• Présentation du roman d'Yves Thériault

 «Roman esquimau» d’Yves Thériault (Canada/Québec, 1915-1983), publié simultanément à Québec à l’Institut littéraire du Québec et à Paris chez Grasset en 1958.

Sixième roman d’Yves Thériault, Agaguk est son texte le plus célèbre; il figure également parmi les romans les plus lus au Québec dans les années soixante. Traduit en une vingtaine de langues, il assura à son auteur une renommée internationale.

  • Résumé d'Agaguk:

Agaguk, fils du chef Ramook, quitte la tribu et part vivre dans la toundra avec Iriook sa jeune femme. Il retourne au village pour traiter avec un trafiquant dont il a appris l’arrivée. Brown est un homme malhonnête qui fait le trafic de l’eau-de-vie et dépouille Agaguk, lequel se venge en le brûlant après l’avoir arrosé de kérosène. Chez lui, il se tait sur l’événement. Peu après Iriook est enceinte. L’hiver venu, Agaguk se rend au village de la baie d’Hudson pour troquer ses peaux. McTavish, l’employé, exploite les indigènes. Agaguk noie sa frustration dans un mauvais alcool obtenu en fraude. Iriook accouche d’un garçon nommé Tayaout en qui Agaguk met tous ses espoirs. Au village, Henderson arrive pour enquêter sur la mort de Brown et se heurte au silence complice de la tribu mais il compte sur une délation pour connaître la vérité. L’été, Agaguk et sa famille partent chasser le phoque; les prises sont excellentes. Quand ils sont de retour à la hutte, un mystérieux loup blanc rôde et semble vouloir s’en prendre à Tayaout. Au village, le délateur virtuel, Ayallik, est assassiné et Henderson, acculé à la fuite, meurt. Agaguk, après un sanglant combat avec le loup blanc, tue la bête mais il est gravement blessé. C’est Iriook qui sauve son mari à force de soins patients et qui remplit le rôle de l’homme dans la hutte.

L’été suivant, six policiers arrivent au village. Ramook, impressionné par les Blancs et par l’autorité du chef enquêteur, décide de livrer son fils à qui il fait envoyer en cadeau le fusil qui a tué Henderson. Les policiers viennent interroger Agaguk qui, défiguré par ses blessures, ne peut faire l’objet d’une identification certaine. Iriook, qui apprend seulement le meurtre de Brown, sauve une fois encore Agaguk en prétendant qu’il a disparu. Ramook, chez qui Agaguk avait rapporté le fusil, est finalement arrêté. Le village se trouve sans chef, charge qu’Agaguk refuse par amour pour Iriook et pour la solitude. Sa femme est de nouveau enceinte et Agaguk accepte de laisser vivre le bébé bien qu’il s’agisse d’une fille; quelques instants plus tard, un second bébé sort du ventre d’Iriook. C’est un garçon.

  • Analyse du roman:

De sang partiellement montagnais, Yves Thériault s’est fait le romancier des minorités ethniques canadiennes: esquimaude avec Agaguk, indienne avec Ashini (1960), juive avec Aaron (1954) ou scandinave avec Kesten (1968). Souvent perçue comme exotique, cette littérature possède un intérêt documentaire certain, dû à l’habileté de Thériault pour faire vivre des mentalités, les rendre familières tout en préservant leur part de mystère. La part informative de ses textes, primordiale, est d’ailleurs clairement annoncée et valorisée, entre autres par la présence de têtes de chapitre composées en langue esquimaude accompagnées de leur traduction française: «Iniksak» («la Terre promise»), «Angon» («le Mâle»), etc.

Mais Yves Thériault est avant tout conteur, et sa parole drue, d’une grande sobriété, s’accorde naturellement au genre; cependant, loin de reprendre les formules codifiées du conte oral, il préfère les personnages aux situations. Le texte fait alterner l’enquête policière, le roman de mœurs et le récit d’aventures dont l’action tient en une tumultueuse suite de conflits, résolus le plus souvent dans la mort. Le style du récit, pourtant, est bien celui de l’oralité. Les phrases interrompues, sans verbe, ou terminées par des points de suspension semblent être une simple transcription de la parole du conteur, une forme d’écriture calquée sur la spontanéité de l’oral et leur accumulation crée l’effet d’une hâte pour arriver au terme du récit.

À travers le personnage d’Agaguk, c’est l’évolution d’un homme qui se détache de sa communauté primitive pour accéder à une morale fondée sur les principes de paix et de respect de l’autre qui est dépeinte; c’est aussi l’affirmation des valeurs individuelles au détriment des règles collectives. Cette transformation du personnage principal s’effectue sous la conduite patiente et amoureuse d’Iriook. Mais alors que les valeurs traditionnelles assuraient à Agaguk la supériorité du mâle, son évolution le place sous la dépendance de sa femme, qui joue par ailleurs le rôle d’agent de l’assimilation de l’Esquimau à la morale du Blanc.

Yves Thériault s’intéresse à la part sauvage en l’homme, à son aspect primitif. Mais le primitivisme de ses personnages tient souvent au milieu où ils évoluent, à la sauvagerie de la collectivité qui est la leur. L’homme primitif parle peu, il donne la préférence aux gestes («Où trouver des mots quand des gestes suffisent»), il ne raisonne pas, ne porte pas de jugement: l’attitude prime le discours. Agaguk est présenté à travers ses gestes, ses actes, jamais de l’intérieur. Si le personnage manifeste un caractère héroïque et épique, il apparaît également comme un être de parade, miné par l’inconsistance, dépourvu d’intériorité. Ce qui prime chez lui, c’est la jouissance physique: témoin, la scène de lutte qui l’oppose au loup blanc. Cette bête étrange qui déjoue toutes les règles connues du comportement de sa race est présentée comme l’égal d’Agaguk dans la maîtrise de la ruse, de la patience, de la puissance et l’usage de rituels pour affronter les forces adverses. Le loup blanc est l’équivalent de l’homme.

Agaguk est un roman heureux qui se situe dans un ailleurs et un passé où l’héroïsme est encore une valeur fondamentale qui côtoie une morale importée.

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Adaptations cinématographiques: