L’INFLUENCE DE LA CIVILISATION ARABE ET MUSULMANE EN EUROPE

A. L’ECLAT DE LA ClVILISATION ARABE ET MUSULMANE

1-La civilisation arabe apparaît comme un amalgame.

Les musulmans sont les héritiers des civilisations grecques, romaines, hellénistiques dans ces provinces ravies à l’empire byzantin (Syrie. Egypte, Sicile) et les héritiers des civilisations orientales (Inde, Chine) par l’entremise des Perses en prenant, à Bagdad, la place des anciens maîtres Sassanides.

 — Les Arabes... « élément de coordination » : « Les Arabes d’origine ont joué surtout le rôle d’un élément de coordination. Leur domination politique fut déterminante, leur rôle de mécène incontestable, leur langue la plus couramment utilisée, mais au nombre des « penseurs arabes » se trouvent, aux côtés d’Arabes authentiques, des Juifs et même des chrétiens, des Syriens, des espagnols, des Normands et surtout des Perses,  par exemple Al Razi, lbn Sina, Al Bairuni).

 — Les traductions : Le premier souci des grands khalifes est de faire traduire les œuvres des philosophes et savants écrites en grec ou en persan. « Le septième khalife de la dynastie abbasside, Abd Allah al Mamun ibn Harun ar-Rachid, s’occupa de rechercher la science à où elle se trouvait. Il entra en relation avec les empereurs de Byzance, leur fit de riches cadeaux et les pria de lui faire don des livres de philosophie qu’ils avaient en leur possession... Al Mamun fit alors le choix de traducteurs émérites et les chargea de traduire ces ouvrages de leur mieux. La traduction ayant été faite avec toute la perfection possible, le khalife, poussa ses sujets à les étudier. Par suite le mouvement scientifique s’affermit sous le règne de ce prince... L’empire abbasside à ce moment rivalisa presque avec celui des Romains à l’époque de sa splendeur». —        Sa’id al Andalousi, Le livre des catégories des nations (XIème siècle), (traduction. R. Blachère). 

2) L’apogée de la civilisation musulmane du VIIIème au XIIème siècle :

Après la conquête et l’organisation d’un empire de l’Atlantique à l’lndus par les Ommayades, l’époque abbasside est illustrée par l’intense activité intellectuelle et artistique tant de Baghdad que des autres capitales lorsque l’empire s’émiette.

 — Baghdad... « la grande métropole à nulle autre pareille » :  « La frénésie de villes et de palais » qui s’empare des khalifes abbassides contraste avec le déclin urbain de l’occident chrétien. « Immense, tentaculaire », voici la célèbre capitale mésopotamienne. « Je commence mon livre par l’Iraq parce qu’il est le carrefour du monde et cite Bagdad en premier, parce qu’elle est le centre de l’Iraq et la grande métropole à nulle autre pareille. Des hommes de toutes origines et de différentes contrées et provinces y résident. Ils y affluent de tous les pays proches ou lointains, et la préfèrent à leur propre patrie. Point de peuple qui n’y possède son quartier propre, ses marchandises et ses magasins. Les marchandises et les provisions sont si abondantes et si faciles à seprocurer qu’on dirait que tous les produits de la terre y sont acheminés — Al Yacoubi, Kitab al Bouldane

Les cadeaux somptueux d’Harun Ar-Rachid : Ils surprennent l’entourage de Charlemagne, empereur d’Occident, peu habitué au luxe des cours orientales :   « L’ambassadeur Abdallah et ses compagnon offrirent à Charles des présents que lui envoyait le roi de Perse et qui consistaient en un pavillon et en tentures d’appartements d’une dimension et d’une beauté merveilleuses.., Il y avait aussi parmi ces présents de nombreux vêtements de soie d’un grand prix, des parfums, des aromates, du baume et une horloge de métal construite avec un art admirable. Un mécanisme mû par l’eau marquait le cours des douze heures et au moment où chaque heure s’accomplissait, un nombre égal de petites boulles d’airain tombait sur un timbre placé au-dessous, et le faisait tinter par leur chute... On admirait encore beaucoup d’autres merveilles dans cette horloge, mais il serait trop long de les rapporter ici... » — Eginhard, secrétaire de Charlemagne.

 
B/ LES CONTACTS ENTRE L’ORIENT ET L’OCCIDENT

1 -  Le rôle de l’Espagne:

 Les historiens estiment que les Croisades ne provoquèrent pas des échanges fructueux entre chrétiens et musulmans. Ils n’en fut pas de même en Sicile et surtout en Espagne où, dans la guerre comme dans la paix, l’Occident fut initié à l’héritage culturel arabe.

 —La civilisation de Cordoue rayonna sur tout l’Occident : Ces expéditions ou « Algarades » n’empêchèrent pas les relations économiques et culturelles entre L’Espagne chrétienne et l’Espagne musulmane. Les marchands juifs, musulmans ou mozarabes exportaient au Nord les produits de leur artisanat; non seulement les objets de cuir (cordouanneries), mais les armes de Tolède, les Verreries, les bibelots d’ivoire et de jais, les tissus de brocard, etc... Ces échanges se faisaient régulièrement grâce à l’unité monétaire puisque les souverains espagnol imitaient les monnaies arabes. Ils imitaient également le cérémonial de la cour de Cordoue et les modes vestimentaires. La langue espagnole s’enrichit de mots arabes empruntés non seulement au vocabulaire militaire mais aussi à celui des institutions et de la vie courante, qu’il s’agisse de noms de vêtements, de plantes ou de couleurs. Tout ceci prouve des échanges familiers. Enfin, l’art dit « mozarabe » que nous trouvons en Castille ou en Catalogne ne peut s’expliquer que par la venue d’ouvriers, d’architectes et de peintres originaires du sud de l’Espagne. — Pierre Riché, Grandes Invasions et Empires, (1968).

Le prestige de Tolède : La Reconquista permet aux chrétiens de s’emparer de Tolède et de «son imposante bibliothèque arabe» dont ils entreprennent la traduction en latin.
« La passion de l’étude m’avait chassé d’Angleterre. Je restai quelque temps à Paris. Je n’y vis que des sauvages installés avec autorité sur Leurs sièges scolaires... Comme, de nos jours, c’est à Tolède  que l’enseignement des Arabes, qui consiste presque entièrement dans les sciences, est dispensé aux foules, je me hâtai de m’y rendre ». — Daniel de Morley (XIIème siècle) cité par Jacques Le Goff, Les intellectuels au Moyen Age.

— Les jeunes chrétiens..., lisent et étudient avec avidité les livres arabes : « Mes compatriotes chrétiens font leurs délices de poèmes et de romans arabes ; ils étudient les œuvres de théologiens et philosophes mahométans, non pour les réfuter, mais pour acquérir un style arabe élégant et correct. Qui étudie les Evangiles, les Prophètes, les Apôtres ? Hélas ! Les jeunes chrétiens, qui se font remarquer pour les talents, n’ont connaissance d’aucune langue en dehors de l’arabe ; ils lisent et étudient avec avidité les livres arabes ; ils en remplissent à grands frais toutes les bibliothèques, et partout chantent les louanges de la science arabe. Combien composent des vers surpassant en pureté ceux des Arabes eux-mêmes ! » — Protestations de l’écrivain chrétien Alvaro (854), cité dans G. Von Grunebaum, l’islam médiéval.

2 -  La Sicile :

Curieuse destinée que celle de la Sicile.  Au XIème siècle, lorsque le pouvoir politique échappe aux arabes, les nouveaux souverains normands, conscients de la supériorité de la civilisation musulmane, accueillent volontiers à Palerme des savants comme le géographe Al Idrissi.  « Le roi a une grande confiance dans les musulmans et se repose sur eux pour ses affaires, même les plus délicates. Le roi se plonge dans les plaisirs de la Cour comme les rois musulmans qu’il imite encore dans le système de ses lois, dans la marche de son gouvernement, dans la classification de ses sujets, dans la magnificence qui relève la royauté et dans le luxe de ses ornements... Un des faits les plus singuliers que l’on raconte de ce roi est qu’il lit et écrit l’arabe...

 Les musulmans de Palerme ont un Cadi qui juge leurs procès et une mosquée principale où ils se réunissent pour la prière…Les autres mosquées sont si nombreuses qu’on ne saurait les compter et la plupart servent d’école aux précepteurs du coran. — lbn Djobaïr (1185), cité par G. H. Bousquet, Classiques de l’islamologie.


C. CE QUE LES EUROPÉENS ONT APPRIS DES ARABES : LA PHILOSOPHIE ET L’HISTOIRE...

La littérature proprement dite subit très peu, en Europe, l’influence arabe. Par contre, les philosophes et historiens musulmans, après avoir adapté l’héritage grec, sont les véritables maîtres de l’Occident chrétien au Moyen Age.

 1) Les philosophes s’efforcent de mettrela pensée grecque en harmonie avec la religion :

Avec la pensée grecque, abondamment traduite, diffusée et commentée, des hommes raisonnaient sur toutes choses sans contrainte et sans entraves, sans écritures sacrées et sans miracle... Dans l’ensemble, on s’efforce de mettre la pensée grecque en harmonie avec la religion musulmane. Et pendant trois siècles, de très grands philosophes se firent les protagonistes de la raison, de l’intelligence et de l’esprit critique. Il demeura solidement établi que l’islam a su concilier le monothéisme, principal apport de l’ancien monde sémite, avec la philosophie grecque, contribution essentielle de l’ancien monde indo-européen... En résumé, il est évident que les philosophes de l’islam occidental ont eu pour but de réconcilier la foi avec la raison, la religion avec la science... Le peuple arabe avait apporté au progrès humainla contribution la plus importante du Moyen Age.

 — Ibn Sina (Avicenne) : 980-1037 : Avicenne ne se contenta pas d’être le « Prince de la Médecine», on peut le considérer comme le sommet de la philosophie arabe en Orient... Pour Avicenne, tous les êtres sauf Dieu, sont accidentels, exigent une cause pour leur existence. Or, on ne peut les expliquer qu’en remontant à un être nécessaire, le seul qui existe par essence ; il est essentiel qu’il existe, car sans cause première, rien de ce qui est n’aurait pu commencer d’être... Mais Dieu n’est pas la cause directe des actions... Il n’est donc pas responsable du mal, qui est le prix de la liberté. En fait, Avicenne a surpassé ses rivaux par la clarté et la vivacité de son style, par sa faculté d’aider la pensée abstraite grâce à des anecdotes imagées soutenues par un style agréable, aussi bien que par l’étendue de son savoir scientifique et philosophique. Son Influence fut immense dans le monde musulman et dans la chrétienté (Saint Thomas d’Aquin, Albert le Grand). Aussi, nulne saurait nier que le Shifa et le Canon d’Avicenne marquent le sommet de la pensée médiévale et constituent l’une des plus grandes tentatives de synthèse dans l’histoire des civilisations.

 — Ibn Rushd (Averroès).  Averroès entra en faveur à la cour almohade vers 1135... On sait qu’il était grand médecin, il fut un bien plus grand philosophe... ilcomposa pour chaque ouvrage du philosophe grec Aristote un résumé, un bref commentaire et un commentaire détaillé... En dehors de ses ouvrages sur Aristote, on lui doit aussi des précis de psychologie, de métaphysique et de théologie, de logique et de droit.

 Averroès affirme la liberté du philosophe de chercher la vérité en admettant toutefois la nécessité des livres révélés, pour ceux qui ne peuvent accorder que des pensées superficielles aux causes premières... Les Musulmans jetèrent ses livres au feu... Les Juifs conservèrent ses œuvres en langue hébraïque... Chez les Chrétiens, saint Thomas d’Aquin composa «La Somme» pour en combattre l’esprit mais il ne put faire autrement que de suivre Averroès en diverses interprétations... Finalement, l’averroïsme, expurgé, fut recommandé par l’université de Paris et son influence devint décisive sur toute l’évolution de la pensée européenne jusqu’à l’avènement de la science expérimentale. — Textes extraits de J. C. Risler, la Civilisation Arabe.                                                                                                                            

2) Historiens et géographes

 — lbnKhaldoun.,. parmi les plus grands historiens du monde : « lbn Khaldoun (1332-1406), né à Tunis, a occupé des postes àFès, à Tunis, à Tlemcen. Dans sa Mouqqadima, il développe une méthode historique nouvelle. Pour la première fois un historien discute les sources qu’il emploie, cherche à établir des lois sur la vie et la mort des empires. Il n’est pas un simple chroniqueur mais un véritable historien tel qu’on le conçoit de nos jours. Il a essayé de comprendre le « pourquoi »et le « comment » des évènements ».

« Les discours dans lesquels nous allons traiter cette matière formeront une science nouvelle... Le but poursuivi est d’établir une règle sûre pour distinguer dans les écrits la vérité de l’erreur ; un instrument qui permette d’apprécier les faits avec exactitude ». — lbn Khaldoun, (Mouqqaddima).

 — La géographie... « L’exactitude comme but» : L’étendue de l’empire favorisa les voyages intercontinentaux et le maître de la rihla (relation de voyage) est sans conteste le tangérois Ibn Battouta  (XIVème siècle), mais dès le Xème siècle, Al Idrissi, né à Ceuta en 1100, réalisait pour les rois de Sicile des cartes d’une exactitude remarquable et admettait la sphéricité de la terre.

 D. CE QUE LES EUROPÉENS ONT APPRIS DES ARABES : SCIENCES ET TECHNIQUES

1)Les conditions religieuses et humaines de la recherche scientifique « arabe »

— « Cherchez la science » : Le Coran engage fréquemment les fidèles à observer le ciel et la terre pour y trouver des preuves en faveur de la foi. Les traditions du Prophète sont pleines de récits où l’on trouve
la louange de la science : « Cherchez la science depuis le berceau jusqu’à la tombe, serait-ce jusqu’en Chine»Il est vrai que cette science est avant tout la connaissance de la Loi religieuse. Mais, en islam, elle n’est pas absolument séparée de la science profane.

 — Tous les peuples qui furent conquis par les Arabes y participèrent : « Quand on parle de science arabe, on entend celle véhiculée essentiellement par la langue arabe... Tous ceux qui furent touchés par l’islam exercèrent leur influence. Parmi ces peuples, certains avaient déjà une science avancée : les Indes et la Perse ont importé un important tribut. Mais, ce qui est de beaucoup le plus important, c’est l’héritage de la Grèce antique et de la pensée hellénistique... Aussi, en dépit d’une ouverture beaucoup plus large, la science arabe n’est-elle, au fond, rien d’autre que la continuation de la science grecque ».  — Textes extraits de René Taton, La science antique et médiévale.

2) Les découvertes scientifiques arabes

 Astronomie                                                           

  • Obliquité de l’écliptique (Al Battani, 920) 
  • Rotation de la terre (Al Biruni, 1000).

Botanique - études de pentes médicinales par les Andalous.
Chimie : - découverte de corps (alcool) et distillation

Mathématiques

  • chiffres dits « arabes » (hindous), le zéro (XIème siècle).
  • Algèbre (Al Khawarizmy)  - trigonométrie (Al Barani, Xe.) (Hassan Marrakchi, XIIIe.).

Médecine - des médecins de réputation mondiale :                                                                                              

  • Al Razi (IXe.), Avicenne, Averroès, Ibn Al-Nafis (1210-1288) découvre la circulation sanguine.
  • créationd’hôpitaux.                                                                                                                                 - 
  • recherches en chirurgie, anesthésie, prothèse dentaire,
  • ophtalmologie.