Texte objet du commentaire: L'illusion comique de Corneille, Acte V, scène 6

Pridamant est venu chercher auprès du magicien Alcandre des nouvelles de son fils Clindor, qui a fui la très grande sévérité de son père. le magicien lui montre alors la vie de son fils sous forme de "spectres animés", dans une grotte. Ici, Clindor est devenu comédien, et il vient de jouer une tragédie, dans laquelle il a le rôle d'un personnage tué d'un coup d'épée. Son père croit alors que son fils est réellement mort et il se lamente : mais Alcandre lui dévoile la scène suivante :

De : "On tire le rideau et on voit tous les comédiens qui partagent leur argent" à " dans leur métier, ravissent dans paris un peuple tout entier"

I. Bilan de l’analyse préalable du texte à commenter

Il s’agit d’un texte qui met en scène l’illusion théâtrale et ses effets sur le spectateur, et qui réfléchit sur le théâtre sur une scène de théâtre. C’est aussi une scène qui fait l’apologie du théâtre. Ainsi, c’est une scène où l’on dévoile l’illusion théâtrale et où l’on se réjouit des effets illusionnistes du théâtre où rien n’est vrai.

Par ailleurs, c’est aussi un cadre où Pridamant reçoit une leçon ; un père apprend ici la vérité, et arrive à accepter ce qu’est devenu son fils.

II. Problématique

L’extrait présente une dimension méta-théâtrale, c’est-à-dire qu’en exposant les mécanismes de l’illusion, Alcandre dévoile le fonctionnement de la machine théâtrale, et les ressorts de la mystification. Comment, dans cet univers où tout n’est qu’illusion, le théâtre est-il conçu comme un instrument et un lieu paradoxal de vérité?

III. Plan du commentaire

A. Le théâtre et son fonctionnement

1. Les instances du théâtre : acteur, metteur en scène et spectateur

2. L’aspect matériel d’une pratique lucrative, opposée aux illusions mises en scène pour le spectateur. Acteur: un métier valorisant socialement

> Transition: la scène a donc une dimension méta-théâtrale bien marquée: c‘est un discours sur la nature du théâtre, la fonction des comédiens, leur statut social. Mais ce théâtre mis en scène est aussi un « théâtre du monde », un reflet de l’activité des hommes.

B. Un univers où tout est illusion

1. Le théâtre, un miroir de l’humanité

2. L’instabilité de la condition humaine : pas de vérité stable

3. La position difficile du spectateur du théâtre du monde, qui se trouve acteur parfois et joue mal son rôle : c’est le cas de Pridamant.

> Transition: le théâtre, présenté comme un divertissement public lucratif et valorisant, est donc aussi miroir du monde et de ses incertitudes. Il permet alors de prendre conscience du jeu que l’on a (mal) joué.

C. L'illusion comique ou la leçon du théâtre

I. Pridamant se voit avec une distance critique et est amené à condamner son attitude passée

2. Pridamant, par le biais de l’illusion, est capable de mieux comprendre la réalité, guidé par Alcandre, le « metteur en scène s. Le jeu de l’illusion apprend à se méfier des apparences

3. Une leçon pour tous les hommes sur le caractère pédagogique du théâtre

IV. Rédaction du commentaire



Introduction :

L ‘illusion Comique de Corneille est une tragi-comédie qui met en scène un père, qui assiste à la vie de son fils par le biais des pratiques magiques d’Alcandre. Il le voit ici dans son activité de comédien, et, se laissant prendre à l’illusion théâtrale, il a cru que son fils vivait réellement les actions qu’il joue, et qu’il s’était fait réellement tué. Mais Alcandre tire le rideau de scène, et Pridamant apprend la vérité : son fils est bien vivant, mais acteur. Cette pièce, par les jeux sur l’illusion et la réalité, est donc typiquement baroque, comme nous le confirme sa première date de parution, en 1632. Dans notre extrait, la scène 6 de l’acte V, Pridamant va donc recevoir une véritable leçon sur le théâtre de la part d’Alcandre, qui le convainc de l’utilité de celui-ci. L’extrait présente ainsi une dimension méta-théâtrale : en exposant les mécanismes de l’illusion, Alcandre dévoile le fonctionnement du théâtre, et les ressorts de la mystification. Comment, dans cet univers où tout n’est qu’illusion, le théâtre est-il conçu comme un instrument et un lieu paradoxal de vérité ? Pour répondre à cette question, nous examinerons comment l’extrait présente la représentation théâtrale et son fonctionnement, puis nous observerons comment l’univers théâtral est une métaphore du monde, et enfin, nous nous interrogerons sur la leçon transmise par l’illusion théâtrale.

Développement (rédaction de la première partie du commentaire)

Examinons tout d’abord comment Alcandre met d’emblée en scène le caractère théâtral du spectacle.

Observons tout d’abord comment les instances du théâtre sont clairement mises en scène les acteurs, le metteur en scène et le spectateur. Pridamant représente le spectateur qui se laisse prendre à l’illusion théâtrale, comme le montre la répétition insistante de « je vois » en épanaphore, c’est-à-dire en début de vers et d’hémistiche. Le verbe « voir » met l’accent sur l’activité principale du spectateur. Alcandre joue quant à lui le rôle du metteur en scène, qui explique à Pridamant les ressorts du théâtre : il emploie pour cela un vocabulaire technique, et les vers 1753 et 54 sont saturés par le lexique du théâtre. On trouve le terme « acteur », « troupe comique » qui signifie troupe de comédiens, « récité » qui renvoie au texte appris par cœur, comme au vers 1757. Au vers 1756, on relève également le terme de « scène », qui renvoie au lieu de la représentation. Les protagonistes essentiels du théâtre sont aussi clairement indiqués : ils jouent un « rôle » (1758), et on les appelle des « comédiens s. Les rôles sont ici caractérisés par les expressions antithétiques « le traître et le trahi ». On voit d’ailleurs que Pridamant désignait les acteurs (en réalité son fils, et les autres comédiens) par le rôle qu’ils incarnent : « Rosine », « son assassin »...

Ainsi, on constate que le spectateur se laisse émouvoir par des illusions, qui sont entretenues par des acteurs exerçant un métier lucratif. L’allusion à « l’argent de leur pratique » traduit le lien unissant le théâtre et l’argent : s’il constitue pour le spectateur une illusion, c’est pour l’acteur une pratique professionnelle et maîtrisée. Pridamant constate d’emblée que les jeunes gens « comptent de l’argent », ce qui confirme la didascalie précédente « on voit tous les comédiens qui partagent leur argent ». Il s’agit d’un « métier » qui connaît un grand succès, auprès « d’un peuple tout entier » au vers 1773. Le théâtre est une pratique qui a permis à Clindor et à ses amis de fuir l’adversité, comme le montrent les vers 1763-4, « ils ont pris le théâtre en cette extrémité ». On perçoit par l’exclamation de Pridamant « Mon fils comédien ! » (1765) qu’il est scandalisé par ce métier qu’il juge honteux. Alcandre va au contraire en faire l’éloge, et lui montrer qu’il s’agit d’un métier valorisant et reconnu socialement par « un peuple tout entier ».

La scène a donc une dimension méta-théâtrale bien marquée: c’est un discours sur la nature du théâtre, la fonction des comédiens, leur statut social. Mais ce théâtre mis en scène est aussi un « théâtre du monde », un reflet de l’activité des hommes.

La suite du devoir (II et III) serait à développer de la même manière.

Conclusion du commentaire : bilan et ouverture

On passe donc de la mystification de Pridamant, spectateur inconscient d’une pièce de théâtre, à l’abandon conscient et volontaire d’un public aux agréments de la fiction : le glissement suppose un cheminement auquel est justement convié Pridamant, par l’apprentissage de la vérité par le théâtre, la connaissance des faux semblants, l’abolition des préjugés. Le passage de la sphère privée au domaine public pourrait représenter l’évolution de Pridamant qui accède à la lucidité. Alcandre montre que Pridamant s’arrêtait aux seules apparences sociales : quelle leçon ! Cette façon de mettre en scène le théâtre à l’intérieur même du théâtre pour souligner que la vie n’est qu’un jeu de rôle est d’ailleurs une constante de la littérature baroque de cette époque.

in L'écrit et l'oral du bac français, Ellipses, 2004