Texte à résumer : Parole et violence

La parole violente se déploie dans deux autres types de situation, assez distincts pour qu’on les sépare dans l’analyse, la manipulation et le harcèlement. Ces procédés ont été décrits par ailleurs et ce n’est pas l’objet de les détailler ici. Rappelons simplement que chacune des trois grandes formes de la parole s’inscrit sur un axe qui va de la pure violence exercée sur l’auditoire à un respect de la liberté de l’autre impliquant qu’on n’exerce sur lui aucune contrainte non désirée. Ainsi la parole expressive implique-t-elle la possibilité du mensonge et de l’inauthenticité. L’axe argumentatif est toujours dans l’ombre de la manipulation possible. L’axe informatif, quant à lui, convoque immédiatement le fantôme de la désinformation.

 

En quoi tous ces procédés relèvent-ils de la violence? Notons tout d’abord que l’on sous-estime généralement la violence dont la parole peut être la cause. Comme si les coups, les blessures étaient par nature plus violents. Or, on le sait, l’insulte peut blesser profondément, la manipulation détruire une identité, ou pousser, par exemple, au suicide, et la désinformation tuer plus sûrement qu’un projectile. La violence «morale» peut concurrencer, en intensité, les effets de la violence physique.

La manipulation, par exemple, recouvre un ensemble de techniques qui ont en commun de priver l’auditoire de sa liberté de réception et de l’enfermer dans l’espace d’un seul choix possible, celui qu’on lui propose, c’est-à-dire qu’on lui impose. Il est rare que le choix proposé, qu’il s’agisse d’un comportement à adopter ou du partage d’une information fausse, soit celui que l’auditoire aurait fait librement. Il est encore plus rare que ce choix corresponde réellement à son intérêt. Il est fréquent que celui qui a fait un « choix» sous l’effet d’une manipulation soit conduit à le regretter ultérieurement et doublement : une première fois parce qu’il ne correspond pas à son attente, une seconde fois parce que ce choix s’accompagne du sentiment de malaise qui étreint celui qui s’est fait violenter. Ce malaise peut être d’autant plus fort qu’on en identifie mal les causes.

Le harcèlement, qu’il soit « moral » ou « sexuel », est le plus souvent ressenti comme une violence par celui ou celle qui en est victime. C’est même souvent le but recherché par celui qui harcèle, qui fait tout pour que l’autre fasse ce qu’il souhaite, en échange d’un arrêt de la violence, utilisé comme moyen de pression.

La désinformation est une parole truquée, dont l’objectif est de pousser celui qui s’y fie à adopter un comportement en général contraire à ses intérêts. Ses effets peuvent être ravageurs et meurtriers. Utilisée comme arme de guerre, la désinformation peut provoquer plus de victimes chez l’adversaire que l’emploi d’armes matérielles. Comme le montrent de multiples exemples lors du dernier conflit mondial, de la guerre d’Algérie ou des deux guerres contre l’Irak, la parole, dans ce cas précis, tue plus sûrement qu’une balle, un obus ou un bombardement.

La violence dans la parole procède d’un déplacement normatif qui a vu la plupart des sociétés modernes former l’idéal de renoncer à la violence physique dans les rapports quotidiens. Il faut souligner que cette norme nouvelle, qui condamne la violence, a une portée bien plus générale que la simple condamnation de l’emploi des coups ou du meurtre pour régler des différends. Elle témoigne d’un changement global face à la violence et vaut donc aussi pour la parole. Ceci explique que, en dehors des discours cyniques ou marginaux qui font l’apologie de la violence, la violence dans la parole doive avancer masquée. C’est aussi une condition de son efficacité, dans un environnement normatif qui condamne le recours à la violence sous toutes ses formes.

Il est notable en effet que les procédés violents utilisés et qui jouent sur les possibilités immenses et raffinées de la parole doivent la plupart du temps être dissimulés derrière, justement, le masque d’une parole juste. C’est le signe que celle-ci s’est bien imposée comme norme, même si la réalité est loin de s’y conformer. Ainsi, l’analyse que nous avons faite, parallèlement à d’autres auteurs, comme l’anthropologue de la communication Yves Winkin’2, des techniques de la « PNL » (programmation neurolitiguistique), montre bien que ce type de « formation à la communication », très enseignée dans les entreprises, s’appuie sur une dissimulation des procédés qu’elle emploie, comme condition de leur efficacité. Cette consigne est explicite dans tous les procédés utilisés pour « convaincre » et qui relèvent de la « manipulation des affects ». C’est que, dévoilés, ils risqueraient d’apparaître pour ce qu’ils sont une pure et simple violence exercée sur l’autre, travestie en parole.

Texte de Philippe Breton, Éloge de la parole, 2007

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