielle pépite trouvée et retrouvée sans cesse sur la route, je l'appelle l'esprit du lieu. C'est une certaine harmonie entr'aperçue sous un ciel différent. Là-bas, les hommes ont construit avec le monde un rapport spécifique. Ils entretiennent avec la vie et la mort un commerce particulier. Et c'est pour cette raison que se trouve «enchanté» cet univers à nul autre pareil où, l'espace d'un moment, ils m'auront fait place. Nul exotisme dans tout cela. « L'esprit du lieu» est étranger à ces clichés ordinaires qui conspirent à faire du voyage une marchandise. A l'inverse, la mise en scène de la « différence » exhibée pour plaire aux touristes procède d'un vilain mensonge. C'est vers l'homme partout semblable à l'homme que nous conduit la véritable aventure. Elle nous met dans la tête l'idée d'un sentiment communicable de fraternité humaine. Plus les situations sont urgentes, plus s'impose l'idée d'une incroyable proximité des hommes dans leur combat pour vivre : une proximité qui est bien au-delà des différences «exotiques».

Au total, la véritable alchimie du voyage tient à ce paradoxe : si toute pérégrination aventureuse nous conduit d'abord vers un« tout autre» dans son irréductible étrangeté, c'est à un« alter ego» dans sa proximité, sa proche fraternité, qu'elle nous ramène. Car en retour, cet « autre» vers qui je vais me demande réciproquement d'être moi-même. Pas déguisé ... C'est la condition même de toute rencontre, c'est le propre de toute altérité : en miroir, elle contribue à ma propre existence, la « situe», la refonde même. Mais cela n'est pas sans conditions ni conséquences.

Car si on fait du « principe de rencontre » le vrai fondement de l'aventure, alors l'idée de risque ou de danger change totalement de sens. Elle est moins hollywoodienne. Sous cet angle, le voyage aventureux n'est plus un sport extrême avec risque de fractures ou de malaria.  Les choses deviennent plus intimes. Oui, bien sûr, j'ai eu souvent la trouille de prendre une balle perdue ou un éclat d'obus dans la colonne vertébrale. Mais j'ai surtout eu peur de ne pas comprendre la situation et la culture de «l'autre» ; j'ai surtout eu peur d'être bousculé.  Je reprends la formule de l'évêque d'Oran, Pierre Claverie, assassiné par des islamistes en 1996 après une vie consacrée à un riche dialogue avec l'Islam : « Le vrai dialogue n'est possible que si j'accepte l'idée que l'autre est peut-être porteur d'une vérité qui me manque.» Cette vérité, à coup sûr, viendra forcément chavirer mes certitudes. Là  réside  bien  le  vrai  et  magnifique  risque : consentir  par  avance  à  rejouer  ma  vision  du  monde ; accepter de remettre sur la table mes« opinions » sur la vie. L'aventure, c'est la mise en danger de nos tréfonds.

Jean-Claude Guillebeau, L’aventure, pourquoi faire ? 2013. 


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