Tartuffe est l'histoire d'un escroc qui, se faisant hypocritement passer pour pieux et dévot, s'introduit dans une famille en jouant le rôle de "directeur de conscience". Dans l'extrait qui suit, Orgon rentre chez lui après deux jours d'absence. Texte analysé:  extrait de l'Acte I, scène 4, de "Ah! mon frère, bonjour." à "La part que vous prenez à sa convalescence".

 1.  La structure du dialogue et ses effets comiques

Une première lecture fait apparaître une sorte de mécanisme dans le déroulement du dialogue. Cléante étant « éliminé » dès la 1ère réplique, toute la scène se déroule ensuite sur un échange rapide et régulier entre Orgon et Dorine. On remarque que les répliques d’Orgon se réduisent très vite à deux phrases courtes (Et Tartuffe ? Le pauvre homme !), alors que celles de Dorine suivent un mouvement de crescendo (2 vers, puis 3 vers, puis 4 vers).

■ Cette structure nettement dessinée s’accompagne d’effets de répétitions qui soulignent encore la mécanique du dialogue. Le « discours » d’Orgon tourne en effet sur deux uniques répliques, l’une interrogative, l’autre exclamative, répétées chacune quatre fois sur des tons qu’on peut supposer différents. Les répliques de Dorine présentent également des parallélismes : elles décrivent alternativement un état de santé, soit celui d’Elmire (maladif), soit celui de Tartuffe (florissant). L’emploi symétrique des pronoms personnels féminin et masculin (elle, il) produit un effet d’automatisme. Les symétries insistantes voulues par Dorine et les répliques identiques et machinales d’Orgon, engendrent un comique de répétition, ressort essentiel du comique dans cette scène.

L’observation des effets de répétition et de symétrie dans le discours de chacun des personnages permet de constater que chaque interlocuteur suit son idée.

■ Ainsi faussé dans son système de communication, le dialogue produit plusieurs incohérences. Mis au courant de la maladie d’Elmire, Orgon interroge Et Tartuffe ? Informé de la santé florissante de Tartuffe, il s’apitoie : Le pauvre homme ! Dorine, ignorant les remarques d’Orgon, poursuit le tableau de la maladie d’Elmire.

Ces rapprochements inattendus, ces interventions faites à contretemps, l’inadéquation des répliques à leur contexte produisent l’effet d’une mécanique faussée ou d'un « dialogue de sourds ». C’est ici l’écart entre ce que l’on attend et ce qui survient qui constitue le comique. Les décalages qui introduisent dans l’échange des discordances risibles rapprochent ce comique de celui de l’absurde fondé sur l’incommunicabilité. Mais la fragilité psychologique du personnage d’Orgon, la volonté et l’habileté de Dorine à mener le jeu, ajoutent un comique de caractère que les questions suivantes peuvent permettre de dégager.

2.  "Et Tartuffe ?" et "Le pauvre homme !" : les deux répliques qui trahissent Orgon 

L’effet premier de la reprise systématique de ces deux répliques est de révéler l’obsession, la « monomanie » d’Orgon qui n’a en tête que Tartuffe. Le ton interrogatif exprime l’intérêt obstiné, le ton exclamatif reflète le constant attendrissement. Ces répliques répétitives doivent être dites d’un ton suffisamment différent pour éviter la monotonie et suffisamment identique pour créer l’impression de ressassement maniaque.

Le pauvre homme ! par lequel Orgon commente à quatre reprises le tableau de la santé éclatante de Tartuffe révèle un évident « déphasage ». La réplique s’applique si mal à ce que dit Dorine qu’on peut se demander si Orgon entend ce qu’on lui dit. Personnage sourd et hébété, il a perdu le sens des réalités.

La répétition à contretemps de cette réplique (Le pauvre homme !) trahit le personnage d’une autre façon. Ces mots résultent en effet d’une erreur. En bonne logique, c’est après le tableau des souffrances de sa femme qu’Orgon devrait s’apitoyer et dire La pauvre femme ! Le fait qu’il intervertisse les rôles montre que Tartuffe a pris chez lui la place d’Elmire. Ce dérèglement du langage révèle une vie sociale, familiale et affective perturbée par l’influence du parasite.

La forme répétitive du langage d’Orgon témoigne de son aliénation : ses paroles sont en train (d’échapper à son contrôle, à sa logique, à sa raison. Et l’idée fixe se manifeste comme le seul discours qui subsiste.

3. La tonalité des répliques de Dorine

■ Les répliques de Dorine consacrées à Tartuffe font apparaître des contradictions avec l’inquiétude et la compassion d’Orgon. Plus Orgon s’inquiète de Tartuffe, plus Dorine donne de relief dans son récit à la satisfaction et à la prospérité du parasite. Le spectateur comprend vite que cette discordance est voulue par Dorine, en raison du parallélisme insistant qu’elle établit systématiquement entre la mauvaise santé d’Elmire et la santé éclatante de Tartuffe. Par là elle cherche à faire prendre conscience à Orgon de son injustice et de son incohérence. Créer ainsi des effets de décalages dans le but de produire une surprise et une réflexion est caractéristique de l’ironie.



■ Dans plusieurs répliques, l'inadaptation des mots aux situations évoquées confirme cette tonalité. Au vers 17, l’intrusion de l’adverbe dévotement dans le tableau de la gloutonnerie de Tartuffe signale l’hypocrisie du faux dévot en attribuant un caractère religieux à une activité qui ne l’est pas. Le spectateur est dès ce moment alerté. La réplique des vers 30 à 33 présente aussi des associations inadéquates. En mêlant le vocabulaire moral au récit du déjeuner de Tartuffe, Dorine feint d’attribuer à la grandeur d’âme ce qui n’est que la satisfaction du buveur. Le parallèle entre le sang d’Elmire et le vin bu par Tartuffe accentue l’intention ironique. Cette intention conduit à voir en Dorine le personnage qui mène le jeu, qui se joue d’Orgon en révélant son aveuglement.

■ Dorine est le personnage qui met fin au dialogue et sa dernière réplique fait le bilan de la scène. Mais ce bilan (v. 36) consiste à donner une version des faits totalement opposée à ce qui s’est déroulé. En utilisant ainsi la figure de l’antiphrase, le personnage dénonce l’indifférence d’Orgon et achève de le ridiculiser aux yeux du spectateur.

Cette scène conduit à mesurer le comique de l’ironie et son pouvoir critique. Mais on voit aussi à l’œuvre l’ambiguïté de l’ironie : efficace sur le spectateur, elle est inopérante sur Orgon. Le personnage n’a pas assez de distance pour la percevoir.

Exploitation de l'extrait de Tartuffe dans la dissertation:

En prenant appui sur différents extraits de pièces de théâtre, Tartuffe (I, 4), Les précieuses ridicules (scène IX), L'école des femmes (I, 4), Les fourberies de Scapin (I, 4), Le barbier de Séville (I, 2), Cyrano de Bergerac (I, 4), récapitulez les différentes origines du comique. Répondez ensuite à la question : "le comique a-t-il pour unique fonction de faire rire?"

■ Les extraits proposés permettent de dégager différentes origines du comique :

- Le comique des Précieuses ridicules repose sur l’outrance verbale, la parodie du langage précieux, la satire de la vie des salons. À travers ce comique de mots et de mœurs se révèle une autre fonction du comique qui n’est pas seulement de faire rire mais ici de dénoncer un privilège : celui des gens de qualité qui savent tout sans avoir jamais rien appris.

- L’extrait de L’École des femmes qui repose sur un quiproquo déclenche le rire par la surprise du personnage trompé et l’indifférence imperturbable de l'autre. Mais, en faisant rire de cette situation, le quiproquo ouvre les yeux du spectateur sur un abus : la dépendance des filles et les mariages forcés.

- Dans Les Fourberies de Scapin, c’est le renversement de situation qui prête à rire : la ruse de Scapin a triomphé de la naïveté d’Argante. Ce type de comique va plus loin que le divertissement ; il exprime une sorte de revanche du faible (le valet) sur le fort (Argante).

- Le personnage de Figaro dans Le Barbier de Séville rend sa situation risible par l’accumulation, l’énumération, la désinvolture du ton, le tableau satirique de la société. Mais ce comique exprime, comme le dit la dernière réplique, sa revanche sur l’adversité. Figaro dénonce les inégalités et les difficultés de parvenir pour un homme sans nom et sans fortune, mais en riant il semble en triompher.

- Le comique de la tirade du nez dans Cyrano de Bergerac est fondé sur l’invention, la fantaisie et l’accumulation verbales. Ce type de comique représente aussi une victoire sur l’adversité. Par son brio et en faisant rire de lui, le disgracié se montre plus habile que celui qui l’attaque et il fait taire les moqueries.

■ On peut à partir de là répondre à la question « Le comique a-t-il pour unique fonction de faire rire ? » en organisant la réflexion autour des points suivants :

- La fonction critique du comique : le comique corrige les mœurs en riant, corrige les vices des hommes, révèle des abus et des injustices. C’est le comique de dénonciation.

- Le comique ridiculise ce qui opprime l’homme, l’entrave ou lui fait peur. Le rire permet d’affronter les difficultés en s’en moquant, de se défendre. C’est le rire de libération.

 

 

Pour aller plus loin: