Le dernier jour d'un condamné de Victor Hugo: Etude du chapitre VI en entier. 

1- Le thème du chapitre VI à partir des champs lexicaux:

La première question du texte met l’accent sur l’acte d’écrire. On retrouve par la suite de nombreux termes se rattachant à cette idée. On peut repérer :

« moyen d’écrire, quoi écrire » (l. 2), « quelque chose à dire » (l. 9), « être écrit » (l. 10), « user cette plume, tarir cet encrier » (l. 21), « ce que j'écrirai ainsi »(l. 24), « Ce journal » l. 24), « cette histoire » (l. 27), « ce procès verbal » (l. 30), « cette lecture » (l. 33), « Ces feuilles, Publiées » (l. 45), « ces mémoires » (l. 53).

L’ensemble de ces termes associés à l’idée d’écrire, à la nature de ce qui est écrit, à la lecture, à la finalité de l’acte d écrire, permet de déterminer le thème du passage, surtout si l’on tient compte de la question initiale. Pour celui qui parle et qui s’exprime à la première personne, le débat tourne autour de la possibilité et de la nécessité d’écrire, dans des conditions qui sont également précisées par un second champ lexical très développé. Il s’agit ainsi de savoir i si le locuteur doit écrire, et dans le cas où la réponse i serait positive, à quoi servirait le fait d’écrire.

La réponse est liée aux conditions particulières dans lesquelles il se trouve, conditions elles-mêmes précisées par le champ lexical de l’emprisonnement : « muraille, sans liberté, seul à seul avec une idée , idée fixe, me possède, souffrances, supplice » .

Ces quelques termes révèlent les conditions de vie de celui qui écrit : un double emprisonnement physique et intellectuel, par la présence d’une idée fixe, obsessionnelle, qui est celle de la condamnation à mort, une souffrance constante, physique, à cause I des conditions de rétention, et une souffrance morale.

2- Les deux réponses apportées par "le condamné" à la question : Pourquoi n’écrirais-je pas ?

  • La première réponse est donnée immédiatement, et elle est négative. Elle prend la forme d’une objection portant sur le contenu d’un éventuel texte écrit, Mais quoi écrire ? Son auteur est celui qui parle, le condamné. Cette réponse est ensuite développée par un paragraphe argumenté.
  • La seconde réponse commence par une question remettant en cause le refus qui constitue la première réponse : « Pourquoi non ? ». Ce deuxième point de vue appartient aussi à celui qui parle, qui prend ainsi la parole successivement en faisant alterner deux voix qui sont les siennes, en une sorte de dialogue intérieur. Cette deuxième réponse est beaucoup plus développée et argumentée que la première.

La différence d’importance des deux réponses saute aux yeux : la première occupe une dizaine de lignes, la seconde occupe tout le reste du chapitre VI.

3- Les arguments qui soutiennent les deux réponses

On observe que les deux réponses sont accompagnées d’arguments les justifiant, arguments plus nombreux et plus développés dans le second cas que dans le premier.

  • Arguments soutenant la première réponse :

La question / objection « Mais quoi écrire ? » oriente tout de suite l’argumentation vers le contenu, vers ce qui pourrait être écrit et qui est présenté comme inexistant. Évoquant la vie qu’il mène, en insistant sur la privation (absence d’horizon, absence de liberté), sur les différentes formes d'emprisonnement, dans un lieu fermé, dans une idée fixe, dans l’obsession de la mort, le narrateur arrive à la conclusion qu’il n’y a là rien à dire, aucun thème d’inspiration. L’exposé du premier paragraphe contient ainsi deux arguments dont le second complète le premier de manière corollaire:

-  Un homme dont la vie n’a plus de sens (plus rien à faire dans ce monde, l. 9) ne peut trouver aucune justification à l’acte d’écrire.

-  Le cerveau d’un tel homme ne contient rien qui mérite d’être retenu (l. 10).

Les deux arguments portent, l'un sur les raisons d’écrire, l’autre sur le contenu.

  • Arguments soutenant la seconde réponse :

La seconde argumentation, dont on perçoit immédiatement qu’elle est opposée à la première par la formulation Pourquoi non ? (I. 12), commence par toute une série de questions répondant aux objections précédentes et se développe longuement.

- Premier argument : il consiste à montrer que la situation présente, avec ses souffrances, constitue une inspiration riche et qu’écrire permettrait au narrateur de s’analyser, de se mettre à distance par rapport à lui-même, d’engager un dialogue avec lui-même. C’est le sens de l'expression « me dire à moi-même (l. 17). Plusieurs termes insistent sur l'inspiration offerte par une telle situation, « la matière est riche », de quoi « user cette plume et tarir cet encrier ». L’insistance sur le contenu, à travers l’évocation des souffrances (« énumération de tempête, lutte, tragédie, puis angoisses, terreurs, tortures »).

Comme on le voit, le premier argument de la seconde réponse est personnel et il reprend, presque point par point, le premier argument de la première réponse pour s’y opposer. La double objection qui constituait le premier paragraphe se trouve ainsi démentie.

- Second argument : articulé par « Et puis », le second grand argument est annoncé très nettement au début du troisième paragraphe et porte sur l’utilité d’écrire. Sous la forme d’une litote, elle-même atténuée par le modalisateur peut-être, le narrateur suggère que sa démarche peut avoir une utilité au-delà de lui-même. Le mot enseignement (l.29), précédé de l’adjectif profond, souligne la nature de l’utilité envisagée, reprise par les termes leçon (l. 32), détromperont, contribué. Le lecteur comprend que l’utilité envisagée est à destination des juges, de ceux qui condamnent avec,- selon le narrateur, une certaine légèreté, sans savoir quelle somme de souffrance et d’angoisse ils provoquent. De manière assez détaillée, en insistant sur tout ce qui constitue les souffrances du condamné, le narrateur montre quel rôle il entend faire jouer à ce qu’il pourra écrire : un rôle de témoignage sur les souffrances morales et physiques endurées par un condamné à mort ; un rôle d’information à destination de ceux qui condamnent, pour qu’ils prennent davantage conscience de ce qu'ils infligent, qu’ils voient plus l’être humain et moins le châtiment ; un facteur actif dans une éventuelle disparition de la peine de mort : c’est ce que le lecteur peut imaginer en partant de la phrase inachevée (l. 55), après le verbe contribué...

Le second argument, celui de l’utilité pour les autres, se développe ainsi en trois ramifications autour d’une même idée. Quant à l’argumentation d’ensemble, celle qui correspond à l’idée qu’il faut écrire, elle est construite autour de deux grandes idées d’utilité, utilité pour le condamné lui-même, utilité pour les autres, qu’ils soient condamnés (ils peuvent être les bénéficiaires à long terme de son témoignage), ou qu’ils soient juges. Mieux informés des conséquences des condamnations qu’ils prononcent, ces derniers pourront réfléchir davantage avant de décider d’une peine capitale.

4- La réponse la plus importante

C’est la seconde réponse qui a le plus d’importance. On le voit à deux indices. La réponse négative vient en premier et ce qui la soutient est bref (un seul paragraphe). La réponse affirmative, même si elle présente beaucoup d’atténuation sous la forme des modalisateurs et des formulations interrogatives (l. 24, 28, 29, 32, 35, 45,53), est beaucoup plus longuement développée : elle occupe trois paragraphes, précisant ce que le narrateur attend de son journal. L’utilisation du futur laisse penser que celui qui parle est décidé à écrire. Par ailleurs, l’existence du texte, un journal écrit par le condamné, prouve que c’est la seconde argumentation qui a été mise en application. Sinon, le texte aurait dû s’arrêter après la première objection : n’avoir rien à dire implique de ne rien dire.

5- L’importance des quatre dernières lignes

Au moment où le narrateur écrit, après avoir exposé les raisons - importantes - d écrire, et pris sa décision, il en vient à évoquer ce qui pourrait contrecarrer les différents rôles qu’il confère à son journal. Pour que celui-ci joue son rôle extérieur (car le rôle personnel d’auto-analyse est joué à mesure qu’il est écrit, et ce pour le narrateur lui-même) d’information et de témoignage à destination des juges contemporains, des juges à venir et des générations futures, il faut qu’il soit transmis, et pas seulement écrit. Avec réalisme, celui qui écrit évoque donc une dispersion de ses feuillets, et un destin tout à fait négatif pour son œuvre : l’image finale correspond à une logique d’indifférence et de destruction : une fois l’homme exécuté, pourquoi garder des papiers noircis ? Il y a quelque chose d’assez émouvant, pour le lecteur, dans cette évocation du destin brisé d’un document qui ressemble à une bouteille à la mer, à un dernier message. Cette dernière évocation du chapitre donne un poids particulier à toute l’argumentation, en faisant réfléchir le lecteur sur le parallélisme de destinée d’une vie et d’un écrit retraçant cette vie. Une vie qui disparaît, ce qui est inévitable à très court terme dans la condition du narrateur, peut être prolongée par l’existence d’un texte rapportant cette vie : on a là les bases d’une intéressante réflexion sur la réalité et la fiction, et sur les destinataires du message du condamné, au-delà du temps. L’existence du texte montre que les craintes exprimées dans le dernier souhait du chapitre ne se sont pas réalisées... par la volonté, non du narrateur, mais de l’auteur, Hugo. On peut alors mener plus loin la réflexion en s’interrogeant sur les objectifs d’un tel récit par rapport à ce qu’il contient : un engagement social, humaniste et politique contre la peine de mort.

Conclusion-Bilan

Le chapitre présente un certain nombre de points intéressants, qui explique qu’il ait été choisi dans la perspective de l’étude du texte argumentatif : deux « voix » appartenant au même énonciateur, proposant deux orientations tout à fait opposées et choisissant l’une, avec des justifications qui se révèlent être celles de l’auteur dans une perspective engagée. Ce passage pourrait être aussi l’occasion d’une étude lexicale, d’une analyse des modalisateurs et d’une réflexion sur les difficultés d’identification de l’énonciateur dans le cas de l’écriture à la première personne.

Voir aussi: 

le dernier jour d''un condamné de Victor Hugo: résumé et analyse

Antigone : de Sophocle à Anouilh

Antigone de jean Anouilh: analyse du monologue du Choeur

Bac de français