1- IDENTITÉ DU PERSONNAGE DE FILM

A la différence du personnage de roman, qui a besoin, pour exister, d'être décrit, présenté, et dont les actes ont parfois besoin d'être commentés, le personnage de film s'impose d'emblée.

Texte : la formation du personnage

Pour l’acteur, « jouer vivant » consiste, non à représenter le résultat copié des sentiments, mais à faire naître ces sentiments, à les faire se déve­lopper, se transformer, à les faire vivre devant le spectateur.

C’est pourquoi l’image d’une scène, d’un épisode, d’une œuvre, etc., n’existe pas comme un donné tout fabriqué, mais doit éclore, s’épanouir.

C’est pourquoi aussi un personnage ne donne l’impression de la vie que si son caractère se forme dans le cours de l’action, s’il n’est point un pantin mécanique étiqueté a priori.

Dans le drame, il importe particulièrement que le cours des évé­nements ne se borne pas à former des représentations du caractère, mais qu’il forme, qu’il « image » le caractère même.

Bref, la méthode de création des images dans l’œuvre d’art doit reproduire le processus par lequel, dans la vie, la conscience et la sensi­bilité s’enrichissent d’images nouvelles.

M. Eisenstein, Réflexions d’un cinéaste, éd. de Moscou, p. 82-83.


Débat : La présentation du personnage

Comment peut-on présenter un personnage dans un film ? Quelles fonctions peuvent avoir son costume, sa façon de marcher (par exemple dans Advise and Consent, 1959, « Tempête à Washington», d'Otto Preminger, 1961), de se mouvoir dans un certain univers ? Quels rôles jouent les différentes scènes d' « habillage » dans Les Damnés de Visconti, 1970 ? Les différent cérémonies (anniversaire, diners, etc.), les miroirs ?

Analyse : le "héros" du film

Le personnage principal ou « héros ». Il est celui qui va tenter de s'approprier un monde qui peut parfois lui être hostile, le soumettre à sa volonté et en triompher  

De quel « monde » s'agit-il ? Essayer de le définir le plus précisément possible en prenant des exemples variés.

Par quels moyens va-t-il y parvenir ? Comment situer, par rapport à lui, les autres personnages du film ? Quelle fonction auront-ils ? :

  • Dans un film d’aventure ?
  • Dans un western ?
  • Dans un film policier ?
  • Dans un film d’ « espionnage » ? (Cf. north by Northwest, « La mort aux trousses », d’Alfred Hitchcock, 1959).

Etude :  Le « héros » et son incarnation par une vedette : leur impact sur le public. Quels rapports celui-ci établit-il (plus ou moins consciemment) entre l’acteur et ses rôles ? Entre l’acteur et lui-même ?

Exposé collectif :  Étude thématique, idéologique et sociologique de certaines vedettes à travers les rôles interprétés par :

  • -P. Belmondo;
  • Jean Gabin, Alain Delon ;
  • Louis de Funès;
  • John Wayne, Charles Bronson, Clint Eastwood;
  • Gian-Maria Volonté, Jean-Louis Trintignant.

Vous pourrez vous reporter avec fruit à l'étude d'Edgar Morin, Les stars (coll. Points, éd. du Seuil, n" 34). 

II- L’AVENTURE DU PERSONNAGE DE CINÉMA :

Etude du déplacement du personnage entre les limites du début et de la fin du film

  1. Entre quelles limites le fait-il ?
  2. Comment s'opère ce déplacement ?
  3. Quelles valeurs peut-il avoir ? ( De l'itinéraire d'ordre matériel /géographique à l’itinéraire psychologique, voire parfois métaphysique). Exemples : Easy Rider de D. Hopper, 1969, ou Scarecrow (« L’épouvantail») de J. Schatzberg, 1973.

Dans l'univers du film, le héros est l'élément moteur de l'action.

Vous vous interrogerez collectivement sur le projet du héros et sur ses avatars, selon que ce projet :

  • vient d'un désir personnel (l'amour en tant qu'élé­ment dynamique du récit, par exemple);
  • vient d'une prise de conscience : soit le monde à changer, soit le monde à conserver et à rétablir dans son ordre « éternel » (thème du policier/ justicier, représentant de la loi).

Découvrez dans certains films une évolution de ce type de projet : thème de la corruption du représen­tant de la loi (de La Soif du Mal, 1957, de Welles, à French Connection, 1971, de W. Friedkin, en passant par Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, 1970, de Elio Pietri);

  • lui est imposé par un autre personnage : quel genre de films ce projet détermine-t-il ? Étude du thème de la mission, du contrat (thème du film policier vu du côté du tueur, par exemple).

Prenez le cas complexe de L'Inconnu du Nord-Express (1951) : le projet de Bruno (Robert Walker) est refusé par Guy (Farley Granger), mais en fait souhaité (femme odieuse empêchant les projets futurs : remariage, etc.) et non accepté.

Que représente ici Bruno pour Guy? Retrouvez ce thème du double dans d'autres films d'Hitchcock (Frenzy, 1972, entre autres).

3- ÉVOLUTION DU PERSONNAGE

Que le projet Initial vienne du héros lui-même ou qu'il lui soit imposé, il doit, d'une manière ou d'une autre, lui permettre d'« évoluer » — du moins dans un type de cinématographie traditionnelle.

Comment évolue les personnages: 

Sous forme de schémas, vous déterminerez, pour un personnage donné :

  1. L'état initial et l'état final;
  2. Vous indiquerez entre ces deux points les éléments (rencontres, situations, séries d'événements, etc.) qui auront favorisé cette évolution.

Exemples de films à étudier dans cette perspective :

  • L’aventure du Poséidon (1973) :

Haine ou indifférence, rencontre, amour,

Individualisme et égoïsme, épreuves (catastrophe), conscience de groupe, sacrifice

  • L'Appât d'A. Mann (1953)

Rencontre, prise de conscience, amour, renoncement

Vice/vertu

Quelles réflexions vous suggèrent ces schémas ? A quels genres de films s'appliquent-ils particulière­ment ?

Essayez de les appliquer (en les transformant et en les approfondissant) :

  • au Guépard de Visconti (1963) ;
  • au Cuirassé Potemkine (1925) d'Eisenstein.

Essai. Cinéma et épopée

IV- LE SENS DU PERSONNAGE FILMIQUE :

Personnage inventé, créé en vue d'un certain effet, le « héros » est chargé de véhiculer un certain nombre de valeurs. Ces valeurs ne sont pas — et ne peuvent être — fixes, puisqu'elles sont :

  • ou bien le reflet de celles d'un public ;
  • ou bien celles que l'on voudrait imposer au public et que l'on voudrait lui faire adopter — pour des raisons qu'il faut absolument essayer de découvrir.

Analyse de la fonction du personnage de film

Vous montrerez quelle fonction peut avoir un personnage dans un film de votre choix (c'est-à-dire ce qu’il est supposé « représenter »).

Vous préciserez si cette « fonction » se fait sur un plan :

  • psychologique (par exemple les attitudes possibles face à la vie, l'amour ou la mort ; face à un conflit d'ordre psychologique, éthique, social ou politique);
  • éthique ; social ; politique, etc.

Vous préciserez aussi la fréquence de ces diverses fonctions. 

Exemples de textes à étudier : 

 TEXTE 1 :Analyse du petit monde des personnages de John Ford

John Ford ne se lasse pas d’évoquer de petites communautés de gens simples, frustes et rudes, paysans ou fils de paysans — pionniers, villageois ou soldats — qui s’installent dans un pays neuf, parfois hostile, l’Ouest américain de préférence. Là, groupés autour d’un fort ou ras­semblés en villages, ces hommes défrichent, sèment et récoltent, élèvent du bétail, bâtissent à la force du poignet un monde à leur mesure, bien à eux, sur lequel régneront les lois et où il fera bon vivre. Avec les variantes qu’imposent les divers scénarios, nous retrouvons ce schéma dans de très nombreux films et notamment dans Young Mr. LincolnDrums along the Mohawk, My darling ClémentineShe wore a yellow ribbon, Wagonmaster, tous construits sur le thème de l’itinéraire, géographique autant que moral.

Les personnages de Ford — cinéaste formé au temps du muet et à l’école du western — se définissent avant tout par leurs actes, donc moins par ce qu’ils disent que par ce qu’ils font. Liés à un groupe social et toujours considérés dans leurs rapports avec celui-ci, ces personnages, analysés en profondeur chaque fois que c’est possible, ont tous une person­nalité bien marquée. Ford tient à ce que ce soient non pas des « types » mais des « individus », dont les problèmes personnels recoupent les problèmes collectifs de la communauté.

Celle-ci, pour être souvent idéalisée, n’en est pas moins humaine et imparfaite, parfois figée dans une morale rigide, puritaine et bien-pensante. En raison de quelque singularité qui les place en marge, il arrive que certains êtres soient rejetés de cette communauté, ainsi Doc Boone, le médecin ivrogne, et Dallas, la « fille perdue » (Stagecoach), le sergent Rutledge, homme de couleur, qui ne peut être que coupable aux yeux de ceux qui l’accablent (Sergéant Rutledge), Elena de La Madriaga qui, pour son malheur, a été capturée par les Comanches et que les dames du fort Grant regardent avec le plus grand mépris (Two rode together).

Ph. Haudiquet, John Ford, éd. Seghers, 1966, pp. 18-19.

 

 TEXTE 2 : Le couple et le temps chez Bergman

Dans Jeux d’été, comme dans Monika, l’amour s’identifie à une saison, à un retour vers une nature qui s’opposera superbement au monde urbain. Mais les passions décrites restent éphémères, malgré leur intensité, et limitées dans le temps. Le jeune étudiant, amoureux de la danseuse, mourra accidentellement, en tombant sur des rochers

— comme si la nature elle-même avait tendu un piège pour prendre au filet du désespoir la jeune danseuse dont la vie paraît littéralement s’arrêter après la mort de son amant — alors que dans Monika, après une saison — l’été, toujours — de passion, où l’érotisme avait la part singulièrement belle, c’est le retour dans la ville qui va annihiler le bonheur des deux amants, laissant le jeune homme coincé dans une situa¬tion (quand il se retrouve seul avec l’enfant) qui est le prolongement amer de cet été avec Monika où tout n’était que rire, eau fraîche et soleil. Ce qui importe dans ces deux films, un peu vite considérés comme mineurs (alors que je tiens Jeux d’été pour l’une des œuvres les plus sereinement accomplies de Bergman) c’est outre ce qu’ils ont de personnel par rapport à l’auteur lui-même, l’introduction d’une notion de crise psychologique — au-delà d’un récit purement sentimental — qui ressemble fort à un traumatisme. On peut les considérer comme de véritables films d’apprentissage, à cette différence près que la blessure reçue immobilise — et plus précisément dans Jeux d’été — le personnage dans son évolution. Le temps s’inverse. L’avenir a été détruit, il ne reste plus que le passé, et ses images obsessionnelles, dans une durée qui s’est refermée sur elle-même et ne débouche plus sur rien. L’amour, le bonheur ou ce qu’on pourrait appeler plus simplement la vie, ne se conjuguent — quand nous les rencontrons chez Bergman — qu’au passé, dès lors garant d’une poignante nostalgie.

Ce thème majeur du temps révolu, Bergman le reprendra quelques années plus tard, en le développant singulièrement, pour nous livrer un de ses chefs-d’œuvre, Les Fraises sauvages. Méditation sur la vieillesse, ce film est en même temps une tentative désespérée, sous l’apparente sérénité du propos, de récupération d’un temps perdu qui ressemblait fort à une ultime conjuration pour ce vieillard de reculer les limites menaçantes de la mort. Mais cette récupération du temps perdu ne pouvait qu’entraîner un bilan définitif d’une vie tout entière consacrée à des occupations sérieuses et dont la vanité éclate brusquement. Pour cet homme qui se trouve, au hasard de la route, confronté avec des jeunes gens heureux — en apparence — et assoiffés de vivre, le passé va se trouver réduit à quelques images essentielles, obsédantes : le souvenir d’une femme. A son tour, Les Fraises sauvages rejoint le film d’apprentissage, la valeur de la vie ne se mesurant qu’après coup, et ce, au seuil de la mort.

INGMAR BERGMAN, dans Dossiers du cinéma, éd. Casterman. 

 

 

TEXTE 3:  Les personnages de La Nouvelle Vague

L’unité thématique du « cinéma des auteurs » et la force des scénarios originaux frappent immédiatement l’esprit. Dans aucun autre groupe on ne retrouve une semblable concentration sur les mêmes idées, les mêmes hantises, une telle continuité dans l’exploration de l’univers mental de l’homme, de ses angoisses, de sa responsabilité. Si la source des thèmes Nouvelle Vague était autobiographique et néo-romantique, les cinéastes de la Rive gauche et leurs scénaristes cherchent l’inspiration dans les répercussions du cataclysme de la guerre, de la menace atomique et de l’absurdité du monde. La Nouvelle Vague illustrait le comportement d’êtres privilégiés dans des situations et des lieux privilégiés ; le « cinéma des auteurs » se penche sur des êtres insérés dans la banalité quotidienne et pris au piège d’eux-mêmes, des autres et du monde.

L’ombre de Brecht et du Nouveau Roman plane sur leurs thèmes. L’anonymat de certains personnages, le « flou » des situations, le refus du metteur en scène de tirer les ficelles, la distanciation des spectateurs par rapport aux êtres dépeints sur l’écran, la description simultanée du temps de l’action et du temps de la pensée, tout cela en est issu. Le « courant Rive Gauche » s’affirme comme un cinéma de la non-identifi­cation, un cinéma de la non-intervention de l’auteur.

Claire Clouzot, Le cinéma français depuis la Nouvelle Vague, éd. F. Nathan, 1973, p. 56.