Le Cid est une tragi-comédie de Pierre Corneille écrite en 1636 et représentée pour la première fois en 1637.  Dans cette tragi-comédie en cinq actes et en vers, la plus célèbre peut-être de Corneille, l'auteur adapte une œuvre étrangère, Les Enfances du Cid de Guilhem de Castro, aux exigences du théâtre français, satisfaisant ainsi le goût de ses contemporains pour l’Espagne, dont il actualise cependant les valeurs et les habitudes.

Dans Le Cid, Corneille marque sa préférence pour une intrigue à péripéties et rebondissements héritée de l'âge baroque et ne se soumet que difficilement à la règle des trois unités. Mais son mérite est d'avoir élaboré une formule tragique qui présuppose le resserrement dramatique de l'action: la crise tragique, dans Le Cid, est une crise morale qui se développe à travers l'analyse des caractères. 

Le Cid : résumé par actes

Acte 1 : Don Gomès accepte que sa fille Chimène épouse Don Rodrigue, le fils de Don Diègue. L’Infante elle aussi aime Rodrigue, pourtant indigne d’elle ; elle préfère donc servir l’amour de Chimène. Mais Don Gomès, jaloux du titre de gouverneur du Prince octroyé à Don Diègue par le roi, soufflette le vieil homme, qui charge Rodrigue de sa vengeance. 

Acte II: Don Gomès, désobéissant aux ordres pacifiques du roi, affronte Rodrigue. L’Infante apaise aussitôt Chimène en lui promettant d’empêcher ce duel. Cependant que le roi s’inquiète de l’arrivée des Maures, on lui annonce la mort de Don Gomès tué par Rodrigue. Chimène réclame immédiatement justice en demandant la mort de son amant.

Acte III: Don Sanche, amoureux de Chimène, lui offre son bras pour la venger, mais elle refuse et préfère attendre la justice du roi. Rodrigue pénètre alors de nuit chez elle, et l’enjoint de le tuer immédiatement, en réparation de son crime. Les sentiments de Chimène l’empêchent toutefois d’obéir et elle le poursuivra donc tout en espérant ne jamais obtenir réparation. Don Diègue incite alors Rodrigue à sauver son roi, en repoussant les Maures.

Acte IV: Rodrigue revient triomphant du combat, mais Chimène n’en cherche pas moins à obtenir vengeance, malgré les soins de l’Infante pour apaiser cette colère désormais illégitime. En effet, le roi reconnaît la valeur de celui que ses ennemis ont surnommé le Cid, et éprouve Chimène en lui annonçant la mort de Rodrigue. Malgré une douleur qui trahit son amour, Chimène persiste et réclame un duel judiciaire contre Rodrigue. Le roi accepte, mais en faisant d’elle l’enjeu du combat. Seul Don Sanche ose affronter Rodrigue.

Acte V: Rodrigue annonce alors à Chimène qu’il va se laisser tuer. Mais celle-ci le pousse à gagner un combat dont elle est le prix. A la suite d’un quiproquo sur l’issue du combat, Chimène révèle son amour pour Rodrigue. Le roi la force alors à accepter ce mariage, une fois les délais du deuil écoulés. Rodrigue affermira sa gloire en servant son roi.

Analyse de la pièce 

► La querelle du Cid

La pièce suscita dès sa représentation une très vive polémique. En effet, outre le plagiat de Guilhem de Castro, les rivaux de Corneille lui reprochèrent l'immoralité de Chimène, coupable d’aimer encore l’assassin de son père, le manque de respect des unités, et même des incorrections de langage. Corneille se justifia alors par ses écrits critiques : il défendit le personnage de Chimène en illustrant avec de nombreux exemples, pris dans la littérature et dans l’histoire espagnole, la grandeur de son comportement.

Néanmoins, la bienséance étant choquée, il fut contraint de donner une autre fin à sa pièce, dans laquelle la promesse de mariage finale était supprimée. Les sentiments de l'Académie forcèrent ainsi Corneille à de nombreuses corrections, tant stylistiques que narratives ; mais il défendra jusqu’au bout son allégeance aux règles du poème dramatique édictées par Aristote. En effet, s’il reconnaît dans son Examen de 1660 avoir malmené l’unité de lieu (les Maures ne peuvent remonter par la mer jusqu’à Séville), l’unité de temps (toutes ces péripéties ne peuvent se réaliser en une seule journée) et l’unité d’action, il se défend d’avoir manqué aux deux règles fondamentales selon lui : celle du juste milieu du héros, « ni tout méchant, ni tout vertueux », et celle qui veut que le danger ne vienne pas d’un étranger, mais d’un être proche, qui aime autant qu’il persécute ; il est vrai que Le Cid répond à ces deux règles, puisque c’est une Chimène amoureuse qui poursuit implacablement un Rodrigue coupable, lui aussi, d’aimer. Corneille note alors qu’il est le seul à avoir respecté ces deux conditions, depuis la tragédie d'Œdipe.

► Les personnages de la pièce : invention d'un nouvel héroïsme

Premières incarnations des héros cornéliens, Rodrigue comme Chimène soumettent leur amour à leur honneur, obéissent à leur devoir, mais gardent une humanité qui les rend attachants. C'est ainsi qu'il faut comprendre les fameuses stances de délibération (acte I, scène 6); les jeux sont faits, la résolution prise, mais Rodrigue, avant d'atteindre la gloire, idéal du héros cornélien, laisse parler son cœur. L'héroïsme chevaleresque du Cid est un héroïsme très humain, plein d'une jeunesse fougueuse, et il s'exprime justement dans ces maximes sonores et percutantes qui semblent avoir été des proverbes de toute éternité.

Le personnage de Rodrigue propose en effet une nouvelle conception de l’héroïsme puisqu’il réalise une équation entre le devoir et l’amour. Alors que les héros précédents ne se définissaient que dans leur rapport à la gloire et au devoir, en reléguant l’amour au rang de divertissement, Rodrigue proclame :

 L’infamie est pareille et suit également                                                                                                                                 Le guerrier sans courage et le perfide amant (v. 1063-1064).

S’il répond aux exigences du devoir en tuant Don Gomès, c’est qu’il est un fils avant d’être un individu, mais aussi parce qu'il sait que Chimène ne pourrait l’estimer s’il laissait impuni un crime qui déshonore son propre père. Cependant, en recherchant incessamment la mort, il édicté une nouvelle loi de conduite puisqu’il refuse de survivre au déshonneur de Chimène : l’honneur de la femme qu’il aime a ainsi même valeur que le sien.

L’héroïsme de Chimène est, quant à lui, plus ambigu. Certains ont lu dans son comportement une capacité à vouloir vivre les contraires, à sublimer l’amour dans les larmes. Mais en refusant de tuer Rodrigue alors même qu’elle réclame sa mort, elle se place dans la situation périlleuse du refus de la grandeur aristocratique. Cette maîtrise de soi qui préside à la valeur des êtres se trouve donc ici contournée par Chimène, qui se réfugie dans des dilemmes :

      Mon unique souhait est de ne rien pouvoir (v. 984).

Face à la volonté réitérée de mourir de Rodrigue, ces refus s’apparentent à des marques redoutables de faiblesse : c’est bien ainsi que le comprenaient les détracteurs de la pièce.

► Aristocratie et monarchie dans Le Cid

Le Cid pose également le problème d’une nouvelle conception politique. En effet, dans une époque troublée par les revendications de la noblesse face à un pouvoir monarchique de plus en plus puissant, Corneille met en scène deux conceptions du politique, incarnées par Don Gomès et Rodrigue. Le plus vieux défie maintes fois le roi, en remettant en cause sa décision de nommer Don Diègue gouverneur du Prince, en refusant ensuite de s’excuser du soufflet, alors même que le roi l’enjoignait à le faire, en acceptant enfin un duel interdit. Par-là, il fragilise un pouvoir encore naissant, puisque Don Fernand est présenté comme étant le premier roi de Castille.

Don Gomès invoque, pour se justifier, des règles antérieures au pouvoir monarchique, qui sont celles de l’aristocratie féodale, son orgueil le poussant même à faire reposer le royaume de Don Fernand sur sa seule personne : il incarne ainsi une position emblématique de l’opposition grandissante de la noblesse française au pouvoir royal, qui aboutira dix ans plus tard à la Fronde. Rodrigue, quant à lui, agit à l’opposé : s’il tue le Comte en duel, désobéissant par là au roi, et affaiblissant de surcroît son royaume par la perte d’un guerrier exceptionnel, il rachète néanmoins immédiatement cet écart en repoussant les Maures.

Par cet exploit, il remplace la vaillance disparue de Don Gomès, tout en soumettant cette nouvelle puissance au roi. En venant lui rendre allégeance, il raffermit donc le pouvoir de Don Fernand et stabilise son Etat naissant : il représente ainsi la possibilité d'une affirmation de soi conjointe à un respect du pouvoir royal. C’est alors tout naturellement à Don Fernand qu’il revient, par un vers cadencé qui donne à celle-ci un dernier mot hautement symbolique, de clore la pièce: 

Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi (v. 1840).