RÉSUMÉ DE BEL AMI

Fils de paysan, ancien sous-officier dans un régiment de hussards, Georges Duroy est venu chercher fortune à Paris. Employé depuis six mois dans les bureaux des Chemins de fer du Nord, sans le sou, il songe à se faire écuyer lorsqu’il rencontre un ancien camarade d’armée, Charles Forestier, devenu rédacteur à La Vie française, le journal du banquier juif Walter. Invité à dîner par Forestier, qui le présente à Walter, l’ancien militaire entame sou éducation mondaine et professionnelle : il doit remettre dès le lendemain une chronique sur les souvenirs rapportés de son aventure durant la campagne d’Algérie. Devant l’angoisse de la page blanche, il songe à demander l’aide de Forestier qui le renvoie à... sa femme. Stupéfait, il découvre que Madeleine, une belle intrigante, rédige les papiers de Charles. Mais Madeleine ne se contente pas de le lancer dans la carrière, elle lui recommande aussi Clotilde de Marelle, une femme délaissée qui devient vite sa maîtresse. Et c’est la fille de Clotilde, Laurine, qui le baptise du joli surnom de « Bel- Ami ». Incapable de satisfaire à la frénésie de dépense de sa maîtresse, Duroy se laisse entretenir, acceptant que Clotilde loue un meublé pour leurs rendez-vous et qu’elle glisse dans sa poche des pièces de vingt francs. Après une rupture brutale avec Mme de Marelle, ulcérée de sa liaison avec une prostituée des Folies-Bergère, Georges tente de séduire Madeleine, qui décline ses hommages et lui recommande de faire la cour à Madame Walter. Charmée, celle-ci le reçoit dans son salon et lui fait obtenir la place de chef des échos au journal. Sans illusions désormais sur les dessous de la bonne société, Georges reprend sa liaison avec Clotilde et devient même l’ami de M. de Marelle.

De plus en plus cynique, Bel-Ami se fait appeler Du Roy de Cantel pour épouser Madeleine, devenue subitement veuve, et prend la place de Forestier au journal comme dans son lit. Mais, devenu le double du défunt, jusque dans les infidélités de sa femme, Bel-Ami est rongé par la jalousie et par une ambition sans bornes. Lorsque Madeleine hérite de plus d’un million de francs du comte de Vaudrec, Georges lui en extorque la moitié. Convoitant la fortune de son patron, il séduit d’abord Mme Walter qui lui révèle comment son mari et le ministre des Affaires étrangères, Laroche-Mathieu, l’ont manipulé : après lui avoir fait répandre la rumeur d’une politique de non-intervention en Afrique du Nord, les deux compères ont racheté à bas prix les titres de l’emprunt du Maroc ainsi dépréciés, pour les revendre très cher après la colonisation. Sans scrupules, Bel-Ami accepte que Mme Walter, qu’il vient pourtant d’abandonner, le fasse bénéficier de ce tripotage boursier. Il se fait ensuite aimer de sa très jeune fille, Suzanne. Après avoir surpris Madeleine en flagrant délit d’adultère avec Laroche-Mathieu, il la contraint à accepter le divorce et enlève Suzanne pour obliger Walter, désormais riche à millions, à la lui donner en mariage. Le roman s achève sur le triomphe du parvenu, devenu le baron Du Roy, prêt à se lancer dans une carrière politique après avoir fait tomber le ministre.

 I - PORTRAIT D’UN ARRIVISTE

Bel-Ami , un nouveau Rastignac

« il fallut, écrit Louis Forestier dans sa Préface au roman, trente ans à Jeanne pour toucher le fond de la désillusion, il n’en faut que trois à Georges pour atteindre le sommet de la réussite... » Cette différence de trajectoire et de tempo mire les intrigues et les héros des deux premiers romans de Maupassant, comme si nous étions passés du même coup d’un modèle flaubertien à-un modèle balzacien, donne la mesure du nouveau projet du romancier. Il en fera lui-même le résumé en se défendant des critiques soulevées par le « scandale » de la parution de son ouvrage « J’ai voulu simplement raconter la vie d’un aventurier pareil à tous ceux que nous coudoyons chaque jour dans Paris... »

Affamé d’argent », mais surtout de pouvoir et de réussite sociale, Georges Du roy apparaît bien comme le lointain cousin du Rastignac de La Comédie humaine, mélange d’ambition et de cynisme de séduction et d’intelligence manipulatrice, transporté au fil du récit jusqu’ à l’apothéose narcissique : « il ne voyait personne, il ne pensait qu’à lui. »

Des chiffres et des lettres...

Deux éléments concrets illustrent l’irrésistible ascension du personnage. Les chiffres d’abord : si le roman s’ouvre par une longue scène (voir lecture méthodique de Bel-Ami) OÙ Duroy rumine son infortune qui le laisse sur le pavé de Paris avec seulement « trois francs quarante » en poche; nous le quitterons avec l’évocation par Maupassant des 500 000 francs d’héritage et des 70 000 francs de gains en bourse qu’ il a accumulés pour se lancer à la conquête d’autres bonnes fortunes dans le monde de la politique.

Des lettres ensuite: celles qui matérialisent dans l’évolution de son nom la métamorphose de son statut social. L’ancien sous-officier Duroy, entre-temps surnommé « Bel-Ami », gagne sa place dans le «beau monde» sous l’appellation de «baron Georges Du Roy de Cantel », comme si la boursouflure du nom métaphorisait celle des appétits et des triomphes...

Une ombre au tableau

Toutefois, le pessimisme critique de Maupassant ne laisse pas sans ombre cette ascension fulgurante. Un personnage secondaire, le poète et artiste Norbert de Varenne, délivre à Duroy lui-même un message ravageur pour ses ambitions: «il arrive un jour, voyez-vous et il arrive de bonne heure pour beaucoup, où c’est fini de rire, comme on dit, parce que derrière tout ce qu’on regarde c’est la mort qu’on aperçoit» (chap. I, 8). En le quittant, Duroy aura l’impression d’avoir « vu un trou plein d’ossements »... Et ce trou noir au cœur du livre demeurera comme une sorte de menace planant au-dessus de la valse des illusions et des corruptions.



II- LE ROMAN DES CORRUPTIONS

Roman de mœurs au réalisme décapant, tableau critique d’une société et d’une actualité cette fois résolument contempOraine5 Bel-Ami explore les arcanes d’une nouvelle « comédie humaine » des années î 880. Parmi les cercles et milieux traversés par le héros et sur lesquels s’exerce le regard caustique du romancier, on retiendra principalement:

— l’univers corrompu des milieux politiques et du pouvoir. Maupassant n’a pas hésité à nourrir l’intrigue de son roman de l’actualité des années 1880-1885, traversée par de nombreux scandales politico-financiers nés, dans l’entourage de Jules Ferry, de l’expansion coloniale au Tonkin, en Tunisie (devenue le Maroc dans le roman) ou en Afrique noire. Ces coups et complots favorisèrent l’enrichissement et la promotion soc4le de e crapules », rendant plus que vraisemblables ceux de Duroy;

— le monde de la presse : « libre » depuis la loi de juillet 1881, elle a pourtant partie liée trop souvent avec les «affaires » du précédent milieu qu’elle initie, colporte, commente sur le mode de la rumeur ou de la désinformation. Maupassant connaît bien, pour y avoir travaillé lui-même, ces grands quotidiens qui ont noué des relations complexes avec le pouvoir et surtout ces petites feuilles diffamatoires qui se sont multipliées. La Vie française, « une de ces feuilles interlopes, sorte d’agence d’une bande de tripoteurs politiques et d’écumeurs de bourse », où son héros pénètre, s’épanouit puis triomphe, est ainsi tout au long du roman le microcosme grouillant d’un univers journalistique traversé d’affaires véreuses et de spéculations juteuses

— celui de la bourse et du profit, en effet, ne saurait être distingué des deux premiers. Les campagnes de presse font et défont les ministères, comme elles font et défont les « bonnes affaires » par lesquelles « s’engraissent » les fortunes de Walter puis de Duroy;

— plus largement enfin, celui de Paris, scène aux mille décors de la comédie mondaine que parcourt Duroy au gré de ses domiciles ou de ses « affaires » : les cafés du boulevard des Italiens, les soirées chez le glacier Tortoni, les parties de campagne au bois de Boulogne ou à Saint-Germain, les moments encanaillés au cabaret de la Reine Blanche ou aux Folies-Bergère.

III - BEL-AMI OU BELLES AMIES?

Dans ces cabarets à la mode, Duroy rencontre d’abord une cocotte, Rachel, la prostituée « brune à la chair blanchie par la pâte », aussi vulgaire que désirable car Duroy a sans cesse besoin de désirer les femmes et d’être désiré d’elles puisque, avoue Maupassant, « c’est par les femmes seules qu’il arrive ». Au-delà des assouvissements du corps, cinq d’entre elles vont ainsi jouer un rôle capital dans son ascension:

Madeleine Forestier, la jolie blonde un peu mystérieuse, femme de tête, pour qui le mariage est d’abord une association, fait sa première éducation en l’initiant au monde du journalisme et de la politique. Elle lui fera le triple don de son talent, en écrivant son premier article, d’un nom de plume à succès et d’une première fortune en l’épousant après la mort de Forestier;

Clotilde de Marelle, la « brunette », lui offre, elle, son corps de « gentille maîtresse ». Elle est la complice idéale qui lui apprend à naviguer dans les eaux troubles des salons mondains

Laurine, la fille de Clotilde, ne lui offrira pas moins que son surnom de « Bel-Ami », sésame de sa réussite

Mme Walter, « la Patronne », lui servira de second tremplin dans le monde journalistique en lui décrochant la place de « chef des échos » et en l’initiant aux tripotages boursiers pour son plus grand profit;

Suzanne Walter, enfin, la fille de celle-ci, « frêle poupée blonde », consolidera sa position sociale par une seconde union arrachée à force de manigances, vérifiant la morale cynique du héros : « toutes les femmes sont des filles » dont il faut « se servir sans leur rien donner de soi >.



IV - VOLONTÉ DE PUISSANCE ET HANTISE DU NÉANT

Une faille secrète

Mais ce personnage cynique, qui semble déployer sans obstacles sa volonté de puissance, qui collectionne les femmes, accumule succès de plume et millions pour se lancer enfin à l’assaut du pouvoir politique est, comme tous les héros de Maupassant, comme Maupassant lui-même, hanté par une faille secrète. Son existence tout entière, comme son nom (Duroy), reflet inversé de ses origines paysannes, bizarrement clivé (Du/Roy) et démultiplié (du Cantel), repose sur un leurre, comme si son être, artificiellement gonflé, lui échappait.

Miroirs et images du double

Devenu chef des échos, Bel-Ami n’est que la vaine répétition d’une apparence. Dans les miroirs où il croit trouver l’image flatteuse de sa réussite, c’est toujours un autre qu’il rencontre, un autre qu’il ne reconnaît pas : affublé d’un habit d’occasion lors de sa première visite chez les Forestier, il n un mouvement de recul devant « un monsieur en grande toilette qui le regard[e] ». Stupéfait, il découvre que c’est lui-même, « reflété par une haute glace en pied » ; plus tard, c’est « un monsieur pressé qui [vient] en gambadant à sa rencontre » et il prend « congé de son image, [...] se saluant très bas, avec cérémonie, comme on salue les grands personnages ». Mais la vérité grimace avec une terrible ironie dans le miroir complaisant du succès : allumant une allumette-bougie pour éclairer le palier de Forestier, devenu le sien, Duroy fait « surgir dans la glace» son image et celle de Madeleine. Et le miroir, reflétant « deux fantômes [...] prêts à s’évanouir dans la nuit », sonne le glas de son « rire de triomphe» : « voilà des millionnaires qui passent », commente Bel-Ami qui ne croit pas si bien dire.

L’angoisse de la mort

Double de Forestier, dont il enfile symboliquement les pantoufles, endossant par là même son destin, il est en permanence renvoyé à son néant : déjà, à l’approche du duel qui lui révèle sa lâcheté, « il s’imagine distinctement étendu » sur sa couche avec « ce visage creux qu’ont les morts et cette blancheur des mains qui ne remueront plus » ; saisi par l’air froid comme par un « bain de glace » au sortir de la serre des Walter, il est peut-être déjà atteint par le mal fatal qui a emporté Forestier et le visage peint du Christ marchant sur les flots, dans lequel Mme Walter croit retrouver le sien, fait de son ascension sociale, inlassablement répétée par celle des escaliers qu’il gravit, une allégorie prémonitoire de son inévitable chemin de croix.

Le goût amer du pessimisme dans Bel-Ami

À travers ces indices, savamment disséminés dans le roman, le mot de Norbert de Varenne prend tout son sens : décidément, «dans tout ce qu’on regarde, c’est [...] la mort qu’on aperçoit». Roman de la volonté de puissance, Bel-Ami illustre à sa manière la sombre philosophie de Schopenhauer (1788-1860). Le vouloir- vivre est la racine du mal : le « fiel» qui empoisonne toutes les joies de Georges Duroy donne au roman le goût amer du pessimisme irréductible de Maupassant.

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