• Présentation du livre:

PROCHAIN ÉPISODE. Roman d’Hubert Aquin (Canada/Québec, 1929-1977), publié à Montréal au Cercle du Livre de France en 1965. La rédaction de Prochain Épisode date de 1964, époque où Hubert Aquin, membre du parti indépendantiste québécois, fut incarcéré à l’institut Albert-Prévost à la suite d’une arrestation pour port d’arme illégal. Jusqu’alors animateur à Radio-Canada et auteur de scénarios, Aquin donne ici son premier roman.

  • Résumé de Prochain épisode :

Le narrateur entreprend un roman d’espionnage dans lequel il introduit un agent secret wolof, Hamidou Diop, mais il avoue que ce personnage n’a d’autre but que d’être un rempart «contre la tristesse et les vagues criminelles qui viennent [le] briser avec fracas, en scandant le nom de la femme [qu’il] aime». L’action du roman se situe autour du lac Léman. Dans le journal, il a découpé un entrefilet annonçant une conférence du professeur H. de Heutz, de l’université de Bâle. Il évoque ses cavales qui l’ont conduit dans cette clinique surveillée après un séjour en prison à Montréal. Il surprend Hamidou avec un homme mystérieux, rencontre une femme blonde, K., avec laquelle il passe la nuit à l’hôtel d’Angleterre. K. lui parle de l’homme, et lui révèle que le professeur de Heutz n’est autre que le banquier Karl von Ryndt. Elle charge le narrateur de régler son cas. Il part en quête du banquier au volant de sa voiture dans une course folle à travers les Alpes avant d’arriver trop tard à la conférence du «professeur», dont il retrouve bientôt l’auto. Il le prend en chasse, mais est assommé et se retrouve dans un château où il subit un interrogatoire. À ce stade du récit, le narrateur et l’agent secret jusque-là confondus, sont devenus deux personnes distinctes: «Je n’arrive pas à souffler à mon double les quelques phrases d’occasion qui le sortiraient du pétrin.» Il doit utiliser la force, prend de Heutz en otage et s’enfuit. Il s’apprête à le tuer mais l’homme, E.-M. de Saugy selon ses papiers d’identité, lui raconte une histoire insensée avant d’éclater en sanglots. Fasciné, il ne peut se résoudre à tirer. De Heutz s’enfuit avec une femme blonde surgie au volant d’une voiture. Le narrateur était filé depuis le début de sa fuite du château. Il décide d’y retourner. Lorsqu’il entend le vrombissement de l’auto, il s’installe pour faire feu, mais surprend une conversation téléphonique: l’homme a rendez-vous au même endroit que lui, à la même heure avec une femme. À la terrasse de l’hôtel d’Angleterre, K. n’est plus là. Il est arrivé trop tard. Un message lui indique qu’il doit retourner à Montréal. Il y rejoint M. dans une église. C’est là qu’il est arrêté. Retour en arrière. Nous sommes au château, lors de la conversation téléphonique, et au moment où le narrateur voulait faire feu. Mais il a bougé, de Heutz s’est aperçu de sa présence. En manquant Heutz, «je venais de manquer mon rendez-vous et ma vie toute entière». «Mon récit est interrompu parce que je ne connais pas le premier mot du prochain épisode.» Il projette la mort du «professeur» telle qu’elle aurait dû se dérouler dans le château.

  • Analyse du roman d’Hubert Aquin

La complexité manifeste du récit doit sans doute être retournée pour y rechercher l’ordonnance paradoxale d’un discours du désordonné. C’est précisément le dérèglement du style et de la narration qui rend ce roman singulier. Le motif du récit d’espionnage n’est qu’un prétexte à une aventure qui est avant tout langagière et permet d’interroger le processus de l’écriture sans cesse mis en scène dans le texte: ce que le narrateur appelle sa «noyade écrite». L’écrivain-narrateur qui écrit pour «tromper la tristesse» manipule plusieurs niveaux d’écriture et de personnages tout en réfléchissant sur la production littéraire et sur lui-même: «C’est tout juste si je n’écris pas des deux mains à la fois pour moins penser»; «Le chef-d’œuvre qu’on attend n’est pas mon affaire. Je rêve plutôt d’un art totalitaire en genèse continuelle.» Mais il se présente aussi comme manipulé par l’écriture: «Je n’écris pas, je suis écrit.» Le rôle du simulacre est évident dans ce roman où la polyphonie des «je» crée une gigantesque machination textuelle. La quatrième page de couverture de l’édition originale l’indique: «Il s’agit bel et bien d’un roman composé d’imaginaire et de réel, succession imprévisible de poursuites et de feintes», fiction dont la courbe événementielle (le récit d’espionnage) est disséminée dans le texte, entrecoupée de réflexions sur l’écriture, le suicide, l’amour, le Québec et la révolution. La procédure de narration étagée est maintenue jusqu’à la fusion finale des histoires. L’enfermement est omniprésent: celui du narrateur dans sa clinique et dans son écriture, rejoint par son personnage arrêté et emprisonné à la fin du récit. Mais en contrepoint à l’immobilité forcée de l’incarcération, c’est bel et bien un roman d’action qui est en train de s’écrire. Le rythme haletant du texte, souligné par les courses poursuites en auto, crée un effet de fuite en avant effrénée dont le personnage pourchassé ne connaît pas l’issue.

À la faveur d’un des traits de caractère du héros-narrateur, le révolutionnaire, émerge le thème du pays: «Je suis le symbole fracturé de la révolution du Québec, mais aussi son reflet désordonné et son incarnation suicidaire.» Cet homme déprimé, lassé par une action fragmentaire qui ne se déploie jamais vraiment, vit dans un univers brouillé, un pays décalé, tourmenté par son ambivalence et son impuissance.

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