Rapport de l'épreuve ESSEC EDHEC 2009

dissertation de culture générale rapport épreuve essec edhec 2009

Sujet de dissertation: « Rien n’est beau que le vrai  » (Boileau, Epître IX)

Le jury avait choisi de revenir, pour cette session, au « sujet-citation », forme relativement négligée, ces dernières années, dans les différents concours des écoles de commerce ; il avait souhaité aussi que cette citation ne soit pas celle d’un philosophe. Le sujet retenu (« Rien n’est beau que le vrai ») était ouvert à une multiplicité de lectures, de développements et de références, mais il fallait s’interroger précisément sur sa signification et éviter de le déformer pour lui faire dire que "le beau, c'est comme le vrai" ou de le déplacer pour chercher s'il existe une science du beau ou d'analyser la vérité du jugement esthétique. Une lecture précise de ce sujet – comme de tout sujet – impliquait un travail de variation conceptuelle : sans que le devoir ne tourne en une série de distinctions scolastiques, les candidats auraient gagné à creuser la différence qui singularisait ce sujet parmi d’autres qui, tout en étant évidemment proches, ne signifiaient sans doute pas exactement la même chose. Les correcteurs sont unanimes à regretter l’absence, sauf dans certaines copies excellentes, d’une véritable précision dans la lecture de la citation, s’attachant à tous les termes de celle-ci.

Et pour insister sur cet aspect essentiel : il était en effet nécessaire, et tel était, comme toujours, le principal effort attendu, de prendre le temps d’analyser les termes de l’expression de Boileau. On s’est trop souvent contenté de la traduire vaguement pour ensuite laisser défiler quelques développements appris durant l’année, que l’on rattachait de loin en loin, avec plus ou moins d’habileté, aux thèmes de la beauté et de la vérité. Peu de candidats ont été capables de s’étonner –« Ce qui m'a paru étonnant, c'est que les candidats s'étonnent peu... ils ne trouvent pas du tout l'association beau-vrai surprenante et s'empressent de les concilier » dit un correcteur – de la forme sentencieuse du sujet, de la considérer sous diverses faces, de l’expliquer pour mettre en évidence ses significations, ses implications et ses enjeux. Tout ce qu’il peut y avoir de spécifiquement frappant dans un sujet, et cela vaut évidemment pour bien d’autres que celui-ci, mérite d’être clairement exposé, même si cela prend tout d’abord une forme aporétique, sans crainte de passer ainsi à côté d’une « solution » ou d’une bonne lecture exclusive qui n’existe que dans l’imagination des candidats, comme s’ils étaient en face d’une devinette. Il est curieux que la simple distinction entre condition nécessaire et condition suffisante ait été rarement employée dans le travail d’explicitation, qui se devait d’être patient et scrupuleux pour que l’on ne se contente pas d’une transposition opportuniste.

On a apprécié les copies qui ont fait varier différents sens que le vrai pouvait ici recouvrir (de la contrainte géométrique au naturel dans l’expression des sentiments), pour chercher lequel avait chance d’être plus pertinent, et celles qui ne sont pas allées aveuglément, sans la moindre interrogation sur ce passage, de la beauté à l’art. On a apprécié aussi les copies qui ont souligné la particularité du sujet de cette année et qui ont vu qu'il consistait non en une question ou une notion, mais en la citation d'un auteur, et qu'il s'agissait du propos d'un écrivain, un classique certes, mais aussi un critique et un poète, qui s'interrogeait de l'intérieur sur les critères du beau, sur les conditions de validité de l'expérience esthétique.. Il n'était pas indifférent dès lors de prendre l'énoncé du sujet comme un tout, de s'interroger sur son énonciation, le ton radical d'un propos qui prend parti et exclut du même mouvement. Qu'apporte au sentiment du beau la caution de la vérité ? Que signifie ce "vrai", notion initialement aussi floue que péremptoire, qui seul permettrait à l'artiste comme à l'amateur d'art d'apporter son assentiment à la beauté ? La question ainsi relevait autant d'une réflexion sur la création artistique et l'esthétique de la réception que sur le beau en général.

Trop peu de copies encore ont remarqué que la formule était extraite d’une épître, terme désignantau XVIIème siècle une lettre en vers généralement adressée à un dédicataire (ici le Marquis de Seignelay, fils de Colbert). La prise en compte de ce contexte pouvait orienter le candidat vers l’interprétation pertinente d’une formule relevant aussi et avant tout de la critique du langage de la flatterie. La beauté d’une épître, d’un sonnet, d’une ode... tient d’abord à sa sincérité. L’habileté rhétorique du flatteur ne permettra jamais de produire un bel éloge s’il est hypocrite et que le sujet manque de noblesse. La beauté du discours tiendrait à la fois à la sincérité de l’auteur (ne pas mentir) et à l’adéquation au référent (mimesis). Le beau procède ainsi du vrai à double titre. Au regard de cette double exigence fondamentale, les maladresses rhétoriques apparaissent excusables: « Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,/ Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes ?/ Ce n’est pas que leurs sons, agréables, nombreux,/ Soient toujours à l’oreille également heureux; / Qu’en plus d’un lieu le sens n’y gêne la mesure,/ Et qu’un mot quelquefois n’y brave la césure:/ Mais c’est qu’en eux le vrai, du mensonge vainqueur,/Partout se montre aux yeux, et va saisir le coeur. »

Il était par là même absurde, si l’on prenait en compte l’identité de l’auteur de la citation-sujet, et le libellé-même du sujet y invitait, de considérer que la formule de Boileau devait conduire à exclure de proche en proche toute forme de fiction, tout recours à l’imagination, donc l’art en général, et ce au nom du vrai. La suite du texte de Boileau est d’ailleurs sans équivoque sur ce point : « Rien n’est beau que le vrai: le vrai seul est aimable;/II doit régner partout, et même dans la fable:/De toute fiction l’adroite fausseté/Ne tend qu’à faire aux yeux briller la vérité. »

En affrontant donc le sujet et ses exigences propres, et à la condition de ne pas négliger les termes du sujet dès lors qu'ils ne se rapportaient pas directement au thème du programme, on pouvait en voir l’intérêt : ainsi l'expression "le vrai", qui pouvait prendre plusieurs sens (vrai par opposition à faux, illusoire; vrai par opposition à imaginaire, irréel, vérité comme adéquation, comme Idée, comme dévoilement, comme sincérité...), a souvent fait l'objet d'un commentaire approximatif, alors qu'elle pouvait permettre de diversifier l'argumentation, aiguiller la réflexion vers la question de l'impression, du sentiment intérieur (Rousseau, Proust, Leiris) aussi bien que vers celle de l'imitation et de la ressemblance (la mimèsis, la question du réalisme, celle de l'art figuratif) ; les meilleures copies sont celles qui ayant su travailler le concept de vérité, ont pu en retour faire évoluer le concept de beauté (comme harmonie, mesure, grâce, éclat...) et en saisir certains aspects problématiques (une définition objective du beau estelle seulement possible ?). Il est par ailleurs bien dommage que vérité et réalité n’aient pas assez souvent été distinguées et que le beau ait été trop souvent limité de facto au domaine de l'art.

Pour aller à l’essentiel : la sentence de Boileau proposée à la réflexion des candidats semblait précisément appartenir à cette « culture générale » qui doit être la matière même de l’épreuve. Son choix n’était certes pas destiné à la faire découvrir aux candidats le jour du concours ; mais à juger quelle compréhension personnelle pouvait leur inspirer, aujourd’hui, cette formule célèbre qui appartenait jadis et naguère aux connaissances minimales de l’ «honnête homme», et que le travail d’une année sur le thème de la beauté leur avait sans doute donné l’occasion de rencontrer. Extraite de l’oeuvre d’un poète, elle se prêtait aussi bien avec aisance, par son allure de loi et l’abstraction des concepts qu’elle engage, à diverses analyses philosophiques. Et l’on pouvait supposer qu’elle ne piégerait guère les candidats en les orientant vers un aspect trop restreint ou trop pointu du thème, qu’ils auraient pu, par malchance, n’aborder aucunement dans leur préparation. La tournure de la citation pouvait certes d’emblée conduire à des contresens difficilement rémissibles certains candidats en délicatesse avec les subtilités de la langue : le cas s’est heureusement très peu produit et l’épreuve s’est, par conséquent, révélée positivement sélective.

S’il est vrai qu’une épreuve de «culture générale» n’est pas un concours d’érudition, qu’elle doit permettre d’apprécier les facultés d’analyse, de finesse et d’expression de ceux qui s’y présentent, et qu’en bref l’on doit, selon la formule de rigueur, y préférer les têtes bien faites aux têtes bien pleines, il tombe également sous le sens qu’on ne saurait y être insensible à la capacité qu’ont démontrée certains, devant ce sujet, de dire quelques mots de Boileau, de restituer le contexte classique où il écrivait, et même d’évoquer, plus ou moins brièvement, la querelle des Anciens et des Modernes. La citation n’a pas été puisée dans un obscur traité ignoré de tous ; elle appartient bel et bien à une culture générale que l’on approfondit certes dans l’année de préparation au concours, en relation au thème proposé, mais qui, comme on l’a rappelé plus haut, a dû se construire dès la première année de CPGE, dès les années de lycée, ainsi que dans l’effortet le loisir mêlés des lectures et des curiosités  personnelles. De ce point de vue, on s’est étonné de la relative rareté des allusions, même brèves, au classicisme. Elles n’ont pu que servir les meilleurs candidats, qui n’avaient pourtant pas besoin de puiser là toute la matière de leur développement, à la différence de quelques autres, il est vrai peu nombreux, qui ont donné le sentiment de se reposer trop vite sur l’heureuse coïncidence de leurs souvenirs et du sujet proposé.

Les candidats ont rarement manqué de matière pour contester, avec cependant une pertinence inégale, ce qu’ils ont quelquefois su nommer le dogmatisme de la formule. Plus difficile, et plus discriminant, a été le dépassement de cette critique qui a pris généralement des formes convenues. C’est souvent là que se sont révélés les devoirs les plus accomplis. Certains d’entre eux ont tenté de faire échapper la sentence à son contexte historique, par exemple en s’inspirant de Heidegger (« L’Origine de l’oeuvre d’art » s’y prêtait particulièrement) ou de la phénoménologie, ou encore en la rapportant à une expérience intime de la beauté, et de l’art en particulier, exprimée avec pertinence et maturité. Ils ont alors évité les « topos » tout faits, dont la récurrence se repérait assez vite, et rebutait d’autant plus la lecture lorsqu’ils étaient émaillés de confusions préjudiciables, dont il serait vain de faire ici la liste, mais dont on peut facilement imaginer l’éventail. Si l’on a mauvaise grâce à décourager les candidats qui font l’effort d’apprendre par cœur des citations ou des poèmes, parfois in extenso, ils doivent pourtant savoir que leur lecteur ne s’en émeut plus guère dès que ces ornements valent pour une dispense d’analyse. Il en va de même, évidemment, de ces longs « tunnels » où l’on tient coûte à coûte à faire savoir que l’on a appris quelque chose en perdant tout à fait de vue le sujet.

Une copie qui se tient de manière autonome par la fermeté de son style et de sa réflexion sera toujours préférable sans commune mesure à celle qui croit mériter l’obole de son correcteur en le promenant de citation en citation et de nom d’auteur en nom d’auteur. Le recours massif à un Platon réduit à quelques lieux communs a particulièrement lassé la patience des correcteurs, alors que certains textes de ce philosophe, plus ignorés des candidats que la dialectique ascendante du Banquet, auraient pu enrichir considérablement la réflexion, tel le passage du Sophiste où la distinction entre mimêsis eikastikè et mimêsis phantastikè – entre l’imitation fidèle à la vérité de son modèle et l’imitation qui prétend s’y substituer – semble illustrer à merveille la joute de Phidias et d’Alcamène.

En bref, une bonne copie de culture générale réalise toujours la conjonction de plusieurs paramètres essentiels. C’est la difficulté, l’intérêt, et peut-être la beauté de l’épreuve. Elle appelle la maîtrise d’une écriture mise au service d’une réflexion instruite et dynamisée par une culture dont on sent qu’elle n’est pas empruntée le temps de passer un concours (on ne saurait, à cet égard, trop conseiller aux candidats d’éviter les formules du type « Balzac-célèbre-écrivain-du-XIXe-siècle-dans-son-ouvrage-Le-Chef-d’oeuvre-inconnu » que l’on peut même, étrangement, encore trouver dans des copies par ailleurs fort satisfaisantes), et qu’elle sait aller également vers l’ancien et vers le moderne pour donner toute sa profondeur de champ à l’examen du sujet, en permettant aussi bien de le replacer dans son contexte originel que de considérer sa validité hors de celui-ci. Ce fut, par exemple, une agréable surprise, qui a rehaussé toute une copie, de voir évoquée la polémique née dans l’équipe des Cahiers du cinéma, sous l’impulsion de Jacques Rivette, autour du « travelling de Kapo », polémique dont les termes moraux, condamnant l’outrance d’un procédé, n’étaient peut-être pas si éloignés, en effet, des préoccupations de Boileau.

Les réussites existent dans cette épreuve. Elles ne constituent pas un idéal inatteignable. Souhaitons qu’elles soient toujours plus nombreuses.

Rapport sur l'épreuve: la dissertation de culture générale 2009

Auteurs: ESSEC : Robert LEVY EDHEC : Maël RENOUARD